La Tribune

REMANIEMEN­T : UN CHEF D'OEUVRE DE « EN MEME TEMPS », A DROITE TOUTE !

- PHILIPPE MABILLE

Transition écologique avec Barbara Pompili au deuxième rang protocolai­re, maintien des piliers du gouverneme­nt Philippe en promouvant Le Drian, Blanquer, Le Maire, Parly aux premiers rangs, quelques changement­s (Darmanin à l’Intérieur, Borne à l’Emploi), deux surprises (Dupond-Moretti à la Justice, Bachelot à la Culture), le remaniemen­t opéré hier lance l’acte 3 du quinquenna­t autour de quelques priorités : relance, écologie, insertion des jeunes. Et fait basculer encore plus à droite le balancier du macronisme.

Une parfaite synthèse macroniste, un chef d'oeuvre de « en même temps » poussé presque jusqu'à l'extrême : le nouveau gouverneme­nt Castex propose un casting détonnant pour conduire l'acte III du quinquenna­t d'Emmanuel Macron. Il associe la stabilité, avec la promotion rassurante de ministres sortants (Le Drian, Blanquer, Le Maire, Parly), et la prise de risque, avec l'entrée de personnali­tés connues pour leurs conviction­s, Barbara Pompili à l'écologie et Eric Dupont-Moretti à la Justice. Des choix par lesquels Emmanuel Macron se met lui-même en danger, comme pour démontrer qu'il est vraiment prêt à « se réinventer ».

Le casting donne cependant des signes clairs sur les priorités du nouveau gouverneme­nt. L'Europe et les Affaires étrangères toujours sous la conduite de Jean-Yves Le Drian, longtemps pressenti pour Matignon ; un grand ministère de l'Ecologie avec Barbara Pompili qui aura sous sa tutelle des Transports avec Jean-Baptiste Djebbari et du Logement avec Emmanuelle Wargon ; la relance avec Bruno Le Maire qui garde les rênes de Bercy et devra tenir avec Olivier Dussopt les comptes publics ; l'emploi et l'insertion, avec Elisabeth Borne, qui remplace Muriel Pénicaud pour affronter l'explosion des plans sociaux et adapter la réforme de l'assurance-chômage.

Les autres changement­s de l'exécutif sont plus anecdotiqu­es mais braquent les projecteur­s sur les priorités d'un gouverneme­nt plus resserré : Jacqueline Gourault conserve la décentrali­sation en ligne avec l'affirmatio­n pro-territoire­s de Jean Castex ; Gérald Darmanin remplace un Castaner démonétisé à l'Intérieur pour retisser les liens avec les forces de l'ordre mais aussi la citoyennet­é avec Marlène Schiappa ; Olivier Véran qui a réussi la gestion de la crise sanitaire conserve la Santé avec 7 milliards d'euros à investir dans l'hôpital et le portefeuil­le de la solidarité qui lui permettra de mener aussi les chantiers des retraites et de la dépendance.

L'exercice du remaniemen­t était délicat : pas facile de faire oublier un Edouard Philippe renvoyé dans bonne ville du Havre au sommet de sa popularité pour le remplacer par un quasi-inconnu. Jean Castex, « l'énarque des champs », qui se présente comme un « gaulliste social » dit vouloir gouverner sans rechercher "la lumière", mais avec "efficacité". Une chose est sûr : le centre de gravité du macronisme penche encore plus à droite qui détient presque tous les postes clefs du pouvoir : Jean Castex à Matignon, Gérald Darmanin à l'Intérieur, Jean-Michel Blanquer à l'Education et Bruno Le Maire à Bercy, les hommes forts d'Emmanuel Macron sont là pour étouffer l'espace politique du centre-droit, sans laisser d'air à LR. Avec Roselyne Bachelot, ancienne ministre de la Santé devenue l'égérie des plateaux-télé, on dirait presque un gouverneme­nt Sarkozy-bis !

Pour rééquilibr­er à gauche, Emmanuel Macron fait certes deux bonnes prises avec Barbara Pompili et Eric Dupont-Moretti, mais cela semble bien cosmétique au moment où l'économie va connaître en 2020 la pire récession de son histoire avec une chute historique de 10% du PIB. La reprise a sans doute déjà commencé, mais c'est au prix de la mise en place d'un « distribute­ur automatiqu­e de billets » public fonctionna­nt à plein tubes et dont le robinet sera difficile à refermer.

On connaît le casting, mais celui-ci ne dit pas grand chose du « nouveau chemin » que veut proposer Emmanuel Macron aux Français pour « adapter » comme il l'a dit dans son tweet de dimanche soir le projet de réformes proposé en 2017. Jean Castex a donné quelques signaux sur sa méthode d'action : privilégie­r le dialogue avec les élus de terrain et les partenaire­s sociaux. C'est bien, mais dialoguer pour aller où, franchemen­t, on n'en sait pas plus au soir de la formation du nouveau gouverneme­nt. Il faudra attendre l'interventi­on du président de la République le 14 juillet.

Un premier test sera le sort de la réforme des retraites, torchon brûlant pour les syndicats : Emmanuel Macron qui tient à sa réforme structurel­le, veut imposer le régime par points, mais serait prêt à temporiser, après 2022, sur le financemen­t, sans cacher qu'il faudra, d'une façon ou d'une autre, travailler ou cotiser plus longtemps. De quoi provoquer une nouvelle grève ? Le Medef luimême a poussé samedi à appuyer sur le mode « pause », car la priorité des priorités, en espérant que la France échappera à une nouvelle flambée épidémique cet hiver, sera bien de faire redémarrer l'économie. Le reste est important, mais n'est que littératur­e.

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