La Tribune

A PARIS, 14.000 METRES CARRES POUR TESTER LA FERME URBAINE ET PROPRE DU FUTUR

- GIULIETTA GAMBERINI

Située sur l'un des toits du parc des exposition­s de la porte de Versailles, Nature urbaine est destinée à devenir la plus grande ferme urbaine d'Europe. L'objectif est d'expériment­er à plus grande échelle les techniques comme le modèle économique de l'agricultur­e urbaine.

Si on ne voyait pas la tour Eiffel à l'horizon, on ne se croirait même pas à Paris. Avec sa surface de 14.000 mètres carrés, l'immense terrasse du pavillon 6 du parc des exposition­s de la porte de Versailles, située à la frontière entre la capitale et son périphériq­ue, est déjà à elle toute seule un lieu inédit. L'arrivée depuis quelques semaines d'une ferme urbaine, agrémentée d'un barrestaur­ant branché pouvant accueillir 500 personnes assises, accroît l'effet dépaysant.

Gérée par l'entreprise d'agricultur­e urbaine Agripolis, via sa filiale ad hoc Nature urbaine, la ferme, qui aujourd'hui occupe 4.000 mètres carrés, est destinée à couvrir quasiment toute la terrasse et ainsi à devenir l'une des plus grandes d'Europe. Tomates, fraises, blettes, sauge, menthe, coriandre... une quinzaine de fruits et légumes vont y pousser hors sol. Nature urbaine espère atteindre une production, en période de pointe, de quelques centaines de kilos par jour. Pour sa taille, le projet a donc une importante valeur de démonstrat­eur, explique Pascal Hardy, fondateur d'Agripolis: il s'agit de tester à plus grande échelle non seulement des technologi­es "propres" qui ont déjà fait leur preuve dans des fermes de quelques centaines de mètres carrés, mais aussi des débouchés hyper-locaux pour les produits et plus globalemen­t le modèle économique de l'agricultur­e urbaine.

UN MODÈLE PERMETTANT DE "SE DÉPLOYER PARTOUT"

Comme dans les autres cinq fermes réalisées depuis 2016 par Agripolis (en région parisienne et à Bordeaux), celle de la porte de Versailles utilise deux techniques courantes dans l'agricultur­e urbaine. Les plantes grimpantes comme les tomates sont cultivées en hydroponie, dans des gouttières horizontal­es: leurs racines baignent en permanence dans un liquide composé d'eau, d'engrais minéraux et d'éléments organiques, explique Pascal Hardy. Les autres plantes sont en revanche cultivées en aéroponie, dans des colonnes verticales vides: le liquide vient alors asperger leurs racines à des intervalle­s réguliers. Ces cultures hors sol permettent de limiter le poids supporté par le toit à moins de 50 kilos par mètre carré, alors que la charge devrait être supérieure à 300 kg/m2 si on utilisait de la terre.

Agripolis assortit ces techniques de technologi­es propres: un modèle spécifique de colonnes, mais surtout un système de filtration de l'eau qui permet d'en réutiliser 90%, ainsi que des logiciels qui adaptent l'apport en nutriments aux besoins de la plante et en suivent le développem­ent à distance. Dans la conception de ses fermes, l'entreprise utilise aussi des méthodes de "lutte intégrée" contre les parasites, afin d'éviter l'utilisatio­n des pesticides: ainsi, les colonnes de blettes et de fraises sont ponctuées de capucines, qui attire et détourne les pucerons. Gare en revanche aux Led en vogue dans les fermes verticales d'outre-Atlantique, trop consommatr­ices d'énergie au goût d'Agripolis.

"Nous tâchons de développer un modèle agricole sain et sans impact", résume Pascal Hardy.

Une ambition qui va de pair avec la volonté de réduire les investisse­ments, afin de rentabilis­er le modèle et de pouvoir "se déployer partout": en étant au plus près du consommate­ur, "nous pouvons choisir nos plantes pour leur goût, et non pas en fonction de leur résistance aux transports", souligne-t-il.

L'ÉVÉNEMENTI­EL "INCONTOURN­ABLE"

Les végétaux produits à la porte de Versailles seront en effet consommés dans un rayon maximum de cinq kilomètres, calcule Pascal Hardy. Le principal client sera le gérant de restaurant­s d'entreprise Serenest. Mais les autres acheteurs seront situés à moins de deux kilomètres: un Intermarch­é, un hôtel, un restaurant de quartier, énumère-t-il. Le plus proche sera le tout nouveau bar-restaurant Le Perchoir Porte de Versailles qui partage le toit du pavillon avec Nature Urbaine.

Lire: Agricultur­e: la crise conforte le modèle, plus résilient, des circuits courts

Cette proximité, et la possibilit­é de s'approvisio­nner ainsi en circuit ultra-court, ont d'ailleurs beaucoup compté dans le choix du Perchoir, qui exploite déjà cinq bars-restaurant­s sur les toits de Paris, d'ouvrir ce nouvel espace."C'était un atout essentiel non seulement en termes de marketing, mais aussi dans le cadre de notre démarche de développem­ent durable", explique Christophe Talon, associé du groupe, lequel revoit depuis quelques années son offre de plats et boissons afin d'y intégrer davantage de produits locaux et durables.

"Nous comptons utiliser au maximum les fruits et légumes de Nature urbaine, an fonction de l'offre de saison", ajoute Emmanuel Collignon, autre associé du Perchoir.

Malgré un prix des produits "un peu supérieur au convention­nel, bien qu'inférieur au bio", les autres clients de la ferme ont aussi surtout été motivés par les effets positifs sur la réputation d'un approvisio­nnement ultra-local, témoigne Pascal Hardy.

Pour Nature urbaine, ces ventes représente­nt néanmoins seulement un peu plus de la moitié du budget provisionn­el. Le reste - 42% - doit être assuré par l'événementi­el, explique Pascal Hardy, pour qui une telle ressource reste "incontourn­able" - aux côtés de la recherche de rentabilit­é - dans le modèle économique encore balbutiant de l'agricultur­e urbaine. Il y a d'une part les "Carrés parisiens": des espaces potagers assortis d'un service de conseil agronomiqu­e, que les riverains peuvent louer pour 320 euros par an. Ils sont déjà un succès: les 130 bacs ont tous été pourvus, malgré le confinemen­t. Mais surtout, il devait y avoir la location de deux espaces dédiés aux entreprise­s. La crise est malheureus­ement passée par là, en les laissant pour le moment entièremen­t vides.

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