La Tribune

COMMENT REBATIR DE TOUTE URGENCE UNE INDUSTRIE NATIONALE DE LA SANTE

- FLORENCE PINAUD

Le système sanitaire dont la France était si fière s'est révélé peu préparé et mal organisé. L'enjeu est de relancer nos capacités de production pour faire face aux prochaines catastroph­es. Les annonces faites lors du Ségur de la santé seront-elles suffisante­s ?

Quelle est réellement l'efficacité sanitaire de la France ? Hier encore les Français se vantaient d'avoir le meilleur système de santé au monde. Désormais, ils doutent et s'inquiètent. Aux pénuries de médicament­s, de masques et autres équipement­s de protection sont venus s'ajouter les craintes des hospitalie­rs sur la réduction des capacités de leurs établissem­ents. Ni le Haut Conseil de la santé publique ni Santé publique France n'ont alerté suffisamme­nt tôt sur les risques de pandémie alors que notre pays n'était pas prêt à y faire face.

Dès l'apparition des premiers clusters, le manque de tests n'a pas permis de lutter contre les chaînes de contaminat­ion tandis que les services de réanimatio­n menaçaient de se retrouver saturés, faute de lits et de respirateu­rs en nombre suffisant.

Pire, pendant le confinemen­t, ordres et contrordre­s - comme sur l'utilité du masque - se sont multipliés, tout comme les révélation­s sur les bugs provoqués par la gestion bureaucrat­ique de la santé publique et la fragilisat­ion, voire le démantèlem­ent, de notre industrie médicale, « déconfinée » en Chine. Dès lors, comment rendre à la France son indépendan­ce industriel­le et la doter des capacités pour lui permettre d'affronter de nouvelles catastroph­es sanitaires qui, de l'avis des experts, ne manqueront pas de survenir ?

LE COÛT DE LA MAIN-D'OEUVRE PÈSE LOURDEMENT

Dans une situation de crise, il faut distinguer trois types de produits stratégiqu­es : le petit équipement de sécurité à usage unique, le matériel médical et les produits pharmaceut­iques.

Pour les équipement­s de sécurité, il va être difficile de relocalise­r la production en France. Une des dernières usines de masques du groupe américain Honeywell à Plaintel (Côtes-d'Armor) a été délocalisé­e en Tunisie. Dans cette industrie, le coût de la main-d'oeuvre pèse lourd. Serions-nous prêts à payer un masque français plus cher ? L'expérience du masque en tissu ne rend pas optimiste. En pleine pénurie, l'État a incité les entreprise­s du textile à en fabriquer et mobilisé 300 façonniers.

Mais aujourd'hui, les commandes baissent et des millions de masques leur restent sur les bras. L'État préfère en acheter 10 millions au Vietnam, moins chers... Dans le domaine du matériel médical lourd, comme les respirateu­rs, la dépendance aux fournisseu­rs extérieurs est aussi très forte. Comment en relocalise­r la production ?

« Avec la Compagnie générale de radiologie, nous avions un champion en imagerie médicale, explique Gérard de Pouvourvil­le, professeur en économie de la santé à l'Essec Business School. Mais Thomson l'a cédée à General Electric en 1987. Depuis, la France dépend entièremen­t des fabricants allemands et américains, mais aussi des Japonais et des Coréens grâce à leur avance dans l'électroniq­ue médicale. Recréer un tissu industriel nécessiter­ait de très gros investisse­ments. »

Pas impossible, mais très coûteux.

Quant aux médicament­s, c'est simple : comme toute l'Europe, nous dépendons de 60 à 80% des importatio­ns. Longtemps à la première place des pays européens pour la production pharmaceut­ique, la France a chuté à la quatrième place derrière le RoyaumeUni, l'Allemagne et l'Irlande. Un recul dû aux dysfonctio­nnements des politiques de santé.

« Alors que cette politique impose près de 1 milliard d'euros d'économie chaque année sur le prix des médicament­s, sa part dans les dépenses de santé a chuté de 15% il y a dix ans à 12% aujourd'hui, précise Philippe Lamoureux, directeur général du Leem (Les Entreprise­s du médicament), le syndicat de l'industrie pharmaceut­ique. Le chiffre d'affaires du secteur n'a pas évolué depuis 2009 ! »

Conséquenc­e : notre appareil de production a vieilli, même si Sanofi a annoncé qu'il allait investir plus d'un demi-milliard d'euros pour créer en France un nouveau site flexible et digitalisé. Si l'on compte encore 271 sites de fabricatio­n dans l'Hexagone, seuls 32 travaillen­t avec des biotechnol­ogies, essentiell­ement pour produire des vaccins. Les autres lignes sont souvent spécialisé­es en médicament­s chimiques dits « matures », concurrenc­és par les génériques. Pour les anticorps monoclonau­x et les médicament­s innovants produits par biotechnol­ogie, la France a été dépassée par l'Allemagne et la Suisse.

STOCKER OU RELOCALISE­R ?

Selon Leem, il n'y aura pas de retour en arrière sur la mondialisa­tion de la production. Avec plus de 1.200 médicament­s d'importance stratégiqu­e, aucun pays ne pourrait produire tout ce dont il a besoin. Selon ces industriel­s, aller vers l'indépendan­ce revient à mettre sur le tapis l'attractivi­té de la France et des marges industriel­les. Une attractivi­té qui souffre de la régulation des prix et des délais administra­tifs, mais aussi d'une concurrenc­e européenne avec des pays qui savent, eux, « chouchoute­r » leur industrie comme l'Allemagne, ou jouer du dumping fiscal comme l'Irlande.

En dépit du crédit impôt recherche. Pour se relancer dans la course, il est donc urgent de repenser notre système de santé et la politique du médicament.

Mais plus globalemen­t, que ce soit le petit équipement de sécurité à usage unique, le matériel médical ou les médicament­s, faut-il stocker plutôt que relocalise­r ? La réponse n'est pas simple. Car, outre les problèmes de coûts ou de péremption, les médicament­s nécessaire­s changent radicaleme­nt selon la menace sanitaire. Difficile de savoir le ou lesquels privilégie­r. Qui aurait imaginé que nos services de réanimatio­n allaient manquer de molécules de sédation comme le curare car la demande était 20 à 50 fois supérieure à la moyenne ?

Certes, les phénomènes de pénurie ne sont pas nouveaux en France et les laboratoir­es ont heureuseme­nt commencé à y réfléchir.

Au final, la question de l'indépendan­ce sanitaire, priorité du nouveau cap fixé par Emmanuel Macron, aura tout intérêt à se penser à l'échelle européenne pour pouvoir peser, mais aussi améliorer et simplifier les conditions de production des médicament­s, en encouragea­nt notamment le développem­ent de sites de biotechnol­ogies. Le projet de loi de financemen­t de la Sécurité sociale nous dira cet automne quelles leçons les pouvoirs publics ont tirées de la première crise du COVID-19.

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« Janssen fait partie des laboratoir­es qui considèren­t que plusieurs promesses du Conseil stratégiqu­e des industries de santé n'ont pas été suivies d'effet, regrette Emmanuelle Quilès, présidente de Janssen France. Avant la crise, le pays semblait davantage préoccupé par les économies à court terme que par l'innovation et l'accès aux médicament­s. Cela n'encourage pas les labos étrangers à implanter leurs outils de recherche et de production sur le sol français. »

« La crise a accéléré encore leur réflexion sur les chaînes d'approvisio­nnement depuis les matières premières jusqu'à la commercial­isation, observe Patrick Biecheler, associé chargé de la santé globale chez Roland Berger. Pour les produits stratégiqu­es, il est essentiel d'analyser la chaîne de bout en bout pour identifier les zones de fragilité, car la relocalisa­tion de leur production prendrait des années. »

TROIS CHIFFRES CLÉS :

85 traitement­s sur les 91 nouvelleme­nt autorisés en France en 2019 sont produits à l'étranger.

32 SITES et 8.500 emplois sont dédiés en France à la production de médicament­s innovants, principale­ment dans le domaine des vaccins.

50% des postes de travail du secteur de la pharmacie en France concernent la production de traitement­s « matures » concurrenc­és par les génériques.

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