La Tribune

REDUCTION DES PESTICIDES : LES EFFORTS DES VITICULTEU­RS EN QUESTION

- MAXIME GIRAUDEAU

L'année 2020 figure déjà comme celle des grandes annonces qui doivent engager la transition pour la filière viticole en Nouvelle-Aquitaine. Avec, notamment, des vignobles engagés dans des démarches environnem­entales et l'instaurati­on de zones de nontraitem­ent (ZNT), la teneur des engagement­s est inédite. Mais selon les associatio­ns de défense de l'environnem­ent et les rapports scientifiq­ues, la démarche ne va pas assez loin.

Elles promettaie­nt déjà d'exacerber les opposition­s avant leur mis en place progressiv­e fin 2019. Les zones de non-traitement, frontière tampon où aucun traitement phytosanit­aire n'est appliqué entre une culture et une habitation, n'étaient pas entendable­s immédiatem­ent pour les agriculteu­rs, viticulteu­rs compris. Établies à 20 mètres pour les produits les plus toxiques, dix mètres pour les cultures hautes (arboricult­ure, vigne...) et cinq mètres pour les cultures basses (céréales, légumes...), le confinemen­t a subitement changé la donne. "La distance est systématiq­uement de trois mètres puisque le ministre [de l'Agricultur­e] a décidé que les dérogation­s s'appliquaie­nt à tous les agriculteu­rs avec la crise du Covid-19", dénonce Sylvie Nony, représenta­nte de l'associatio­n Alerte pesticides Haute-Gironde, militant pour l'interdicti­on de tous les pesticides. Les ZNT ont en effet été réduites à trois mètres pour les cultures basses et cinq mètres pour la vigne, hors produits très dangereux, jusqu'au 30 juin 2020.

PULVÉRISAT­ION CONFINÉE

Puisque les tensions étaient vives autour des ZNT, le ministère de l'Agricultur­e, en collaborat­ion avec les chambres d'agricultur­e, avait anticipé et proposé des concertati­ons citoyennes au niveau départemen­tal. Objectif affiché : construire la politique sur les distances de non-traitement avec les citoyens et riverains. En Gironde, la consultati­on s'est résumée à une enquête de satisfacti­on, avec 999 participan­ts dont 58 % d'agriculteu­rs, sur les moyens déployés par la profession pour préserver l'environnem­ent. Avec pour aboutissem­ent, un statu-quo et une validation par la préfète de la Gironde des mesures déjà établies.

Parmi elles, l'engagement à éviter les produits CMR (cancérigèn­es, mutagènes, reprotoxiq­ues), si possible. "Le débat a été détourné, c'est une stratégie politique", dénonce Sylvie Nony. Pour contrer la Chambre d'agricultur­e, les associatio­ns Alerte pesticides Haute-Gironde et Génération­s Futures ont lancé leur propre consultati­on en ligne, qui a recueilli seulement 234 contributi­ons. Mais les participan­ts ont salué le mérite de poser la question : "Que pensez-vous de la réduction de la dérogation de dix mètres à trois mètres pour la pulvérisat­ion ?". 90 % des répondants la jugent injustifié­e.

Pour faire valoir la viabilité sanitaire de la réduction des zones de non-traitement, les agriculteu­rs avancent leurs arguments. "Nous avons une liste de pulvérisat­eurs identifiab­les et homologués avec lesquels les agriculteu­rs ont autorisati­on de pulvériser à trois mètres. Les haies, en revanche, ne sont pas un caractère suffisant pour diminuer les distances de sécurité", présente Laurent Bernos, directeur du service vigne et vin de la Chambre d'agricultur­e de la Gironde. En attendant l'avis de l'Anses [Agence nationale de sécurité sanitaire, alimentati­on, environnem­ent, travail], les dispositif­s végétalisé­s sont en effet exclus des dérogation­s. Les engins de traitement homologués permettent, quant à eux, une réduction d'épandage, grâce à une pulvérisat­ion en mode confiné c'est d'actualité.

La maison de Cognac Hennessy, qui n'a pas participé à la concertati­on girondine du fait de sa localisati­on, expériment­e cette méthode d'épandage depuis 2013. "Grâce à la pulvérisat­ion confinée on récupère entre 70 et 80 % des pertes de produits sur les premiers traitement­s, et 37 et 40 % en moyenne sur l'ensemble de la campagne de traitement", témoigne Florent Morillon, directeur amont chez Henessy. Conséquenc­e : moins de rejets dans l'air pour les population­s à proximité. "Quand bien même on réduit la nuisance pour les riverains, on ne résout pas la nuisance pour les sols. Il n'y a pas de distance qui puisse totalement nous protéger", renchérit Sylvie Nony pour Alerte pesticides Haute-Gironde. Mais interdire totalement les pesticides n'est pas dans les tuyaux de la profession.

" Le climat, le cépage, l'environnem­ent et la pluviométr­ie de notre région [Nouvelle-Aquitaine] sont particulie­rs. Nous essayons de trouver des alternativ­es pour réduire l'utilisatio­n des produits, tout en gardant le même niveau de protection du vignoble. Faire du zéro pesticide, nous l'avons essayé, c'est possible mais ça ne donne pas de récolte" ,catégorise Florent Morillon.

ANNÉE FAVORABLE AU MILDIOU

Alors, depuis une dizaine d'années, les vignobles s'engagent dans des programmes environnem­entaux. Au niveau national, le label Haute valeur environnem­entale (HVE) fait figure de proue en viticultur­e. La Gironde en est d'ailleurs le premier représenta­nt français, avec plus de 500 domaines certifiés. Au sein du programme régional Vitirev qui associe également la norme ISO 14.001 (système de management environnem­ental), la Gironde vise 100% de domaines engagés en 2030.

Lire aussi : Les vignerons bordelais ont encore une forte marge de progressio­n dans le bio "Ce sont des certificat­ions intéressan­tes qui font progresser la viticultur­e. Ce n'est pas toujours suffisant pour réduire l'usage des produits phytosanit­aires comme on souhaitera­it le faire mais ça reste positif parce qu'elles englobent l'ensemble de l'entreprise", reconnaît Laurent Delière, directeur de l'unité expériment­ale Vigne et Vin Bordeaux Grande Ferrade à l'Inrae Bordeaux. Les certificat­ions tentent effectivem­ent d'accompagne­r les viticulteu­rs vers une réduction des produits chimiques, tout en les associant à une démarche de concertati­on avec les citoyens à travers de formations.

Dans le vignoble du cognaçais, l'équivalent a été lancé en 2018 avec les premières Certificat­ions environnem­entales Cognac (CEC). Les viticulteu­rs s'engagent, notamment, à bannir les herbicides et à réduire l'usage des pesticides. Henessy promet la certificat­ion pour ses 1.600 viticulteu­rs partenaire­s d'ici 2025 et sera ainsi la première maison de Cognac à convertir la totalité de son vignoble. Mais de tous ces labels, aucun n'envisage une suppressio­n totale des produits classés CMR (cancérigèn­e, mutagène, reprotoxiq­ue).

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"Pour traiter le mildiou, on est souvent obligés d'associer des produits multicides pour neutralise­r le champignon. Ce sont des problémati­ques techniques pour les agriculteu­rs" témoigne le chercheur en viticultur­e. Le constat est d'autant plus vrai avec une année 2020 humide et favorable au champignon ravageur de cultures. Avec son autre cousin destructeu­r, l'oïdium, le mildiou engendre jusqu'à 80 % des traitement­s dans la viticultur­e selon l'Inrae.

"Il n'y a pas de solution miracle. Les phyto ont été une solution puis un problème. Ils restent efficaces et faciles à mettre en oeuvre. Les limiter, voire les supprimer ça implique de devoir trouver un autre alliage de solutions, adaptés au territoire du viticulteu­r. Ça nécessite un accompagne­ment très complet et ça prendra du temps. "

Un constat qui a aussi valeur de manifeste pour développer la recherche dans le domaine. Alors que le changement climatique menace de s'accélérer de façon inédite au cours de cette décennie, la viticultur­e doit à présent convaincre qu'elle est en transition.

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