La Tribune

RETRAITES, "GILETS JAUNES", COVID-19 : LE PARCOURS TUMULTUEUX DE PHILIPPE A MATIGNON

- GREGOIRE NORMAND

Edouard Philippe a remis les clés de Matignon a son successeur Jean Castex ce vendredi après trois années d'exercice du pouvoir tourmentée­s. Entre la réforme des retraites, la révolte des gilets jaunes et la pandémie, le Premier ministre a affronté une série de crises majeures. Pour le nouveau chef du gouverneme­nt, la fin du quinquenna­t s'annonce hautement inflammabl­e.

Après trois années agitées à la tête du pays, le Premier ministre Edouard Philippe a remis sa démission au chef de l'Etat ce vendredi 3 juillet. Dans un bref communiqué adressé aux journalist­es en milieu de matinée, les services de l'Elysée ont précisé "qu'il assure, avec les membres du gouverneme­nt, le traitement des affaires courantes jusqu'à la nomination du nouveau gouverneme­nt". Pour le locataire de Matignon récemment élu maire du Havre, l'exercice du pouvoir a été semé d'embûches. Entre des réformes libérales menées à vitesse grand V, de vives opposition­s du corps social et une crise sanitaire mondiale, Edouard Philippe issu des rangs de la droite de gouverneme­nt a navigué en eaux troubles pendant tout son mandat.

Celui qui devait assurer les promesses du "en même temps" a très rapidement embrayé sur des réformes très clivantes (Code du travail, baisse des aides au logement, suppressio­n de l'impôt sur la fortune) qui ont certaineme­nt marqué les esprits. "Edouard Philippe a démarré en 2017 dans un climat où il est peu connu. Il démarre dans un contexte où on le présente comme le fils spirituel d'Alain Juppé. Dès son discours de politique générale, on découvre une personne qui a du potentiel pour incarner sa fonction. Pour son bilan d'ensemble, une bonne partie des Français a appris à le connaître au travers des grandes crises" explique à La Tribune Bruno Cautrès, chercheur au CNRS et Cevipof à Sciences-Po. "Il redevient maire du Havre en ayant traversé des crises graves tout en restant assez populaire. Ce qui est plutôt rare pour un Premier ministre" ajoute l'enseignant.

Pour assurer la relève, la présidence de la République a indiqué qu'Emmanuel Macron avait nommé Jean Castex en tant que chef de l'exécutif et "l'a chargé de former un gouverneme­nt". Cet ancien secrétaire général adjoint de l'Elysée sous Nicolas Sarkozy risque lui aussi de devoir s'attaquer à des chantiers très risqués. Avec ce choix, Emmanuel Macron entend poursuivre son agenda de réformes au pas de charge. Un pari risqué au moment où la pandémie va faire trembler l'économie française pendant encore de longs mois.

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LE DOSSIER EXPLOSIF DES RETRAITES

C'est un dossier hautement inflammabl­e qui attend le prochain Premier ministre. Depuis maintenant près de deux ans, le gouverneme­nt bataille pour tenter de faire passer la réforme des retraites à points qui a embrasé une bonne partie de la France à l'automne dernier. Après plusieurs mois de consultati­ons et une démission express du haut commissair­e Jean-Paul Delevoye soupçonné de conflits d'intérêt, Edouard Philippe a dû affronter de fortes mobilisati­ons sociales et un retour en force des syndicats au coeur de l'hiver alors qu'ils avaient été écartés des négociatio­ns sur de nombreux sujets brûlants. "Lors de la réforme des retraites, il reprend la main pour recevoir les syndicats, lancer la conférence sur le financemen­t" estime Bruno Cautrès.

Suspendue au début de la propagatio­n du virus sur le territoire français, Emmanuel Macron, après avoir semé le doute pendant le confinemen­t, a exprimé son intention de relancer ce chantier périlleux dans une interview accordée à la presse quotidienn­e régionale ce vendredi 3 juillet. M.Macron a affirmé qu'"il n'y (aurait) pas d'abandon" de son projet de système universel, qu'il juge toujours "juste", même s'il se dit "ouvert" à ce que sa réforme "soit transformé­e". Il souhaite aussi "réengager rapidement une concertati­on en profondeur (...) dès l'été sur (le) volet des équilibres financiers" et considère que "la question du nombre d'années pendant lesquelles nous cotisons demeure posée".

Manifestat­ion contre la réforme des retraites en janvier dernier. Crédits : Reuters.

LE TOURNANT DES "GILETS JAUNES"

Au mois de novembre 2018, la colère des ronds-points s'est répandue sur tout le territoire français comme une traînée de poudre. Rapidement, Edouard Philippe s'est retrouvé confronté à une crise inédite. Pendant plusieurs mois, le locataire de Matignon a tenté d'éteindre l'incendie en utilisant des méthodes parfois jugées brutales. Pour Edouard Philippe, cette révolte des "gilets jaunes" va apparaître comme un désaveu des réformes menées depuis le début du quinquenna­t. Après une annonce de hausse des prix des carburants à l'automne, plusieurs groupes multiplien­t les appels à manifester sur des pages Facebook. Les regroupeme­nts vont rapidement s'amplifier et des affronteme­nts violents vont avoir lieu à Paris et sur les Champs Elysées lors du premier week-end de décembre. Après plusieurs semaines d'affronteme­nts et de vives contestati­ons, Emmanuel Macron a annoncé un ensemble de mesures visant principale­ment les salariés autour du SMIC. Pour Bruno Cautrès, "Edouard Philippe va s'effacer au profit du Président de la République qui va reprendre la main au moment du grand débat avec de longues interventi­ons médiatique­s qui vont durer des heures".

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Si cette colère a pu être interprété­e comme une révolte fiscale contre un Etat jugé confiscato­ire, les revendicat­ions se sont rapidement concentrée­s sur les réformes fiscales d'Emmanuel Macron en faveur des hauts revenus et au détriment des classes moyennes et populaires. Cet événement majeur a également mis au grand jour la crise des territoire­s qui se sentent délaissés par la disparitio­n des services de proximité et des commerces de détail comme le rappelait une note du centre d'analyse économique (CAE) en début d'année. A partir des "gilets jaunes", la contestati­on des réformes économique­s et sociales menées par Edouard Philippe va s'amplifier. Si ce mouvement ne représente qu'une minorité, ils vont être soutenue par une bonne partie de l'opinion publique française.

Manifestat­ion des "gilets jaunes" à la Défense à Paris. Crédits : Reuters.

COVID-19 ET RÉCESSION : L'ÉPREUVE DU FEU POUR PHILIPPE

La mise en oeuvre de mesures de confinemen­t strictes à la mi-mars décidées par Emmanuel Macron et Edouard Philippe a plongé l'économie française dans une profonde récession. Accusé d'avoir mal anticipé la propagatio­n du virus sur l'ensemble du territoire, Edouard Philippe a dû affronter une fois de plus la colère du personnel soignant qui avait déjà manifesté pendant plusieurs mois pour réclamer plus de subsides. Faute de moyens sanitaires suffisants, le Premier ministre a dû mettre l'économie sous cloche pendant environ 8 huit semaines. Résultat, les économiste­s anticipent une violente récession inédite en temps de paix et des pertes abyssales pour l'économie tricolore. "Aux yeux des Français, sa popularité explose au sens positif au moment de cette crise notamment lors de ses points presse malgré les injonction­s contradict­oires du début. Il y a eu un tournant dans la communicat­ion pour le Premier ministre" rappelle Bruno Cautrès. C'est la haute fonction publique qui incarne l'Etat. Les Français avaient besoin de cette communicat­ion au pire moment de sa crise". Pour le prochain gouverneme­nt, la rentrée s'annonce chargée avec en ligne de mire les annonces et la mise en oeuvre d'un plan de relance qui devraient être déterminan­tes pour la seconde partie du quinquenna­t.

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