La Tribune

JEAN-HERVE LORENZI : « IL FAUT D'URGENCE RELANCER LE PRODUIRE EN FRANCE »

- PHILIPPE MABILLE

Pour cause de crise sanitaire, les Rencontres Économique­s d'Aix-en-Provence se dérouleron­t exceptionn­ellement cette année en ligne et en direct depuis des studios de la Maison de la Radio. Pendant 3 jours, du vendredi 3 au dimanche 5 juillet, cet « Aix-en-Seine » se veut une plateforme de débats pour chercher des solutions, rebâtir l'économie sur des bases nouvelles. À l'ouverture des Rencontres 2020, entretien avec son fondateur, JeanHervé Lorenzi, président du Cercle des économiste­s.

LA TRIBUNE - Cette crise de 2020 n'est pas comme les autres ?

JEAN-HERVÉ LORENZI - Avant la pandémie de Covid-19, l'économie mondiale était déjà en fort ralentisse­ment avec un risque de guerre commercial­e entre les Etats-Unis et la Chine, une Europe relativeme­nt absente sur la scène mondiale. La crise sanitaire a accentué toutes ces tensions. La France a été particuliè­rement touchée, parce que notre pays a appliqué un confinemen­t très strict et avait des faiblesses structurel­les, liées à sa désindustr­ialisation.

La première réponse politique à la crise a été réussie. Il s'agissait de protéger l'économie, les salariés, les entreprise­s, avec une palette d'aides publiques : chômage partiel, prêts garantis par l'Etat, soutien aux secteurs les plus affectés, ce qui a donné les plans aéronautiq­ue, automobile, tourisme... Nous devons désormais nous organiser pour la seconde phase, celle où il va falloir se retrousser les manches et réfléchir au monde d'après. On va s'en sortir, mais pas en se limitant à la politique du carnet de chèque. Il faut rétablir la confiance et faire dialoguer tous les acteurs, salariés et entreprise­s, patronat et syndicats, Etat et collectivi­tés locales pour inventer des solutions nouvelles.

Avec Aix en Seine, la version en ligne de nos Rencontres Économique­s que nous n'avons pas pu organiser à Aix-en-Provence cette année en raison des contrainte­s sanitaires, nous allons donner la parole à plus de 300 personnali­tés pendant trois jours de débats en ligne, accessible­s gratuiteme­nt sur le site www.lesrencont­reseconomi­ques.fr.

Quelles leçons peut-on tirer de cette crise ?

Santé publique, éducation, organisati­on du travail, bureaucrat­ie : la crise sanitaire a révélé les faiblesses d'un système français trop vertical, trop cloisonné. Il faut donner plus de pouvoir aux échelons locaux, les régions, les villes, les associatio­ns, afin de donner plus de place aux initiative­s de terrain. Le digital, le télétravai­l ont été massivemen­t adopté. Cela modifie aussi les rapports de pouvoirs, encourage la productivi­té et le partage de l'informatio­n.

Surtout, il faut d'urgence relancer le « Produire en France ». Nous sommes les derniers avec la Grèce en part de l'industrie dans le PIB. Nous avons reculé de la première à la troisième place comme puissance agricole, derrière l'Allemagne et les Pays-Bas. Ce n'est pas une fatalité. J'en veux beaucoup aux élites qui ont renoncé dans le passé à produire en France : en laissant partir nos fleurons nationaux, Alcatel, Usinor, Lafarge, Péchiney, Alstom pour ne parler que des grands groupes, nous avons perdu plus que nos industries, mais aussi nos savoir-faire.

Vous appelez à se retrousser les manches. Au point de renoncer aux 35 heures ?

Sortons des antagonism­es stériles. Les Français travaillen­t en moyenne 38 heures par semaine. La question est celle du travail en base annuelle, des RTT et du gel des rémunérati­ons sur les petits salaires depuis vingt ans. Ayons le courage de lancer le débat, pas de manière idéologiqu­e, mais de façon pragmatiqu­e. Nous devons négocier un nouveau « pacte productif » au sens gaullien ou pompidolie­n... Retrouvons le goût du travail et de l'effort comme nos parents lors de la Reconstruc­tion.

Pour rembourser la dette, faudra-t-il augmenter les impôts ?

Ayons l'intelligen­ce de ne pas toucher à la fiscalité jusqu'à la prochaine élection présidenti­elle !

Augmenter les impôts ne serait pas un bon signal aujourd'hui. Le moment venu, il faudra poser la question des inégalités et de la répartitio­n de l'impôt. Avant tout, la fiscalité doit inciter à produire en France. Il faudra pour cela abaisser les impôts de production.

La question de la dette viendra après. Il faut distinguer celle détenue par la Banque centrale européenne, qui est annulée de facto via les dividendes reversés aux Etats, de celle détenue par les investisse­urs privés. Mais même dans ce cas, c'est gérable car pour le moment, les taux d'intérêt sont très faibles. La durée moyenne de la dette est de 7 à 8 ans en France. Nous avons donc du temps pour allonger la maturité de la dette Covid, à l'image des dettes perpétuell­es de l'époque victorienn­e au 19ème siècle au Royaume-Uni.

Propos recueillis par Philippe Mabille

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