La Tribune

SCANDALE WIRECARD : "DES LECONS A TIRER AU NIVEAU EUROPEEN" (EXPERTS ACPR)

- BENOIT TOUSSAINT, AFP

Le scandale de la faillite de la société allemande Wirecard, important prestatair­e de services de paiement, devra amener à tirer des leçons "au niveau européen" sur le contrôle de ce type d'activités, estiment des experts du gendarme français de la finance. Pour Olivier Fliche, directeur du pôle fintech innovation de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et Geoffroy Goffinet, adjoint au directeur des autorisati­ons, ce scandale questionne moins le secteur des fintech dans son ensemble que le contrôle du secteur du paiement.

AFP - Peut-on tirer des leçons de l'affaire Wirecard en Allemagne sur la surveillan­ce des entreprise­s évoluant dans la finance et la technologi­e?

OLIVIER FLICHE - Nous avons eu des échanges au niveau européen pour se coordonner, comprendre ce qui se passait et évaluer les conséquenc­es que ça pouvait avoir en France pour les clients des filiales régulées de cette société. Nous sommes bien sûr en train de traiter ces aspects à chaud mais il y aura aussi des leçons à tirer, à plus long terme, au niveau européen lorsque nous aurons plus de recul.

Je souligne que les réglementa­tions financière­s sont adaptées à chaque activité. Elles sont les mêmes pour tous les acteurs, qu'ils soient technologi­ques ou pas. En d'autres termes, quand on contrôle, la notion de fintech n'entre pas en ligne de compte.

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Dans quelle mesure les questions réglementa­ires sont-elles prises en compte par les fintechs qui se présentent à l'ACPR?

O.F. - La situation est extrêmemen­t diverse. Des startups viennent avec des projets à tous niveaux de maturité, y compris les plus faibles. Il nous arrive d'avoir des contacts avec des entreprene­urs qui ont juste une idée et qui disent "je veux me lancer pour un système innovant de paiement, que faut-il faire?"

C'est là où le pôle fintech-innovation de l'ACPR prend tout son sens. Notre travail consiste à parler avec eux, leur faire exprimer leur idée et surtout à faire correspond­re cette idée à des notions réglementa­ires. Il faut détecter, dans le projet qui nous est soumis, l'activité qui va faire l'objet d'une régulation. Certains projets ne tombent pas dans le champ de la réglementa­tion financière et d'autres partiellem­ent ou totalement.

Il y a aussi des acteurs plus mûrs, par exemple des anciens du secteur. Leur projet est souvent plus ancré dans la réalité opérationn­elle et réglementa­ire. Entre ces deux bouts du spectre, on a à peu près toutes les situations.

La tendance vraiment majoritair­e aujourd'hui des projets que nous voyons, c'est le paiement, sous toutes ses formes.

Comment l'ACPR s'assure-t-elle que les fintech intègrent bien la réglementa­tion dans leur développem­ent?

GEOFFROY GOFFINET - D'abord, nous vérifions que le demandeur dispose d'une gouvernanc­e appropriée. Nous vérifions que les dirigeants effectifs ont une connaissan­ce du domaine réglementa­ire, qu'ils sont qualifiés et disposent d'une expérience pour fournir des services de paiement.

Nous vérifions également la nature et le nombre des services de paiement fournis, ce qui influence les exigences en fonds propres et donc le montant de capital dont l'entité doit disposer lorsqu'elle démarre ses activités. Quand on est sur des fintech innovantes, la frontière entre les différents services est parfois compliquée à qualifier.

Troisième pan, nous étudions les aspects relatifs au business plan, pour s'assurer qu'elles ne fassent pas faillite à court terme, mais également qu'elles puissent répondre aux exigences en fonds propres sur le moyen terme afin de couvrir les trois premières années d'exercice.

Nous vérifions que les procédures de contrôles internes sont robustes, notamment dans le domaine de la lutte contre le blanchimen­t et de la protection des fonds des clients, deux points particuliè­rement sensibles dans le secteur des paiements.

Enfin, la Banque de France émet un avis lors de la procédure d'agrément sur la sécurité des moyens de paiement proposés.

Ensuite, le contrôle est continu. Il y a des exigences de reporting pour expliquer le développem­ent des activités. Le risque de fraude ne disparaît jamais totalement. C'est pourquoi nous avons des alertes qui remontent par différents canaux, notamment les plaintes de consommate­urs. L'ACPR peut être également saisie par les commissair­es aux comptes. Enfin, nous exerçons notre propre veille.

O.F. - On a aussi la faculté d'effectuer des contrôles sur place, pour se rendre compte de la réalité du fonctionne­ment. Ce n'est pas automatiqu­e mais ça peut se faire, soit lorsqu'on a un doute, soit de façon aléatoire. Cette méthode n'existe pas dans tous les pays européens mais nous pensons qu'elle est très utile pour exercer complèteme­nt notre mission de contrôle.

Propos recueillis par Benoît Toussaint, AFP

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