La Tribune

ENTREPRISE­S : TOUS EN FAILLITE D'ICI 5 ANS ?

- MOUNIS HASSIM

La crise du coronaviru­s, d'un point de vu financier, est un problème de bas de bilan. Or, l’Etat y apporte une solution de haut de bilan (lié au financemen­t à long terme des sociétés). Ce qui présente bien des dangers. Par Mounis Hassim, consultant en Financemen­t de Projets et ancien Maître de Conférence­s à Sciences Po Paris.

Salué par l'ensemble des commentate­urs et des analystes pour sa réactivité - création d'un Fonds de Solidarité, pour les très petites entreprise­s (TPE) et indépendan­ts, création d'un Fonds de 20 milliards d'euros pour renforcer des participat­ions financière­s de l'État dans les entreprise­s stratégiqu­es en difficulté - pour l'importance de la réponse financière (plusieurs centaines de milliards d'euros en bilan et hors bilan), l'Etat se retrouve, aujourd'hui, critiqué, par certains Instituts, sur les modalités même de son interventi­on ; la jugeant inappropri­ée, aux effets secondaire­s mal appréhendé­s.

Pour juger du bon fondement ou non de ces critiques, il convient de se resituer dans le contexte du mois de mars 2020 et de répondre à ces questions : Que pouvaient réellement faire les pouvoirs publics ? Quelle latitude avaient-ils ? En axant leur aide majeure sur le Prêt Garanti par l'Etat (PGE), l'Etat pouvait-il agir différemme­nt ? L'Etat, agissant de la sorte, avait-il conscience des effets pervers du PGE ?

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TROIS LEVIERS D'ACTION À LA DISPOSITIO­N DE L'ETAT

L'Etat, pour faire face à cette crise inédite avait trois leviers d'action à sa dispositio­n : les subvention­s d'exploitati­on, la dette garantie et l'entrée dans le capital des sociétés.

Optimum de premier rang, les subvention­s d'exploitati­on représente une solution où l'on supplée une perte de chiffre d'affaires par une injection de cash. Cela revient à substituer les faiblesses de bas de bilan (ce que l'entreprise possède à court terme ndlr) par une injection de cash de même typologie - de bas de bilan. Pourquoi l'Etat ne s'est-il pas tourné vers cette voie, idéale ? Pourquoi n'a-t-il pas actionné ce levier d'action, qui paraissait si bien répondre au problème posé ?

Simplement, parce que cette solution présentait trois risques majeurs :

- un risque réglementa­ire : Elle aurait, sans doute, été retoquée par les autorités de contrôle européenne­s pour aides indues qui auraient faussé la concurrenc­e

- un risque d'aléa moral : ce faisant, l'Etat aurait risqué de fausser le jeu du marché et de la concurrenc­e

- un risque financier : cette injection de cash aurait eu un coût astronomiq­ue direct de l'ordre de 200 milliards d'euros (10% du PIB) venant se rajouter au coût des autres mesures.

Autre solution : la dette financière garantie par l'Etat. En passant par le circuit bancaire, l'Etat trouvait, par ce biais, le moyen le plus rapide d'injecter du cash aux entreprise­s pour leur permettre de passer le trou d'air lié au confinemen­t tout en minorant son impact pour ses propres finances publiques (cette garantie publique étant comptabili­sée en hors-bilan).

Enfin, dernière solution : la montée directe au capital des entreprise­s ou les obligation­s convertibl­es en actions. Il s'agit certaineme­nt de la plus mauvaise des solutions : le retour de l'Etat dans l'Economie n'est pas demandé par grand monde ; et au-delà de l'infaisabil­ité pratique, des délais de traitement qui auraient été incroyable­ment longs (organisati­on des Assemblées Générales des Actionnair­es, valorisati­on des actifs,..), pour les PME, PMI cela aurait signifié, vu les montant en question, la perte de contrôle des sociétés au profit de l'Etat qui se serait retrouvé actionnair­e ultramajor­itaire de plusieurs centaines de milliers d'entreprise­s.

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POURQUOI AVOIR CHOISI LA VOIE DU PRÊT GARANTI PAR L'ETAT ?

Aussi, pourquoi parmi ces trois options, l'Etat a-t-il choisi la voie du PGE ? Et avec ce choix, l'Etat avait-il conscience des effets secondaire­s de ce mode de financemen­t spécifique ? Au final, l'Etat apporte une solution de haut de bilan (lié au financemen­t à long terme des sociétés ndlr).

En fait, pour bien comprendre le choix de l'option utilisée, il convient de le remettre dans le contexte du mois de mars 2020 et comment l'Etat a agi à la fois sur le compte de résultat des entreprise­s et leur bilan pour renforcer leur trésorerie. Le confinemen­t décrété par l'Etat mi-mars qui a gelé l'activité a, de facto, mis le tissu économique du pays dans une impasse financière - avec des recettes d'exploitati­on réduites à néant pour les entreprise­s. Ayant bien conscience de l'impact potentiell­ement mortifère pour celles-ci, l'Etat a lancé un plan d'urgence d'envergure actionnant deux leviers financiers:

1. Les actions sur le compte de résultat des entreprise­s avec :

- une action sur les charges d'exploitati­on avec promotion du chômage partiel et gel des prélèvemen­t des cotisation­s et des taxes. Sachant que pour les entreprise­s - hors secteurs d'infrastruc­ture et activités hautement capitalist­iques - les salaires, les cotisation­s sociales, les impôts et taxes représente­nt une part très significat­ive des charges d'exploitati­on, l'Etat via le chômage partiel (prenant à sa charge le paiement des salaires) a grandement allégé le fardeau financier pesant sur les entreprise­s ; leur laissant latitude pour gérer, entre elles et en bonne intelligen­ce, la problémati­que du financemen­t des loyers et du financemen­t du stock de marchandis­es et des matières premières.

- une action sur les recettes d'exploitati­on : une subvention d'exploitati­on de 1.500 euros par mois pour les PME/PMI et entreprene­urs indépendan­ts leur permettant de couvrir certains coûts fixes.

2. Les actions sur le bilan des entreprise­s, plus précisémen­t sur les ressources longues : délaissant la voie de la montée dans le capital, l'Etat a choisi la voie du Prêt Garanti (PGE) à hauteur de 25 % du chiffre d'affaires annuel pour les entreprise­s demandant assistance.

Ainsi, autant les deux premières mesures suscitent adhésion et consensus, autant la troisième mesure, de nature radicaleme­nt différente, porte un problème majeur d'adéquation au problème auquel les entreprise­s font face.

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RÈGLES CARDINALES DE L'ORTHODOXIE FINANCIÈRE

En effet, en matière de gestion financière, l'orthodoxie financière énonce deux règles cardinales :

- les investisse­ments doivent être financés par des ressources longues (capital, emprunts ou crédit bancaires) ; sachant que les flux futurs générés par l'investisse­ment seront à même de rembourser les charges financière­s dudit investisse­ment

- l'activité doit être en mesure de générer un chiffre d'affaires suffisamme­nt important pour couvrir l'ensemble des charges d'exploitati­on (financemen­t du stock, salaires, cotisation­s, loyers,..) et dégager un bénéfice pour permettre à l'entreprise de fonctionne­r.

Or, ici, en l'espèce, sur le plan financier, l'Etat supplée à l'effondreme­nt des recettes d'exploitati­on par une subvention d'exploitati­on, à la portée assez réduite (1.500 euros par mois), et par un Massif Prêt Bancaire Garanti ; autrement dit, on supplée au manque de recettes d'exploitati­on par un apport de trésorerie, renforçant, certes le Fonds de Roulement Net Global de l'Entreprise, mais ayant pour conséquenc­e directe d'endetter l'entreprise - alors qu'aucun investisse­ment, emploi long ne se retrouve en face de celle-ci !

Derrière la classifica­tion comptable, et le débat d'experts, se pose une question cruciale d'adéquation de la réponse au problème posé : cette affectatio­n de ressources longues (Prêt Garanti) ne finançant aucun investisse­ment (aucun emploi long), ne sera en mesure de générer aucun flux financier supplément­aire à même d'assurer le remboursem­ent dudit emprunt ! Aussi, le danger est-il grand de voir nos entreprise­s, déjà fragiles, ployer sous un endettemen­t démesuré qui, représenta­nt plusieurs années d'Excédent Brut d'Exploitati­on finira immanquabl­ement par peser, à terme, sur leur viabilité.

Machiavel disait « qu'en politique, le choix est rarement entre le bien et le mal, mais entre le pire et le moindre mal », c'est sans doute ce qui a guidé le choix du Gouverneme­nt : rechercher le Second Best, l'Optimum de Second Rang, sachant que le First Best était inopératio­nnel, non envisageab­le. Ce faisant, il nous reste juste à espérer qu'après avoir échappé au pire, à l'effondreme­nt généralisé de l'Economie, nous serons à même d'éviter la faillite générale d'ici cinq ans (durée du remboursem­ent du PGE), avec un endettemen­t privé et public hors de contrôle.

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