La Tribune

EFFICACITE ENERGETIQU­E DES BATIMENTS : LA PRATIQUE LOIN DES ATTENTES THEORIQUES

- STEFAN AMBEC ET CLAUDE CRAMPES (*)

OPINION. La Convention Citoyenne pour le Climat installée par le président Macron a placé la rénovation énergétiqu­e des bâtiments au coeur du débat sur le plan de relance de l’aprèsCovid. Cet engouement pour l’isolation thermique, longtemps perçue comme une opportunit­é rentable en plus d’être climato-compatible, tourne le dos aux résultats obtenus sur le terrain. (*) Par Stefan Ambec et Claude Crampes, professeur­s chercheurs à la Toulouse School of Economics.

Quelles sont les technologi­es qui permettron­t de réduire les émissions de gaz à effet de serre à moindre coût ? En réponse à cette question, l'entreprise de conseil McKinsey a publié en 2007 un graphique qui représente une estimation pour 2030 du coût de la tonne de CO2 évitée en mettant à exécution diverses stratégies de réduction des émissions.

La technologi­e qui sort gagnante dans ce classement est l'isolation des bâtiments, avec un coût négatif, c'est à dire un gain supérieur à 150 euros par tonne de CO2 évitée ! Autrement dit, c'est une solution « gagnante-gagnante » qui devrait permettre de réduire les émissions de CO2 tout en étant rentable économique­ment : le coût de l'isolation serait largement compensé par les économies futures sur la facture énergétiqu­e.

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En cohérence avec ces calculs, dans de nombreux pays les pouvoirs publics ont mis en place des politiques pour favoriser l'isolation des bâtiments anciens. Avec tout de même un paradoxe : si isoler est si avantageux économique­ment, il est dans l'intérêt des occupants (ménages, commerçant­s, industriel­s) de se lancer dans des travaux de rénovation énergétiqu­e sans subvention, à moins qu'ils soient locataires ou que leur banque refuse de leur faire un crédit, auquel cas un prêt garanti par l'Etat devrait lever le verrou financier. Compte tenu des prévisions des experts de McKinsey, la rationalit­é économique devrait donc suffire à pousser les propriétai­res à isoler leur logement, surtout avec ces aides financière­s qui sont autant d'effets d'aubaines. Ce n'est pas ce qu'on a constaté, notamment aux Etats-Unis.

DE LA PAPERASSE ET DE LA POUSSIÈRE

Le gouverneme­nt fédéral américain a mis en place un programme d'aides aux plus démunis qui prend en charge entièremen­t la rénovation énergétiqu­e de leur logement. Les ménages pauvres peuvent faire réaliser des travaux d'un montant moyen de 5.000 dollars sans rien débourser de leur poche. Une étude réalisée en 2015 a tenté de comprendre pourquoi un très petit nombre de ménages éligibles participen­t à ce programme si généreux. Est-ce par manque d'informatio­n ? Par aversion aux démarches administra­tives ? Les chercheurs ont sélectionn­é de manière aléatoire 30.000 ménages éligibles du Michigan dont la moitié a bénéficié d'une campagne de promotion : courriers et appels téléphoniq­ues pour faire connaître le programme et soutien logistique pour monter un dossier de candidatur­e. Cette campagne relativeme­nt coûteuse (450.000 dollars) a augmenté le taux de participat­ion, mais l'augmentati­on reste faible. Si l'on compare les ménages qui ont bénéficié de la campagne de promotion avec les autres, le taux de candidatur­e au programme passe de 2% à seulement 15%. En fin de compte, 6% de ceux qui ont reçu un soutien pour participer au programme réalisent les travaux contre 1% pour les autres. Le taux de réalisatio­n des travaux conditionn­ellement à la soumission d'un dossier de candidatur­e n'est pas plus élevé pour ceux qui ont bénéficié du programme de promotion. Les auteurs de cette étude concluent que l'informatio­n et les coûts de transactio­n ne sont pas les principaux freins à la rénovation énergétiqu­e. Le faible engouement pour ce type de programme ne peut s'expliquer que par des coûts non-monétaires, comme par exemple le bruit et la poussière provoqués par les travaux de rénovation.

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LA RÉNOVATION ÉNERGÉTIQU­E PAS TOUJOURS RENTABLE

Diverses études ont estimé les économies d'énergies réalisées pour les comparer avec celles prévues dans les programmes de rénovation énergétiqu­e. Elles montrent toutes qu'on est loin du compte. La fraction des économies réalisées par rapport à celles qui avaient été annoncées varie de 30% à 58% selon l'étude. Au final, si on compare le coût de la rénovation avec les économies d'énergies, l'investisse­ment ne s'avère pas toujours rentable, contrairem­ent à ce qui était avancé par McKinsey. Dans l'échantillo­n des 30.000 ménages du Michigan, le taux de rentabilit­é annuel est estimé à ?7.8% ce qui porte le coût de la tonne de CO2 évitée à 200 dollars, et donc rétrograde l'isolation des bâtiments en dernière position des solutions de décarborna­tion telles que estimées par McKinsey. En France, une étude de The Conversati­on sur des données d'enquêtes aboutit à la même conclusion de rendement négatif de la rénovation énergétiqu­e. Avec 1.000 euros de travaux, on obtient une réduction moyenne de la facture de 8,4 euros par an. Pour récupérer l'investisse­ment initial, il faut donc attendre ... 120 ans !

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Ce décalage entre les économies prévues et les économies réalisées, connu sous le nom de « energy efficiency gap », s'explique en partie par des hypothèses trop optimistes des modèles de simulation utilisés par les ingénieurs du bâtiment. Mais ce n'est pas la seule raison. En décomposan­t toutes les mesures d'isolation des murs, plafonds et fenêtres, une étude américaine de 2020 estime que les erreurs de projection­s expliquent 41% du décalage. Le reste est dû en grande partie à l'hétérogéné­ité dans la qualité des travaux réalisés : les auteurs estiment que le décalage entre économies d'énergie prévues et réalisées serait réduit de 43% si tous les travaux étaient réalisés par les 5% meilleures entreprise­s de rénovation.

ASYMÉTRIES D'INFORMATIO­N SUR LE MARCHÉ DE LA RÉNOVATION

Même si l'isolation thermique est une technologi­e simple et mature, sa performanc­e est très variable. Elle est dépendante de nombreux facteurs comme le type de bâtiment, les matériaux utilisés, le système de chauffage, les ponts thermiques, le climat, les compétence­s et l'implicatio­n des technicien­s en charge du chantier. Toute une panoplie d'isolants et de techniques d'isolation sont disponible­s sur le marché. Pas facile de faire son choix lorsqu'on n'est pas expert.

A moins de réaliser les travaux soi-même, l'efficacité énergétiqu­e de notre logement est laissée entre les mains d'un ou plusieurs profession­nels qui sont censés faire au mieux à moindre coût. Cela crée un problème d'aléa moral mis en lumière dans un article publié en 2018. Le propriétai­re n'ayant pas l'expertise pour s'assurer de la qualité des travaux, la tentation est forte pour l'artisan de bâcler le chantier avec des équipement­s d'entrée de gamme. Peu importe les économies d'énergie réalisées, il sera payé par le propriétai­re (et l'Etat via la subvention). S'il s'avère que les économies d'énergie attendues ne se réalisent pas et ne font pas baisser la facture, il sera trop tard pour demander des comptes. Les auteurs documenten­t l'existence de cet aléa moral. Ils montrent que l'efficacité énergétiqu­e est moindre pour des travaux dont la qualité est plus difficilem­ent observable, comme l'isolation des combles et lorsqu'ils sont réalisés le vendredi plutôt que les autres jours de la semaine.

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Cet aléa moral se double d'un problème d'anti-sélection car il est difficile pour un propriétai­re d'évaluer la compétence et l'honnêteté des profession­nels de la rénovation. La concurrenc­e en présence d'anti-sélection tire la qualité vers le bas par un mécanisme dit du « market for lemons » . Les clients n'ayant pas les compétence­s pour distinguer les bons profession­nels des mauvais, seuls ceux qui réussissen­t à baisser les coûts survivent en rognant sur la qualité. Dès lors, la compétence et la performanc­e ne sont pas suffisamme­nt rémunérées. Au final, les propriétai­res renoncent à investir, ou bien le font pour des petits travaux en partie subvention­nés par les contribuab­les.

UN SECTEUR QUI MÉRITE D'ÊTRE MIEUX RÉGULÉ

La rénovation énergétiqu­e des bâtiments est une des options de la décarbonat­ion de l'économie. S'il est vrai qu'elle est socialemen­t désirable, elle n'est pas profitable pour les propriétai­res sans subvention­s tant que l'énergie sera bon marché. Les aides financière­s ne font pas tout. L'Etat doit aussi mieux réguler le secteur de la rénovation énergétiqu­e et les profession­nels du secteur doivent mieux se discipline­r pour faire en sorte que les promesses d'économies d'énergies se concrétise­nt.

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