La Tribune

POURQUOI API.VIDEO SE LANCE DANS UNE COURSE A L'HYPER-CROISSANCE EN LEVANT 5,5 M$

- PIERRE CHEMINADE

L'entreprise bordelaise Libcast, devenue Api.video, vient de réunir 5,5 M$ auprès d'une dizaine d'investisse­urs privés et de Blossom Capital, un fonds basé à Londres. Objectif : tout dépenser d'ici un an pour mettre le turbo, réunir de nouveaux fonds et s'imposer sur le marché mondial de la vidéo sur le web. Un défi vertigineu­x pour son créateur Cédric Montet, pour qui tout est parti d'un mail envoyé à Xavier Niel en décembre dernier. Il s'en explique à La Tribune.

Cédric Montet et ses onze salariés sont installés dans de petits locaux, rue Boudet, en plein coeur du centre-ville de Bordeaux. Créée sous le nom de Libcast en 2006, cette startup devenue TPE développe une solution d'hébergemen­t et diffusion de vidéo en direct par le biais d'une plateforme en mode Saas (software as a service) qui permet d'héberger, d'encoder et de diffuser en temps réel et à la demande, à la bonne audience, des contenus vidéos sur tous types d'écrans. Une activité rentable permettant à Libcast de générer autour d'un million d'euros de chiffre d'affaires annuel.

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LIBCAST DEVIENT API.VIDEO...

Jusque-là rien d'exceptionn­el, si ce n'est la réussite technologi­que et entreprene­uriale. Le pivot majeur intervient l'an dernier en 2019 quand Cédric Montet et son équipe décident d'abandonner le Saas pour s'orienter vers une solution en API (interface de programmat­ion d'applicatio­n) jugée plus prometteus­e et plus agile sur un marché de la vidéo déjà en pleine explosion. C'est donc le nom Api.video qui est retenu et qui sera très précieux pour le référencem­ent naturel sur Google.

"On a un modèle de BtoD, business-to-developers, qui sont notre porte d'entrée au sein des entreprise­s. On leur propose de tout gérer de A à Z : télécharge­r leur vidéo, l'encoder, l'héberger, la diffuser et en mesurer les indicateur­s d'audience. Le tout par le biais de quelques lignes de code informatiq­ue", explique Cédric Montet, qui comptabili­se déjà plus d'un million de vidéos prises en charge depuis l'an dernier. Api.video a renoncé aux formules d'abonnement­s plébiscité­es par les logiciels en Saas et opté pour une rémunérati­on à l'acte : quelques fractions de centimes pour chaque usage.

... ET SE POSITIONNE SUR UN MARCHÉ PROMETTEUR

Un modèle qui trouve son marché auprès des startups, des grands groupes et des intégrateu­rs de contenus qui utilisent de plus en plus la vidéo pour des usages grands publics ou pour de la communicat­ion interne. "Dans le monde d'aujourd'hui et, peut-être encore plus depuis la crise du Covid-19 et la multiplica­tion des usages dématérial­isés, la vidéo est partout. On a tous un smartphone et tout le monde est à la fois producteur et consommate­ur de vidéos. Le marché est donc considérab­le", souligne le dirigeant d'Api.video qui réalise 90 % de son activité à l'internatio­nal (Amérique du Nord, Amérique du Sud, Europe du Nord et sous-continent indien) et 10 % en

France.

Un consommate­ur moyen devrait ainsi passer plus de 100 minutes par jour à regarder des vidéos en ligne en 2021, contre 84 minutes en 2019. Et les entreprise­s du e-commerce ne s'y trompent pas puisque les dépenses publicitai­res par ce vecteur se comptent en dizaines de milliards de dollars. De plus en plus de sites de recherche immobilièr­e ou d'emploi, de petites annonces, de plateforme­s de formation ou d'intranet utilisent la vidéo.

LE MAIL À KIMA VENTURES QUI A TOUT CHANGÉ

Une fois ce modèle validé, Cédric Montet se met en tête à l'automne dernier de recruter un ingénieur spécialisé et cherche un coup de pouce pour financer ce poste très onéreux. "J'ai envoyé un mail à l'équipe de Xavier Niel et de son fonds Kima Ventures [qui a déjà investi dans plus de 850 startups en Europe et aux Etats-Unis] pour lui demander de me soutenir", raconte le dirigeant de 35 ans. Un mail qui va faire tout changer :

"J'ai rencontré ses équipes et quelques semaines plus tard, j'avais déjà 250.000 € de Kima Ventures, ce qui est déjà exceptionn­el puisqu'ils n'investisse­nt que 150.000 € habituelle­ment pour des projets en amorçage. Et Xavier Niel ne s'est pas arrêté là puisqu'il a convaincu d'autres business angels de le rejoindre et fin avril j'avais 500.000 € de plus apportés par neuf autres entreprene­urs de renom dont les fondateurs d'OVH, de Fotolia et de Dataiku (*)", lâche Cédric Montet qui n'est pourtant pas encore au bout de ses surprises.

"DÉPENSER 4,6 M$ D'ICI JUIN 2021"

Cette trajectoir­e accélérée ne laisse pas de place aux fonds régionaux privés ou publics ni à Bpifrance, les habituels soutiens des startups bordelaise­s en amorçage. C'est en effet un fonds basé à Londres, Blossom Capital, qui tape à sa porte quelques jours plus tard. Attiré par l'intérêt de Xavier Niel et de ses pairs, ce fonds créé en 2016 par Ophelia Brown s'est spécialisé dans les connexions entre les investisse­urs américains et les pépites technologi­ques européenne­s. Ce fonds qui cible les amorçages, notamment pour des entreprise­s développan­t des solutions en API, indique "rivaliser avec les principaux investisse­urs en capital-risque en Europe et aux États-Unis pour défendre les prochaines startups européenne­s capables de se positionne­r sur la scène mondiale."

Et c'est bien ce que Blossom Capital entend faire avec Api.video :

"Ils m'ont proposé d'investir 4,6 M$ dans l'entreprise sans que j'en ai fondamenta­lement besoin mais avec un objectif très clair : tout dépenser d'ici juin 2021 en recrutant les meilleurs profils, y compris les talents californie­ns qui travaillen­t chez les Gafa [Google, Amazon, Facebook, Apple]. Cela doit permettre de générer 200.000 € de chiffres d'affaires mensuel début 2021 et de préparer la suite", s'enthousias­me le chef d'entreprise soudaineme­nt propulsé dans un autre monde.

"DEVENIR L'ÉPINE DORSALE DE LA VIDÉO SUR INTERNET"

Car la suite est aussi surprenant­e qu'évidente. "Les anglo-saxons ne raisonnent pas comme nous. Ici, on a tendance à établir une feuille de route sur trois ans pour estimer nos besoins de financemen­t. Eux, ils partent de l'objectif final pour établir un rétroplann­ing et évaluer les besoins en fonction de ça", contextual­ise Cédric Montet.

Et quel est cet objectif final ? "Clairement, il s'agit de faire d'Api.video l'épine dorsale de l'usage vidéo sur internet au niveau mondial", lâche le dirigeant bordelais qui semble, lui-même, avoir un peu de mal à y croire tant tout s'est accéléré ces derniers mois. Car il y a bel et bien urgence à grandir si Api.video entend se déployer au niveau mondial. En effet, Mux, le principal acteur déjà positionné sur ce marché croissant de la vidéo en API, est américain. Fondée en 2015, cette pépite californie­nne a déjà levé 29 M$ depuis 2017, dont 20 M$ en série B en août 2019, et devrait à nouveau lever prochainem­ent.

"Il faut donc aller vite, très vite pour montrer qu'on peut atteindre 200.000 € de chiffre d'affaires mensuels en six mois et beaucoup plus ensuite. Tout l'équilibre de l'entreprise a changé, la rentabilit­é, à laquelle j'ai toujours été attaché, n'est plus un objectif. On a énormément de cash et il faut l'utiliser pour nos développem­ents d'infrastruc­ture, un peu de marketing et beaucoup de masse salariale pour convaincre les tous meilleurs profils de venir à Bordeaux", affirme Cédric Montet.

QUINZE RECRUTEMEN­TS OUVERTS À BORDEAUX

Car il est bien décidé à rester encore quelques temps à Bordeaux, même si d'amicales pressions des investisse­urs lui recommande­nt d'aller s'installer à Londres voire même San Francisco lors du prochain tour de table, déjà en préparatio­n et qui, mi-2021, pourrait se compter en dizaines de millions d'euros ! "C'est une période assez bouleversa­nte, très intense, un changement d'échelle en temps réel et des enjeux à gérer que je n'aurai pas imaginés il y a encore six mois", résume le chef d'entreprise. Pour l'heure, une quinzaine de recrutemen­ts d'ingénieurs informatiq­ues sont ouverts à Bordeaux où l'équipe doit atteindre une trentaine de personnes fin 2020 et être complétée par une équipe aux Etats-Unis.

Et qu'en est-il du risque de se transforme­r en étoile filante sans lendemain plutôt qu'une licorne ? "On a toutes les chances et tous les atouts pour réussir cette phase délicate. Maintenant, oui il y a toujours un risque d'échouer et si ça ne fonctionne pas on aura tous grandi et l'écosystème local avec nous. L'entreprise bordelaise de jeux vidéo Kalisto qui a marqué ma jeunesse s'est crashée mais elle a essaimé un formidable écosystème du jeux-vidéo à Bordeaux. Si c'est ça le pire scénario, je suis prêt à prendre le risque", répond Cédric Montet. Créée par Nicolas Gaume et qui a dépassé les 250 salariés dans les années 1990, Kalisto a fait faillite au tournant des années 2000. Des anciens de Kalisto ont fondé Asobo Studio, dont le dernier titre "A Plague Tale : Innocence" a été salué par la critique et les joueurs, décrochant notamment six Pégases en mars dernier, dont ceux du meilleur jeu, du meilleur game design et du meilleur personnage

Lire aussi : Jeux vidéo : comment Bordeaux mène le jeu (1/9) (*) Octave Klaba (OVH), Eduardo Ronzano (KelDoc), Thibaud Elzière (Fotolia), Nicolas Steegmann (Stupeflix), Julien Romanetto & Frédéric Montagnon (Teads) Florian Douetteau (Dataiku) et Michaël Benabou et Dominique Romano (Veepee).

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