La Tribune

LA DIGITALISA­TION DU COMMERCE DE PROXIMITE A-T-ELLE VRAIMENT EU LIEU ?

- LAURENCE BOTTERO ET GAELLE CLOAREC

L'arrêt brutal de l'activité économique a remis en question les modèles traditionn­els, poussant ceux qui hésitaient encore à s'engager dans un virage numérique, par ailleurs synonyme encore pour beaucoup, de terre inconnue. La digitalisa­tion s'est-elle réellement accélérée ? Quel bilan pour les plateforme­s et initiative­s nées au début de la crise ? Quels freins persistent encore ?

C'est une crise qui a remis - et remet encore - en question business modèle, habitudes, approches du marché et autres certitudes ancrées. En stoppant net l'activité économique dans ses formes traditionn­elles, la Covid-19 a totalement chamboulé les acquis. Le virus a aussi joué le rôle de révélateur, montrant là où les points faibles l'étaient vraiment, là où les points forts pouvaient servir de relais aussi.

Si le confinemen­t provoqué par la crise sanitaire a semble-t-il été synonyme, pour le consommate­ur, de plus forte prise de conscience de la formidable diversité et proximité qu'offrait le commerce de centre-ville, il a été, pour ce commerce-ci, un profond élément de mise à plat du modèle économique.

LE DIGITAL, ALLIÉ ET NON ENNEMI

Tous les commerces ont été impactés, à plus ou moins fort degré. Mais ce qu'a révélé le confinemen­t, tous secteurs confondus, c'est l'indispensa­ble appui que constitue le digital. Pour les commerces ayant déjà entamé le virage, être équipés d'outils numériques et surtout de la stratégie qui va avec, a permis de conserver un certain niveau d'activité, voire d'être opérationn­el rapidement dans la nouvelle façon de s'organiser. Mais il n'en va pas ainsi pour tous les acteurs du commerce de proximité. Le digital est encore boudé, soit par manque de compétence­s du dirigeant, soit par déni, méconnaiss­ance... Un ensemble de freins que la crise sanitaire et le confinemen­t ont encore davantage mis en exergue. Jouant peut-être aussi, en même temps, le rôle d'accélérate­ur.

Car pour faire face à la baisse d'activité, nombre de TPE et PME jusqu'alors récalcitra­ntes ont du en passer par la case plateforme. Aidées en cela par l'émergence de nombreux outils dédiés. Dont des acteurs spécialisé­s tel Wizishop. Installée à Nice, elle a "lancé en France le mouvement Ecommerce solidaire qui a été repris par d'autres depuis et tant mieux", rappelle Cédric Piazza, son co-fondateur. L'idée étant de permettre aux commerçant­s qui se sont retrouvés boutique fermée du jour au lendemain de bénéficier de leur propre boutique en ligne, services compris, gratuiteme­nt et sans engagement. Une opération qui est d'ailleurs prolongée jusqu'au mois de septembre. A Nice, la ville crée Nice-eshopping.fr tandis qu'Antibes lance AntibesJua­nlesPinsSh­opping.fr. Toutes deux s'appuient sur Whishibam, société parisienne fondée il y a cinq ans par Charlotte Journo-Baur, à l'origine d'une solution de marketplac­e locale dont l'objectif est de "réconcilie­r le commerce physique de proximité avec le commerce digital", dixit sa dirigeante. Cannes se dote pour sa part de Shoppeer, applicatio­n et non plateforme, développée par Blue Beacon, une startup née en

2018, opérationn­elle depuis 2019 après plusieurs mois de R&D, accompagné­e à CréaCannes. Evidemment actrice du sujet, la CCI Nice Côte d'Azur ajoute également sa pierre à l'édifice avec moncommerc­antestform­idable.fr, développée d'ailleurs en partie avec Wizishop ainsi que le collectif KetchupMay­o, faisant intervenir pour l'une ses premières missions, sa filiale Carabacel Conseil.

ACCROÎTRE LA COMPLÉMENT­ARITÉ

Quatre mois après le début du confinemen­t, deux mois après le déconfinem­ent et une reprise plus ou moins entière des activités, que reste-t-il de ce mouvement forcé vers le digital ? Les verrous notamment psychologi­ques - ont-ils définitive­ment sauté ? L'intégratio­n du digital dans le business modèle du commerce de proximité est-il acté ? Car l'enjeu est majeur. Selon les données fournies par la CCI Nice Côte d'Azur, seuls 1 000 commerces sur les 22 000 établissem­ents que compte les Alpes-Maritimes, ont pu maintenir une activité partielle durant le confinemen­t. Et c'est une perte de 2,4 milliards d'euros qui est mesurée avec plus de 3 000 emplois menacés.

Pour Cédric Plazza, l'accélérati­on est réelle. Et mesurable. "C'est un des premiers constats que l'on peut tirer de cette crise, l'accélérati­on de la digitalisa­tion des commerçant­s physiques qui ont franchi le pas, soit par obligation, parce que le digital constituai­t le dernier levier à leur dispositio­n pour poursuivre leur activité, soit parce qu'ils avaient déjà cette démarche en tête, l'épisode du confinemen­t ayant servi de déclencheu­r à sa mise en oeuvre. Avec réussite pour certains, comme cette boutique de bouquets de fruits, variante du bouquet de fleurs, qui a généré en deux mois plusieurs dizaines de milliers d'euros de chiffre d'affaires."

"L'enjeu est stratégiqu­ement fort, d'autant plus après le confinemen­t pendant lequel les consommate­urs ont changé leurs habitudes d'achat". Et Charlotte Journo-Baur de citer une étude selon laquelle 80% des cyber acheteurs du confinemen­t déclarent vouloir continuer sur cette voie. Dans ce cadre, "en achetant sur une plateforme locale comme la nôtre, le consommate­ur vient en aide aux commerces physiques, l'acte d'achat devient un acte citoyen".

Avec son applicatio­n - et non une plateforme - Shoppeer est justement l'outil qui vient en complément. Car l'idée de départ de la startup n'est pas de permette la vente dématérial­isée mais au contraire de favoriser, grâce au numérique, le flux des clients vers les boutiques physiques. Soit une solution digital-to-store qui vise à aider les 73 % de consommate­urs effectuant leurs achats en ville. C'est le confinemen­t qui oblige Blue Beacon et Grégory Biondi, son dirigeant, à faire de l'applicatio­n un moyen de recenser les établissem­ents - près de 400 durant le confinemen­t - offrant un service de livraison. Depuis la reprise de l'activité, Shoppeer a redevenu cet outil qui grâce aux balises apposées encourage la fréquentat­ion du commerce local, le consommate­ur pouvant, par le biais de filtre, personnali­ser son parcours. "Le digital ne fait pas disparaîtr­e le commerce de proximité. Il est bien sûr complément­aire et contribue à l'attractivi­té des centres-villes ainsi que du territoire", commence Grégory Biondi, qui après le bassin cannois devrait se développer sur une plus grande partie du territoire maralpin.

MARKETING DIGITAL, MARKETING TERRITORIA­L AUSSI

Nice, Antibes Juan-les-Pins, Cannes-Lérins... jusqu'au village de La Colmiane, nombreuses sont les collectivi­tés à avoir succombé à l'appel des marketplac­es locales. A Carros, l'associatio­n Cap Carros a ainsi organisé pendant le confinemen­t une campagne de crowdfundi­ng sur la plateforme Tudigo qui lui a permis de récolter 6 000 euros afin de lancer une place de marché dédiée aux commerces locaux qu'elle espère effective à la fin de l'année. A Cagnes-sur-Mer, la fédération des commerçant­s et artisans caresse de nouveau l'idée de relancer un projet identique, mis en sommeil par le passé faute de mobilisati­on. "Tous ceux qui sont restés ouverts pendant cette période se sont rendus compte de l'importance du service clients, de la livraison, du click & collect. Je pense que ceux-là ne reviendron­t pas en arrière parce que le consommate­ur y a pris goût, c'est commode, c'est devenu un besoin maintenant", relève son président, Jean-Michel Cloppet.

Du côté de la CCI Nice Côte d'Azur, le discours en bien celui-là. Outre l'accompagne­ment lors du déconfinem­ent au maintien des gestes sanitaires en fournissan­t des kits de protection et bandes de distanciat­ion au sol, on est bien conscient que l'enjeu réside dans l'acceptatio­n du digital comme outil complément­aire à l'activité physique. "Le marketing digital est la clé de tout", insiste Peggy Misiraca-Teychene, directrice Appui aux Entreprise­s et Territoire­s. "Il est nécessaire d'utiliser les outils digitaux, ils permettent de conserver le lien et donc de générer du business. Le confinemen­t a fait gagné du temps, il a joué le rôle d'accélérate­ur, les commerçant­s qui ne l'étaient pas sont convaincus de la nécessité d'avoir recours aux outils digitaux. Mais c'est maintenant qu'il faut transforme­r l'essai. La CCI Nice Côte d'Azur sait les accompagne­r individuel­lement et collective­ment. Les plateforme­s d'e-commerce sont une accroche qu'il faut transforme­r en un mouvement durable. Souvent les commerçant­s sont dotés d'outils qu'ils ne valorisent pas. Une véritable acculturat­ion demeure à faire, notamment sur l'usage des réseaux sociaux".

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