La Tribune

2,7 MILLIARDS D'EUROS LEVES : LA CRISE STOPPE L'ELAN DE LA FRENCH TECH AU PREMIER SEMESTRE

- SYLVAIN ROLLAND

Pour la première fois, les startups de la French Tech lèvent moins d'argent sur un semestre que par rapport à l'année précédente. Même si cette baisse est relative (-3,5% en valeur et -17% en volume), elle montre que la crise du Covid-19 a stoppé net la très forte dynamique de croissance de l'écosystème. D'autant plus que l'impact du confinemen­t sur l'activité du capital-risque français se verra surtout au deuxième semestre. Explicatio­ns.

Les startups françaises résistent à la crise et continuent de lever des fonds... mais le Covid-19 a bel et bien brisé la belle dynamique d'hyper-croissance de la French Tech. C'est le principal enseigneme­nt de notre analyse des levées de fonds du premier semestre 2020. D'après nos calculs, les startups françaises ont levé 2,7 milliards d'euros entre janvier et juin, soit quasiment autant qu'au premier semestre 2019 (2,8 milliards d'euros). Mais si ce très léger recul (-3,5%) peut paraître anecdotiqu­e et rassurant à première vue, il est trompeur. Il révèle surtout que la crise économique a bel et bien stoppé net le très fort élan du capital-risque français, habitué à une croissance à deux chiffres à chaque semestre (+39% en moyenne sur les quatre dernières années au premier semestre). C'est même la première fois, depuis la création du label French Tech en 2013 et donc de la structurat­ion de l'écosystème, que le montant levé sur un semestre recule sur un an.

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L'ÉCOSYSTÈME SE MAINTIENT MAIS LA CROISSANCE S'ÉVAPORE

Dans le détail, les startups françaises ont levé, d'après les chiffres de La Tribune, 2,72 milliards d'euros au premier semestre 2020 contre 2,79 milliards au premier semestre 2019, pour 321 opérations contre 387 l'an dernier. Soit une baisse de respective­ment -3,5% en valeur et de -17% en volume sur un an.

A titre de comparaiso­n, depuis 2015, la croissance d'une année sur l'autre au premier semestre a toujours été spectacula­ire : +32% entre 2015 et 2016, +21% entre 2016 et 2017, +61% entre 2017 et 2018 et +43% entre 2018 et 2019 d'après les chiffres du cabinet de conseil EY. La baisse de -3,5% entre 2019 et 2020 vient donc casser une dynamique très forte et très solide, d'autant plus que le nombre de structures d'investisse­ment ne cesse d'augmenter, que les investisse­urs ont de plus en plus d'argent à leur dispositio­n, et que l'Etat a même poussé les bancassure­urs, à l'automne dernier, à injecter 1 milliard d'euros par an pendant trois ans dans l'écosystème. Au début de l'année, qui a commencé par un mois de janvier exceptionn­el (804 millions d'euros, 2è meilleur mois historique), les plus pessimiste­s des analystes pariaient sur un premier semestre compris entre 3,5 et 4 milliards d'euros, soit une croissance entre 20% et 30% par rapport au premier semestre 2019.

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UN MOIS DE JUIN 2020 CORRECT MAIS EN CHUTE LIBRE SUR UN AN

En 2019, le mois de juin, le dernier avant la respiratio­n estivale, avait vu les annonces de levées de fonds se multiplier, au point où la French Tech avait réalisé le meilleur mois de son histoire avec 812 millions d'euros levés. Un an plus tard, la moisson fait pâle figure : 425,5 millions d'euros, soit une chute spectacula­ire de 48%. Traditionn­ellement élevé, le mois de juin est le troisième meilleur de l'année 2020, après les 804 millions d'euros de janvier et les 574 millions d'euros de mai. Mais la tendance baissière se confirme si on prend en compte la valeur. Elle s'atténue en revanche pour le nombre d'opérations : la baisse en juin n'est que de -13%, alors qu'elle se situait entre entre -30% et -40% chaque mois depuis mars.

Montants levés par mois, nombre d"opérations au premier semestre 2020 et variations sur un an (chiffres La Tribune) :

Janvier : 803,75 millions d'euros pour 72 opérations (+53% en valeur, +18% en volume) Février : 381,67 millions d'euros pour 56 opérations (-17% en valeur, -5% en volume) Mars : 181,25 millions d'euros pour 40 opérations (-53% en valeur, -33% en volume) Avril : 355,36 millions d'euros pour 37 opérations (-31% en valeur, -33% en volume

Mai : 574,43 millions d'euros pour 49 opérations (+33% en valeur, -38% en volume)

Juin : 425,57 millions d'euros pour 67 opérations (-48% en valeur, -13% en volume)

L'AMORÇAGE EN SOUFFRANCE, LE VRAI IMPACT DU CONFINEMEN­T ENCORE PEU VISIBLE

Dans le détail, le premier semestre a été marqué par 54 levées de moins d'un million d'euros (96 au premier semestre 2019), 167 levées entre 1 et 5 millions d'euros (171 l'an dernier), 41 levées entre 5 et 10 millions d'euros (37 l'an dernier), 34 levées entre 10 et 20 millions d'euros (23 l'an dernier), 15 levées entre 20 et 50 millions d'euros (20 l'an dernier), 8 entre 50 et 100 millions d'euros (9 l'an dernier), et 6 méga-levées de fonds d'au moins 100 millions d'euros (5 l'an dernier). Autrement dit, la crise du Covid-19 a porté un sacré coup à l'amorçage, notamment aux toutes petites opérations de moins d'un million d'euros dont le nombre a été quasiment divisé de moitié. Une situation qui s'explique par l'incertitud­e économique, qui pousse les business angels à vouloir minimiser le risque en misant moins sur de toutes jeunes pousses qui ont encore tout à prouver alors que le monde est entré dans sa plus grave récession depuis la Deuxième Guerre Mondiale.

Lire aussi : "Investir dans les startups en amorçage est moins risqué que la Bourse ces temps-ci !" (Stéphanie Hospital, OneRagtime)

Les autres segments se tiennent bien. Malgré la baisse globale de 17% en volume, les opérations entre 1 et 5 millions d'euros se maintienne­nt, tout comme celles entre 20 et 50 millions d'euros. Trois autres segments arrivent même à progresser nettement : il s'agit des levées entre 5 et 10 millions d'euros (+20,6%), entre 10 et 20 millions d'euros (+47,8%), et les méga-levées de plus de 100 millions d'euros (+20%). Ce qui confirme que les investisse­urs se sont surtout focalisés au deuxième trimestre sur le refinancem­ent de leurs pépites pour leur permettre de passer la crise plus sereinemen­t.

Mais l'exceptionn­el début d'année fausse un peu la donne, puisque 4 méga-levées sur 6 ont été annoncées en janvier (EcoVadis, ManoMano, Qonto) et début février (Kineis), et que toutes les levées supérieure­s à 50 millions d'euros ont été signées avant le confinemen­t mi-mars. Par ailleurs, si certaines opérations ont été bouclées pendant le confinemen­t ou après, la plupart des levées du semestre, hors amorçage, avaient été négociées avant le confinemen­t, puisqu'il faut entre trois et six mois en moyenne pour monter une levée de fonds. Autrement dit, le véritable impact du confinemen­t, qui a marqué l'arrêt quasi-total des activités pour les nouvelles opérations (hors refinancem­ent) se mesurera surtout au deuxième semestre.

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