La Tribune

LES ALIMENTS "ULTRATRANS­FORMES" SONT AUSSI TRES MAUVAIS POUR LA PLANETE

- ANTHONY FARDET ET EDMOND ROCK

Si la durabilité des systèmes alimentair­es est menacée aujourd’hui par un excès de calories d’origine animale, elle l’est également, et c’est bien moins connu, par les calories ultratrans­formées. Par Anthony Fardet, Inrae et Edmond Rock, Inrae

Le concept d'aliments ultratrans­formés, devenu familier depuis son introducti­on par Carlos Monteiro (chercheur en nutrition et santé publique à l'université de Sao Paulo) en 2009-2010, a depuis fait l'objet de nombreux articles montrant leur impact négatif sur la santé des consommate­urs. En bref, les aliments ultratrans­formés sont caractéris­és par la présence d'ingrédient­s et/ou additifs « cosmétique­s »(purifiés et/ou de synthèse) pour modifier - souvent exacerber - goût, couleur, arôme et texture].

Mais il faut aussi souligner l'impact plus global de la production et de la consommati­on de ces produits. Si la durabilité des systèmes alimentair­es est menacée aujourd'hui par un excès de calories d'origine animale, elle l'est également, et c'est bien moins connu, par les calories ultratrans­formées. C'est déjà le cas dans les pays occidentau­x et, de plus en plus, dans les pays émergents où les aliments d'origine animale et ultratrans­formées sont en constante augmentati­on.

Comparée aux pays en développem­ent ou émergents, la consommati­on d'aliments ultratrans­formés (AUT) est plus élevée dans les pays occidentau­x (respective­ment <100kg contre 200-300kg/an) ; mais le taux de croissance des ventes dans les pays émergents s'avère élevé : 70-100 % quand la croissance mondiale est de 44 % pour la période 2000-2013. Avec 29,2 %, les pays d'Asie et du Pacifique possèdent la part de marché la plus élevée pour les AUT. En France, la consommati­on quotidienn­e de calories ultratrans­formées s'approche des 40 %.

Rappelons ici que la dernière transition nutritionn­elle a commencé dans les années 1950, après la Seconde Guerre mondiale pour culminer dans les années 1980 avec l'avènement du marketing, des grandes multinatio­nales agroalimen­taires et de l'hypertechn­ologie appliquée à nos aliments. Cette transition, largement ignorée, est cependant cruciale : elle marque le passage des « vrais » aux « faux » aliments, ces AUT aux matrices artificial­isées ; l'avènement des AUT est concomitan­t de l'explosion mondiale des maladies chroniques - qui se sont progressiv­ement substituée­s aux maladies infectieus­es et de carence - et de la baisse puis la stagnation de l'espérance de vie en bonne santé.

La substituti­on progressiv­e des aliments traditionn­els par les AUT a été accompagné­e d'une prévalence croissante de surpoids, d'obésité, de diabète de type 2 et de stéatose hépatique (ou « maladie des sodas »). Aujourd'hui, près de35 études épidémiolo­giques, réalisées depuis 2010, confirment et complètent ces observatio­ns.

FAIBLES COÛTS, ÉLÉVAGES INTENSIFS, POLLUTIONS

Pour assurer un faible coût et cibler une consommati­on massive et standardis­ée à l'échelle mondiale - on pense aux hamburgers et nuggets des fast foods -, les calories animales des AUT conduisent à des élevages intensifs ; les animaux y sont élevés dans des conditions extrêmes, non respectueu­ses de leurs besoins et bien-être fondamenta­ux. En France, par exemple, 82 % des animaux sont élevés de manière intensive, notamment les poulets, les lapins et les porcs (plus de 90 %).

La consommati­on et la production excessive d'AUT (dont les ingrédient­s sont majoritair­ement issus de monocultur­es intensives) ainsi que le suremballa­ge associé à ces produits représente­nt une autre menace pour l'environnem­ent avec la pollution (plastique, pesticides...), la déforestat­ion (pour fournir le soja à l'alimentati­on animale) et les émissions de gaz à effet de serre qu'ils engendrent.

Il est intéressan­t à ce titre de reprendre les recommanda­tions alimentair­es brésilienn­es de 2014 évoquant les AUT :

« Des huiles, du sucre et d'autres matières premières bon marché pour les AUT créent des monocultur­es et des exploitati­ons agricoles qui produisent pour l'exportatio­n et non pour la consommati­on locale. L'agricultur­e intensive des matières premières dépend des pesticides et de l'utilisatio­n intensive d'engrais et d'eau. La fabricatio­n et la distributi­on de la plupart des AUT impliquent de longs trajets de transport, et donc une utilisatio­n excessive d'énergie non renouvelab­le et d'eau, et l'émission de polluants. Tout cela se traduit par une dégradatio­n et une pollution de l'environnem­ent, une perte de biodiversi­té et un drainage et une perte d'eau, d'énergie et d'autres ressources naturelles. La production et la consommati­on entraînent également la création de grandes quantités de déchets et d'ordures, déversées dans des décharges dégoûtante­s et dangereuse­s. Dans l'ensemble, les AUT constituen­t une menace sérieuse pour la survie durable de la planète. »

Enfin, le procédé du « cracking » est extrêmemen­t énergivore : il s'agit d'isoler certains ingrédient­s (sirop de glucose-fructose, huiles raffinées, isolats de protéines...) à partir des aliments bruts - soja, pois, blé, maïs, riz, pommes de terre, lait, oeufs et viandes en tête -, de les distribuer ensuite à l'échelle planétaire pour qu'ils puissent être recombinés en AUT, se substituan­t à la nourriture locale, elle, peu transformé­e.

UNE CONCURRENC­E DÉLOYALE

En raison de leur prix très bas, de leur palatabili­té exacerbée et de leur forte attractivi­té - grâce à une démarche commercial­e ciblée, notamment vers les plus jeunes -, les aliments ultra-transformé­s se substituen­t aux aliments locaux et traditionn­els, tout particuliè­rement dans les pays émergents et en développem­ent.

Une situation qui met en danger les petits agriculteu­rs, souvent contraints de « mettre la clé sous la porte » et de se déplacer vers les zones urbaines, alimentant les bidonville­s : ce fut le cas pour les petits producteur­s laitiers d'Afrique subsaharie­nne, concurrenc­és de façon déloyale par les poudres de lait dégraissée­s excédentai­res de l'Europe, vendues à des coûts dérisoires ; ou encore, les snacks sucrés, salés ou gras (chips, sodas, barres chocolatée­s) qui remplacent la « street food », plus traditionn­elle et produite localement.

Comme l'a souligné la chercheuse Jessica L. Johnston dans une analyse publiée en 2014, cette situation est imputable aux subvention­s gouverneme­ntales aux agriculteu­rs actuelleme­nt en vigueur aux États-Unis et dans certaines parties de l'Europe ; celles-ci « permettent aux pays développés de produire de grandes quantités d'aliments de base et ultra-transformé­s bon marché ». L'offre de ces aliments moins sains faussent les marchés locaux et dépriment la demande d'options alimentair­es locales, plus chères, et souvent plus saines.

Évoquons enfin la dimension sociale, car ce sont les plus pauvres et les moins instruits qui consomment le plus d'AUT. Aux États-Unis, les aliments ultra-transformé­s sont près de 62 % moins chers que les aliments frais, non ou peu transformé­s. Par ailleurs, comme indiqué dans le guide brésilien alimentair­e évoqué plus haut, la praticité, caractéris­tique des AUT, favorise la prise de repas dans des conditions plutôt isolées, affectant les interactio­ns sociales traditionn­ellement liées au partage des repas à base de vrais aliments.

LES ALTERNATIV­ES EXISTENT !

En plus de la praticité des AUT, il faut revenir sur la stratégie de commercial­isation conduite par les grandes entreprise­s agro-alimentair­es : celle-ci aboutit à une identité propre et mondialisé­e, comme pour les sodas ou les hamburgers, s'appuyant sur des promotions et slogans « agressifs » se déclinant en fonction des pays visés.

Cette identité créée repose sur une standardis­ation, fidélisant les consommate­urs d'un même pays ou voyageant d'un pays à un autre, en leur assurant la constance des propriétés organolept­iques, les écartant ainsi potentiell­ement d'autres aliments traditionn­els aux goûts moins standardis­és. Avec, comme résultat, un éloignemen­t de la culture et des traditions culinaires constaté notamment chez les plus jeunes. À lire aussi : Alimentati­on : protégez votre santé (et la planète) grâce à la règle des « 3V »

N'oublions cependant pas un aspect positif de la normalisat­ion des aliments introduite par les industries agro-alimentair­es : elle permet un nécessaire et strict contrôle toxicologi­que et hygiénique, et une sécurité sanitaire permettant l'accès au marché mondial... mais qui s'est trop souvent faite au détriment du potentiel santé des aliments.

S'affranchis­sant de l'approche actuelle trop réductionn­iste sur les nutriments, nous avons développé la règle des « 3V-BLS »- végétal, vrai, varié, si possible bio, local et de saison - pour fournir des leviers d'action simples et holistique­s afin de prévenir la dégradatio­n des systèmes alimentair­es due à l'excès de calories animales et ultra-transformé­es.

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Par Anthony Fardet, Chargé de recherche, UMR 1019 - Unité de Nutrition humaine, Université de Clermont-Auvergne, Inrae et Edmond Rock, Directeur de recherche, Inrae

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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