QUELLES OPTIONS POUR LE NUMERIQUE DANS LE FUTUR GOUVERNEMENT ?
De nombreux acteurs de l'écosystème tech regrettent qu'Emmanuel Macron et Jean Castex n'aient pas créé un ministère du Numérique de plein exercice, à l'image de celui de la Transition Ecologique. Mais d'autres options sont sur la table. En plus du secrétariat d'Etat au Numérique -piloté ou non par Cédric O-, Emmanuel Macron pourrait créer d'autres secrétariats d'Etat, sur des enjeux numériques transverses comme la cybersécurité. Un rattachement du Numérique à Matignon plutôt qu'à Bercy pourrait aussi être une option.
Le numérique est-il le grand laissé-pour-compte du remaniement ministériel ? C'est l'opinion de nombreux acteurs de l'écosystème tech français, à commencer par son lobby le plus puissant, France Digitale, qui s'est fendu d'un communiqué amer suite à l'annonce, lundi soir, des trente premiers membres du gouvernement de Jean Castex. Car aucun ministre ni ministre délégué n'a été dédié au Numérique. "On s'inquiète. Le numérique n'est clairement pas la priorité du gouvernement Castex, alors qu'il aurait dû y avoir un ministère dédié à la transformation numérique de la santé, de la justice, de l'éducation, du travail et des entreprises" a réagi France DIgitale dans un tweet lundi soir, avant de publier un communiqué officiel.
(@FRdigitale)
Le #numérique, qui a permis pendant les derniers mois à 2.2 millions d'élèves de continuer à s'éduquer, à 7.4 millions de français à télétravailler et 1,41 millions de patients d'avoir recours à la téléconsultation, n'a pas son ministère. Notre CP ici ?https://t.co/NZib4Yw03I pic.twitter.com/mVQ1lqpb7X
UN MINISTÈRE DU NUMÉRIQUE POUR QUOI FAIRE ?
A chaque remaniement ministériel depuis l'élection d'Emmanuel Macron, la question de la place du Numérique dans le nouveau gouvernement se pose et à chaque fois, la réponse déçoit ceux qui espèrent un "vrai" maroquin. Leur argument ? "Le numérique est partout et déploie ses applications dans tous les domaines. Il faut l'appréhender comme un tout, et non comme une addition de mesures sectorielles", expliquent 54 personnalités dont des députés, hackers, dirigeants d'entreprises et experts, dans une tribune publiée le 26 juin dernier sur le site du journal Le Point et intitulée "Pour un ministère du Numérique à la hauteur de nos enjeux".
Un argument d'autant plus fort depuis la crise du Covid-19, comme le rappelle France Digitale :
"Le numérique, qui a permis pendant les derniers mois à 2.2 millions d'élèves de continuer à s'éduquer, à 7.4 millions de français à télétravailler et 1,4 million de patients d'avoir recours à la téléconsultation, n'a pas son ministère. Pourtant, les derniers mois ont mis en exergue le terrifiant désarmement technologique de notre pays. Tandis que le Quai d'Orsay découvrait le télétravail pour la première fois de sa vénérable Histoire, les Hôpitaux publics se sont retrouvés démunis face aux cyberattaques et l'Education Nationale n'a pas su organiser la continuité pédagogique "en ligne" pour des milliers d'écoliers défavorisés. Et pendant que certains géants du CAC 40 ont découvert la vétusté de leurs infrastructures de cloud et leur incapacité à télétravailler, des milliers de petits commerces n'ont pas pu poursuivre leur activité en ligne, faute de moyens de paiements digitaux ou de sites internet".
Les partisans d'un ministère du Numérique de plein exercice considèrent le numérique comme aussi important et transversal que l'écologie. Or, l'écologie bénéficie depuis plusieurs années d'un ministère de premier rang. Pourquoi le numérique, qui créé de plus en plus d'emplois et qui révolutionne tous les secteurs de l'économie ainsi que les usages des citoyens dans leur vie quotidienne, n'aurait-il pas droit au même traitement ? "L'écologie est beaucoup plus politique que le numérique, c'est à la fois une transformation majeure et un projet de société, c'est pour ça qu'il y a un parti intitulé "Europe Ecologie Les Verts" qui gagne des élections. Le numérique est davantage perçu comme une lame de fond, c'est un sujet moins politique qui n'a pas encore généré de clivage gauche/droite vraiment marqué", estime un parlementaire de la majorité.
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VERS UN SECRÉTARIAT D'ETAT AU NUMÉRIQUE + UN SECRÉTAIRE D'ETAT DÉDIÉ À LA CYBERSÉCURITÉ ?
Que vont donc faire Emmanuel Macron et Jean Castex ? Comme le numérique n'a pas été attribué aux trente ministres et ministres délégués, le plus vraisemblable est qu'il revienne à nouveau à un secrétaire d'Etat... ou à plusieurs. Plusieurs membres de la majorité présidentielle ont poussé ces derniers mois l'idée de "sortir" quelques grands enjeux du numérique, comme la cybersécurité, pour leur donner un "vrai portage politique". Aujourd'hui, les enjeux cyber sont pilotés essentiellement par l'Agence nationale de la sécurité des systèmes d'information (ANSSI), qui travaille en lien avec le ministère de la Défense et Bercy.
L'idée a aussi été suggérée dans un rapport de l'Assemblée nationale signé par le député LREM Eric Bothorel en décembre 2019.
"En France, il existe un délégué ministériel aux industries de sécurité et à la lutte contre les cybermenaces, poste précédemment occupé par M. Thierry Delville et non pourvu à ce jour. Votre rapporteur propose que soit envisagée la transformation de cette fonction en un ministère de plein exercice sur les questions de cybersécurité, afin de donner une véritable responsabilité gouvernementale à la personne de référence en France pour la cybersécurité et les industries de la cybersécurité. Cette fonction permettrait une meilleure incarnation politique des enjeux de cybersécurité, dont la qualité transverse cautionne trop souvent la dispersion", écrivait le député.
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RATTACHER LE NUMÉRIQUE AU PREMIER MINISTRE : UNE FAUSSE BONNE IDÉE ?
La décision d'Emmanuel Macron et Jean Castex d'ignorer l'appel à créer un ministère du Numérique s'explique aussi par d'autres raisons. La première, politique, est que la "startup nation" chère au candidat Macron de 2017, n'a plus du tout le vent en poupe depuis la crise des Gilets Jaunes et la défiance des citoyens envers le solutionnisme technologique, comme l'a montré l'échec de l'application de traçage des contacts StopCovid. Créer un ministère du Numérique qui attirerait de la visibilité sur la "startup nation" n'apparaît pas un bon calcul politique pour Emmanuel Macron dans la perspective de sa réélection en 2022.
De plus, les différentes administrations avec lesquelles le ministre en charge du Numérique doit interagir quotidiennement, dépendent principalement de Bercy. C'est pour cette raison que jusqu'à présent, ce maroquin a pris la forme d'un secrétariat d'Etat rattaché à Bercy et, dans le cas de Cédric O, également au ministère de l'action et des comptes publics.
En 2017, Emmanuel Macron a été le premier à faire une entorse à cette tradition en rattachant le secrétariat d'Etat au Numérique de Mounir Mahjoubi directement au Premier ministre,. L'objectif : envoyer un signal fort en présentant le numérique comme au coeur de l'action publique, rayonnant sur l'ensemble des ministères. Mais ce changement très symbolique, par ailleurs bien accueilli par l'écosystème du numérique en son temps, s'est révélé une fausse bonne idée. L'éloignement de Bercy et de ses administrations a été une véritable épine dans le pied de Mounir Mahjoubi, qui s'est retrouvé affaibli, sans vraie influence sur les administrations ni sur ses collègues ministres. Lorsque Cédric O lui a succédé, en avril 2018, son secrétariat d'Etat est donc revenu à Bercy, "son rattachement naturel" avait alors commenté Cédric O.
CÉDRIC O OU PAS CÉDRIC O ?
L'autre inconnue du remaniement ministériel est le maintien en poste de l'actuel titulaire du poste, Cédric O. D'après nos informations, la balance penche plutôt vers une reconduction du secrétaire d'Etat, qui cumule plusieurs gros atouts. D'abord, une loyauté sans faille envers Emmanuel Macron, qu'il soutient depuis le tout début, en 2016, et qu'il a suivi à l'Elysée de mai 2017 à avril 2019 en tant que conseiller du Président et du Premier ministre sur les sujets économiques, et notamment numériques. Depuis 2017, Cédric O est le "vrai" ministre du Numérique, pilotant dans l'ombre l'action de son prédécesseur Mounir Mahjoubi avant de prendre la lumière.
Son deuxième atout est sa connaissance extrêmement pointue de tous les dossiers, de la French Tech à la régulation des géants du numérique. "Il incarne moins les sujets que Mounir Mahjoubi, il est moins bon sur la communication, mais dans le fond il est solide. Il est très rare de travailler avec un ministre doté d'un tel niveau d'expertise, ce qui fait que les choses avancent vite, d'autant plus qu'il garde ses entrées en haut-lieu", affirme une source dans l'administration. A deux ans de la fin du mandat, Emmanuel Macron compte aussi sur Cédric O pour porter, à l'échelle européenne et avec Thierry Breton, des dossiers de régulation des géants du numérique, qu'il aimerait voir aboutir d'ici à la fin de son mandat. Enfin, son troisième atout est qu'il est globalement apprécié par ses interlocuteurs, qu'il s'agisse des lobbys tech -notamment France Digitale qui a pignon sur rue dans son cabinet au point que cela agace les autres organisations, mais aussi des géants du Net -il avait aidé Emmanuel Macron à organiser les deux sommets Tech for Good en 2018 et 2019, avec de nombreuses annonces d'investissements à la clé.
Mais Cédric O a également trois points faibles. Le premier est sa gestion de l'application
StopCovid, un outil cher, très contesté et globalement inefficace dans la lutte contre le Covid-19. Le deuxième est qu'il porte une partie du blâme pour la polémique autour du Health Data Hub, la plateforme de données de santé dont l'hébergement a été confié à Microsoft alors que le gouvernement souhaite renforcer la souveraineté technologique de la France. Enfin, certains le rendent aussi responsable du fiasco de la loi Avia sur la haine en ligne, retoquée par le Conseil d'Etat au point d'être totalement vidée de sa substance. "Il ne sait pas tenir les députés ni faire passer une loi", raille un ambitieux qui rêve du poste.
Dans le cas où Cédric O sortirait, qui pour le remplacer ? Il y a actuellement un lobbying plus ou moins intense pour déloger l'actuel locataire. Parmi les noms qui reviennent le plus : la députée Agir Laure de La Raudière, le député LREM Pierre Person, le député LREM Eric Bothorel ou encore le PDG de Capgemini, Paul Hermelin.