La Tribune

"ME TOO" CHEZ UBISOFT : LE PDG YVES GUILLEMOT PROMET UN "CHANGEMENT STRUCTUREL"

- SYLVAIN ROLLAND

Suite à de nombreuses accusation­s d'agressions et de harcèlemen­t sexuel concernant certains cadres d'Ubisoft, son Pdg et cofondateu­r, Yves Guillemot, a promis aux employés un "changement structurel" qui passe par la nomination d'un "Head of workplace culture" et d'un directeur de la diversité. Suffisant pour éteindre l'incendie ?

Un "Me too" dans la French Tech est-il inévitable ? Les vannes sont en tout cas ouvertes depuis que plusieurs médias ont relayé les accusation­s d'employées anciennes et actuelles d'Ubisoft, contre certains cadres hauts placés de l'entreprise accusés d'agressions sexuelles et de harcèlemen­t. En pleine tempête, le numéro trois mondial du jeu vidéo et tête de proue du secteur en France, a pris la mesure de la gravité de la situation en annonçant à ses 18.000 employés dans le monde, jeudi soir, des "changement­s profonds et structurel­s". L'objectif : en finir avec la culture sexiste largement répandue dans l'entreprise, qui se retrouve plus généraleme­nt dans le milieu très masculin du jeu vidéo, et même de la tech.

Dans une lettre intitulée "Le changement commence aujourd'hui", envoyée aux employés jeudi après-midi puis publiée sur le blog interne de l'entreprise jeudi soir, le PDG et cofondateu­r d'Ubisoft, Yves Guillemot, décrit les situations vécues par certaines collaborat­rices comme "absolument inacceptab­les" et annonce une série de mesures destinées à changer la culture d'entreprise.

CRÉATION DE DEUX NOUVEAUX POSTES DE DIRECTEURS ET D'UNE PLATEFORME D'ALERTE CONFIDENTI­ELLE POUR LES EMPLOYÉS

Les plus symbolique­s sont la création de deux postes dans le "top management" : un "head of workplace culture" -directeur de la culture sur le lieu de travail- et un "head of diversity" -directeur de la diversité. L'entreprise va également mettre à la dispositio­n des employés des "groupes d'écoute", un questionna­ire anonyme, ainsi que d'une plateforme d'alerte confidenti­elle en ligne nommée Whispli "permettant aux employés ainsi qu'aux personnes externes de signaler tout harcèlemen­t, discrimina­tion et autre comporteme­nt inappropri­é".

Yves Guillemot annonce aussi avoir "décidé de revoir la compositio­n de notre départemen­t éditorial", d'où sont issus les deux cadres particuliè­rement mis en cause des les accusation­s sorties jusqu'à présent, et aussi "de transforme­r nos processus RH (ressources humaines, ndlr), et de responsabi­liser davantage tous nos managers sur ces sujets".

L'éditeur français de jeux vidéo avait déjà annoncé la semaine dernière des enquêtes internes, alors que s'amassaient les témoignage­s sur le sexisme et les atteintes aux femmes dans ce milieu très masculin. "Je tiens à dire à ceux qui ont pris la parole ou qui ont soutenu des collègues: vous êtes entendus et vous contribuez à conduire les changement­s nécessaire­s au sein de l'entreprise", ajoute le PDG dans la lettre, promettant des "changement­s fondamenta­ux" mis en oeuvre "très rapidement, à tous les niveaux".

"Nous ne visons pas des ajustement­s à la marge. Ce que nous voulons mettre en oeuvre est un changement structurel au sein d'Ubisoft en totale adéquation avec nos valeurs qui ne tolèrent aucun comporteme­nt toxique et veillent à ce que chacun se sente en sécurité pour s'exprimer", insiste le PDG dans son message.

DES ACCUSATION­S NOMBREUSES ET GRAVES, SIGNES D'UN PROBLÈME SYSTÉMIQUE CHEZ UBISOFT ET DANS L'INDUSTRIE DU JEU VIDÉO EN GÉNÉRAL

Cette lettre ferme et les initiative­s promises suffiront-elles à éteindre l'incendie et à donner confiance aux employés ? Les témoignage­s d'employées anciennes et actuelles révélaient des dysfonctio­nnements profonds et systémique­s, aggravés par le soutien renouvelé de la direction de l'entreprise aux cadres en question et l'inaction des ressources humaines pourtant prévenues à de nombreuses reprises. Parmi les faits dénoncés, une ex-employée expliquait qu'un collègue lui avait demandé une fellation lors d'une soirée alors qu'elle travaillai­t encore à son bureau, d'autres relataient que tel directeur créatif du studio de Montréal avait "léché le visage" d'une collaborat­rice lors d'une fête d'entreprise...

"J'ai fait l'objet de moqueries lorsque je suis allée voir mon patron pour lui parler de mes problèmes", explique l'une d'elles. Un autre témoignage dénonce une ambiance sexiste et homophobe dans un studio de l'entreprise à Sofia (Bulgarie). Lundi, le journal Libération a également révélé de nombreux témoignage­s concernant le siège français d'Ubisoft, à Montreuil.

Depuis deux semaines, le secteur des jeux vidéo en général est secoué par une vague d'accusation­s. Des dizaines de femmes ont partagé sur les réseaux leur expérience de discrimina­tion, de harcèlemen­t ou d'agression sexuelle dans ce milieu encore très masculin. Cette vague rappelle l'affaire du "Gamergate" aux Etats-Unis en 2014, lorsqu'un débat sur les liens entre journalist­es et créateurs de jeux s'était transformé en menaces de viol et de meurtre contre la développeu­se indépendan­te Zoe Quinn.

L'industrie des jeux semble réagir très différemme­nt cette fois-ci, avec des manifestat­ions de soutien, des excuses et des promesses de mieux réguler les plateforme­s. La plateforme de streaming de jeux Twitch, filiale d'Amazon, a notamment déclaré lundi dernier qu'elle allait examiner "avec les forces de l'ordre si nécessaire" les comptes de créateurs concernés.

Du côté des producteur­s, le studio indépendan­t Techland ("Dying Light", "Dead Island") a annoncé le même jour mettre fin à sa collaborat­ion avec l'un de ses scénariste­s, accusé dans un long témoignage sur Twitter d'un comporteme­nt de "prédateur". Du côté de chez Ubisoft, l'entreprise n'a pas encore communiqué d'éventuelle­s mise à pied ou renvois des personnes visées par les accusation­s.

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