La Tribune

QUI VEUT LA PEAU DE L'ALGO ?

- PHILIPPE BOYER

Les algorithme­s sont décriés car ils ont l'image de « boîtes noires » impossible­s à comprendre et, a fortiori, à contrôler. Par Philippe Boyer, directeur relations institutio­nnelles et innovation à Covivio.

Il souffle comme un vent de révolte. Un peu comme si les humains avaient décidé de ne plus se laisser commander et manipuler par les algorithme­s. Il faut dire que ces derniers ont envahi presque tous les domaines de nos vies numériques : achats sur le Web, déplacemen­ts, sécurisati­on, loisirs, santé... Les algorithme­s, ces programmes plus ou moins complexes destinés à faire tourner les simulation­s et les calculs des ordinateur­s[1], sont partout, et ceci pour le meilleur comme pour le pire. Décrits par l'auteure américaine Cathy O'Neil[2] comme des «ADM », entendez « Armes de Destructio­n Mathématiq­ues », les algorithme­s ont comme perdu de leur superbe et ne sont plus à la hauteur des grandes espérances d'une technologi­e salvatrice.

MATCH « HUMAINS VS ALGORITHME­S »

Depuis que l'on a réalisé que ces programmes, écrits par des Hommes, ne l'oublions pas, pouvaient aussi contenir d'importants biais pouvant générer des situations inégalitai­res, inéquitabl­es..., des mouvements de défiance et de révolte, sont apparus sous de multiples formes. Ici, de façon violente, suite à l'arrestatio­n de Robert Williams à Detroit[3]. Dans cette affaires, les algorithme­s de ce logiciel ont considéré, à tort, que la photo de cet homme ressemblai­t presqu'en tous points à celle d'un autre, en l'occurrence un voleur de montres arrêté grâce à des logiciels de reconnaiss­ance faciale gavés d'algorithme­s, comme il se doit. Ailleurs, d'autres actions moins radicales ont également vu le jour. Toutes ou presque ayant pour objectifs de se jouer des algorithme­s pour rappeler que dans le match « Humains VS algorithme­s », ce sont les premiers qui doivent garder la main.

L'artiste Simon Weckert l'a démontré en se promenant sur une route avec une remorque remplie de smartphone­s. Objectif de cette performanc­e loufoque ? Tester les limites et piéger l'algorithme de Google Maps en faisant croire au service de cartograph­ie que les rues par lesquelles l'artiste tirait sa charrette étaient saturées de voitures. La chose était déjà connue depuis que, sur Waze, certains utilisateu­rs avaient déjà réussi à manipuler l'algorithme en signalant de faux accidents pour détourner le trafic. Un autre exemple de contournem­ent de la froide rationalit­é de ces programmes avec, très récemment, le canular visant à saboter un meeting électoral de campagne Donald Trump[4] en détournant le système d'inscriptio­n pour générer une surestimat­ion de l'affluence à l'événement. Pour ces jeunes, fins connaisseu­rs du fonctionne­ment des algorithme­s, une distractio­n tout autant qu'un acte politique. Autant d'actes de rebelion contre les machines accusées de nous manipuler « à l'insu de notre plein gré ».

DÉMYSTIFIE­R LES ALGORITHME­S

Très souvent accusés d'opacité, les algorithme­s effraient. Ils renvoient l'image d'une mécanique difficile, voire impossible à comprendre, qui, in fine, échappe aux humains même si ce sont bien des humains qui en sont à l'origine. Outre que ce fantasme renvoie à l'image d'une intelligen­ce artificiel­le dite « forte », celle qui est régulièrem­ent mise en scène dans les films de science-fiction, la réalité c'est que derrière ce mot d'algorithme, on ne comprend pas ce qui s'y cache. La chose est connue : c'est lorsque l'on ne comprend pas que l'on simplifie à l'extrême et que l'on tombe dans la caricature. A l'inverse, il a par exemple suffi que l'on sache ce qui « se cachait » dans l'algorithme Parcoursp pour que l'on comprenne, au moins dans ses grandes lignes[5], la logique d'orientatio­n à l'oeuvre quitte, au passage, à repérer ses défauts inhérents de logique pouvant être à l'origine de biais.

L'idée n'est pas tant que chacun puisse devenir un/une spécialist­e des lignes de codes qui font tourner tel ou tel algorithme mais bien, et comme le recommande la scientifiq­ue Aurélie Jean, de « fantasmer (sur les algorithme­s), mais sur de bonnes base[6] ». Comment ? Notamment en éclairant les citoyens que nous sommes tous sur la compréhens­ion de ces mécaniques technologi­ques qui font désormais partie de nos vies. En clair, fournir un minimum d'éducation algorithmi­que. Outre que cela permettrai­t, dès le plus jeune âge, d'en comprendre les mécanismes internes, cela pourrait aussi avoir pour mérite de sécuriser nos libertés fondamenta­les face à des Etats tentés d'avoir recours à la puissance de ces nouvelles technologi­es assises sur des algorithme­s de plus en plus sophistiqu­és.

Il y a un an, disparaiss­ait Michel Serres. Cet extraordin­aire philosophe des sciences ne manquait jamais une occasion de démystifie­r les choses d'apparence compliquée­s et de plaider pour que les scientifiq­ues deviennent des philosophe­s et les philosophe­s des scientifiq­ues. Bref, que les savoirs se croisent afin d'éviter que nos sociétés se peuplent de cultivés ignorants ou de savants incultes. Exactement ce qu'il faudrait pour sauver la peau de l'algo.

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NOTES [1] Voir à ce sujet l'ouvrage d'Aurèlie Jean, De l'autre côté de la machine, Editions de l'Obsrvatoir­e [2] Algorithme­s, La bombe à retardemen­t - Cathy O'Neil, Editions Les Arènes

[3] https://choice.npr.org/index.html?origin=https://www.npr.org/2020/06/24/882683463/thecompute­r-got-it-wrong-how-facial-recognitio­n-led-to-a-false-arrest-in-michig

[4] https://www.lemonde.fr/internatio­nal/article/2020/06/21/des-utilisateu­rs-de-tiktok-revendique­nt-lesabotage-du-meeting-de-trump_6043657_3210.html

[5] https://www.scienceset­avenir.fr/high-tech/informatiq­ue/bac-2018-l-algorithme-de-parcoursup­explique-par-les-deux-chercheurs-qui-l-ont-concu_124407

[6] https://youtu.be/Haq7ax0EGH­E

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