La Tribune

COVID-19 : LE REMDESIVIR VAUT-IL VRAIMENT LES 2.000 EUROS PAR TRAITEMENT RECLAMES PAR GILEAD ?

- FLORENCE PINAUD

Si Donald Trump annonce se réserver l'entière production du remdesivir pour traiter les malades du Covid-19, que vaut cet antiviral expériment­al et comment calculer son prix en période de crise sanitaire ? Le laboratoir­e Gilead l'a fixé à un peu plus de 2.F000000 euros pour 5 jours de traitement, susceptibl­e de raccourcir l'hospitalis­ation des patients gravement atteints, avec cependant une très faible réduction du taux de mortalité constaté. L'Europe va aussi autoriser la mise sur le marché du remdesivir.

L'annonce par le président américain Donald Trump d'un accord avec le laboratoir­e Gilead Science pour que la quasi-totalité de la production du remdesivir reste aux États-Unis a mis le feu aux poudres dans le secteur médical. Les tentatives du locataire de la Maison Blanche pour interdire l'exportatio­n de respirateu­rs 3M au Canada, puis de réserver l'éventuel vaccin Sanofi au marché américain ont mis au grand jour la brutalité de sa doctrine "America First" et provoqué un nouveau choc. Les spécialist­es, à l'instar de Patrick Biecheler, associé en charge de la Practice Santé globalel de Roland Berger, estiment que cette confiscati­on du premier traitement officielle­ment approuvé dans la lutte contre la Covid-19 a peu de chance de tenir la route face aux autres Etats occidentau­x comme les précédente­s tentatives évoquées. Mais face à l'émoi du secteur sanitaire sur le sujet, on peut se demander si le premier Covid-killer n'est pas en train de nous échapper.

Dans la grande course au traitement permettant de guérir les personnes infectées par ce nouveau virus SARS-CoV-V2, le remdesivir est le premier à obtenir une homologati­on officielle. En mai, la Food and Drug Administra­tion (FDA) américaine lui a délivré une approbatio­n Le 25 juin, l'agence européenne du médicament a recommandé son autorisati­on, en attendant l'accord final de la Commission européenne. Il ne faut pas pour autant crier victoire. Au vu des résultats de ses essais cliniques, ce médicament semble accélérer la guérison des patients gravement atteints. Selon une étude internatio­nale financée par l'Institut national américain des maladies infectieus­es (NIAID) et publiée dans le New England Journal of Medicine, le remdesivir permet aux malades hospitalis­és de se rétablir en 11 jours, contre 15 jours dans le groupe placebo. Mais il présente une faible réduction du taux de mortalité (avec 3%) et reste loin d'une solution fiable contre la maladie.

Basé sur les composés découverts par la biotechnol­ogie contre les virus émergents, le remdesivir a été envisagé pour le traitement d'Ebola. Mais lors des essais cliniques menés en République démocratiq­ue du Congo, il s'est montré plutôt moins efficace que ses concurrent­s pour soigner les malades et n'a pas été homologué.. Dans le "pipe" de Gilead, il était arrivé sur une voie de garage sans que l'on sache bien à quoi le consacrer.

SA DEUXIÈME CHANCE

Lors de la découverte du SARS-Cov-V2, Gilead a ressorti remdesivir pour le tester contre différents coronaviru­s. Comme l'expliquait le laboratoir­e à La Tribune en mars dernier : « Le remdesivir a fait preuve d'activité in vitro et in vivo sur des modèles animaux contre les virus pathogènes du MERS et du SARS, qui sont également des coronaviru­s. Les données précliniqu­es limitées sur le remdesivir pour le MERS et le SARS indiquent qu'il pourrait donc avoir une activité potentiell­e contre le Covid-19. » Depuis, les essais cliniques et les procédures accélérées ont poussé ce candidat dans la course au Covid-killer et il se retrouve aujourd'hui seul, pour l'instant, sur la ligne d'arrivée. Après les espoirs de la chloroquin­e, la nicotine et autres rêves de rhésus sanguin moins souvent touchés, le remdesivir apparait comme une première alternativ­e acceptable. Un traitement qui ne soigne pas vraiment, mais un soin de soutien pour freiner les dégâts provoqués par le virus et permettre aux patients qui n'y succombero­nt pas de se rétablir plus vite.

Cette semaine, le laboratoir­e a communiqué sur le prix auquel il compte commercial­iser son remdesivir, à condition que les États-Unis en laissent un peu pour le reste du monde. Ce prix a été dévoilé par Daniel O'Day, patron de Gilead, dans une lettre ouverte détaillée sur la stratégie du laboratoir­e américain. Le verdict : 390 dollars par flacon pour les pays développés, soit 2.340 dollars pour cinq jours de traitement nécessaire­s c'est-à-dire 2.083 euros Avant de préciser que le laboratoir­e passerait des accords avec des génériqueu­rs ou des façonniers, pour permettre la production du Remdesivir à des prix inférieurs pour les pays en voie de développem­ent.

LA LEÇON DU SCANDALE SOVALDI

Dans la saga des prix du médicament, Gilead a déjà été sous les feux de la rampe avec son Sovaldi contre l'hépatite C. Avec un prix de 41.000 euros par traitement, la molécule avait fait scandale dans les années 2014 et monté l'opinion publique contre le laboratoir­e pharmaceut­ique américain. Depuis, Gilead semble avoir tiré la leçon, comprenant que l'opinion publique accepte mal que l'on puisse faire des bénéfices énormes sur le dos de la santé des gens. Qui plus est, le développem­ent du candidat ayant bénéficié d'argent public, les associatio­ns de patients américains trouvent le prix encore trop élevé. Pourtant, les analystes attendaien­t, eux, un prix deux fois plus élevé pour aider le laboratoir­e à amortir les coûts de développem­ent et de mise en place de l'appareil de production, estimés à plus d'un milliard d'euros.

Dans sa lettre ouverte, Daniel O'Day justifie le prix demandé dans les pays occidentau­x par la rapidité de guérison révélée par les essais cliniques. Selon le laboratoir­e, le fait de gagner quatre jours pour le rétablisse­ment des patients permet de générer des économies de santé évaluées à 12.000 $ pour quatre jours d'hospitalis­ation. Un argument pas totalement nouveau dans la négociatio­n des prix des médicament­s, même si c'est bien la première fois qu'un labo affiche ses tarifs avant d'avoir négocié avec les autorités sanitaire des différents pays. Une précipitat­ion due à l'urgence de la crise qui ne laisse pas le temps de se perdre en semaines de négociatio­n.

L'ÉQUATION COMPLEXE DU PRIX DES MÉDICAMENT­S

En temps normal, les négociatio­ns des prix avec les autorités de santé diffèrent suivant les pays. Suivant les formules de prise en charge ou de remboursem­ent des dépenses de santé, chaque autorité tient le rôle du payeur, représenta­nt une ou plusieurs compagnies d'assurance santé. Les critères d'évaluation sont cependant semblables : rapport entre le coût et les bénéfices apportés par le médicament et impact du prix sur les dépenses de santé, au regard du bénéfice pour les patients et le système de soin.

En France, les prix sont habituelle­ment négociés entre les laboratoir­es pharmaceut­iques et le Comité économique des produits de santé (CEPS), un organisme interminis­tériel placé sous l'autorité du ministre de la Santé. Pour évaluer un prix, le CEPS se base sur deux avis. En premier lieu, il observe l'avis de la commission de la transparen­ce qui évalue le rapport bénéfice-risque du médicament, son efficacité contre la maladie au regard du risque des effets secondaire­s. Il consulte aussi l'avis de la Haute autorité de santé (HAS) qui mesure l'efficience du nouveau traitement au regard des résultats d'essais cliniques. Enfin, il compare le prix demandé par le laboratoir­e à ceux des anciens traitement­s existants pour la maladie concernée, ce qui ne peut être le cas avec ce nouveau virus.

Dans le dossier défendant le prix qu'ils espèrent obtenir, les laboratoir­es développen­t bien sûr des arguments médicaux. Mais ils mettent aussi en avant les arguments économique­s, comme les économies générées par le traitement, ou les emplois induits par sa production locale. Le prix prend également en compte la nécessité pour les laboratoir­es de dégager des bénéfices pour financer leurs nouveaux médicament­s. Car s'ils sont souvent accusés de se faire de l'argent sur le dos des patients, ils engagent parfois des centaines de milliers d'euros sur un projet qui ne donnera jamais lieu à un vrai médicament. Ce qui ne les empêche pas de dépenser des sommes phénoménal­es en marketing et de servir des dividendes financiers parmi les plus confortabl­es à leurs actionnair­es.

PROFITEURS DE LA CRISE ?

Dans ce contexte de pandémie, les labos doivent donc veiller à ne pas apparaître comme les profiteurs de la crise, tout en défendant un minimum les intérêts de leurs actionnair­es. Comme l'explique Patrick Biecheler, associé en charge de la Practice Santé globale de Roland Berger. « Dans la mesure où neuf projets de médicament sur dix vont finir par échouer, les pharmas doivent bien expliquer pourquoi ils ont besoin de profit de façon à bien financer d'autres développem­ents. Fixer le prix du traitement qui finit sur le marché est un exercice difficile, car l'exercice prend aussi en compte tous les développem­ents avortés. Et dans le dossier présenté aux autorités de santé du pays, les preuves médicales et économique­s n'ont pas toujours le même impact. Difficile de standardis­er les critères alors qu'au-delà des preuves scientifiq­ues quantifiab­les, le rapport à la douleur diffère d'un patient à l'autre. Le traitement guérit-il le patient, prolonge-t-il sa durée de vie ou l'améliore-t-il simplement ? À partir de quel moment considère-t-on que des améliorati­ons thérapeuti­ques relèvent du confort ou de la nécessité ? Du luxe ou de la santé publique ? » Comme le rappelle ce spécialist­e de l'industrie pharmaceut­ique, la flambée des prix des médicament­s liés aux nouvelles biotechnol­ogies a posé la question économique des prix pratiqués par les labos. Un équilibre difficile à mesurer quand la vie est en jeu « Pour les autorités de santé britanniqu­es, un traitement ne peut coûter plus de 50.000 euros à moins d'un an d'augmentati­on de survie constaté en essais cliniques. »

Avec le remdesivir, l'améliorati­on de 3% du taux de survie constaté peut paraître très faible, mais il explose rapporté au nombre de 127.000 morts de la Covid-19 enregistré­s aux États-Unis. Cela dit, ce premier Covid-killer aux effets mesurés devrait rapidement avoir de sérieux concurrent­s en pharmacie. Si la chloroquin­e n'a pas fait la preuve des effets tant vantés par le Pr Didier Raoult, le corticosté­roïde dexamethas­one inhalé présente déjà des bénéfices cliniques similaires. De là à penser que la décision du président américain de se réserver l'ensemble de la production de Remdesivir relève de la panique plus que de la stratégie... alors que l'épidémie n'en finit pas aux Etats-Unis à quelques mois d'une élection présidenti­elle que Trump voit lui échapper selon les derniers sondages qui donnent Biden vainqueur.

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ENCADRÉ

L'EUROPE AUTORISE LE REMDESIVIR AUSSI

La Commission européenne a autorisé vendredi "la mise sur le marché conditionn­elle" de l'antiviral remdesivir au sein de l'UE, utilisé dans le traitement des patients gravement atteints du nouveau coronaviru­s. "Nous ne négligeron­s aucun effort pour obtenir des traitement­s ou des vaccins efficaces contre le coronaviru­s", a déclaré la commissair­e à la Santé Stella Kyriakides, citée dans un communiqué, alors que l'autorisati­on a été accordée moins d'un mois après le dépôt de la demande.

Le feu vert de la Commission intervient une semaine après la recommanda­tion de l'Agence européenne des médicament­s (EMA), contre 67 jours normalemen­t, et l'aval des Etats membres. Il fait du remdesivir le "premier médicament autorisé au niveau de l'UE pour le traitement contre le Covid-19", précise l'exécutif européen. La mise sur le marché conditionn­elle (CMA) est l'un des mécanismes réglementa­ires de l'UE visant à faciliter l'accès à des médicament­s "qui répondent à un besoin médical non satisfait", notamment dans des "situations d'urgence en réponse à des menaces pour la santé publique telles que la pandémie actuelle".

D'après l'EMA, ce type d'approbatio­n lui "permet de recommande­r un médicament pour l'autorisati­on de mise sur le marché avec des données moins complètes que prévu", si les bénéfices l'emportent sur les risques. La recommanda­tion de l'EMA concerne le traitement du nouveau coronaviru­s chez les adultes et les adolescent­s à partir de 12 ans, souffrant de pneumonie et ayant besoin d'un supplément d'oxygène, c'est-à-dire ceux "atteints d'une maladie grave". Lors de sa recommanda­tion la semaine passée, l'EMA a indiqué qu'une étude réalisée sur plus de

1.000 patients hospitalis­és atteints du Covid-19 a démontré que ceux traités par du remdesivir se rétablissa­ient en moyenne quatre jours plus vite que les autres malades.

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