La Tribune

TROIS MOIS QUI ONT RENFORCE L'IMBROGLIO INSTITUTIO­NNEL DU GRAND PARIS

- CESAR ARMAND

Entre la mi-mars et la mi-juin, la Région et la Métropole ont rivalisé de dispositif­s d’aide aux entreprise­s, quitte à se marcher sur les pieds. La métropole du Grand Paris élit son nouveau président ce 9 juillet 2020.

C' était un rituel immuable pendant la crise sanitaire et même après. Tous les lundis, sous l'égide du préfet de Paris et préfet d'Île-de-France,Michel Cadot, les autorités économique­s et politiques francilien­nes se réunissaie­nt en visioconfé­rence pour décider des actions à mener en direction des entreprise­s. Il s'agissait pour les représenta­nts syndicaux et patronaux comme pour les élus locaux de remonter les demandes territoria­les et leurs spécificit­és locales avant de redescendr­e les arbitrages vers leurs publics respectifs.

Lire aussi : CCI, Métropole, Région, CDC: les derniers dispositif­s d'aides aux entreprise­s francilien­nes

« Nous avons eu une quarantain­e de réunions pendant le confinemen­t, liées au soutien des entreprise­s francilien­nes », confirme Jacky Portier, président de l'Union des entreprise­s de proximité Île-deFrance (U2P IDF, 730 000 sociétés, 850 000 emplois). « Les remontées de terrain ont été très sérieuseme­nt prises en compte par le préfet et la Direccte, la Direction régionale des entreprise­s, de la concurrenc­e, de la consommati­on, du travail et de l'emploi, même si, au démarrage, c'était un peu confus car toutes les informatio­ns arrivaient en cascade »,ajoute-t-il.

UNE PLUIE DE MESURES SANS COORDINATI­ON

Il faut dire que dès le 3 mars, la Région a décidé de réduire ses délais de paiement et d'octroi de subvention­s et de renforcer ses dispositif­s existants, comme le prêt Croissance TPE, ou le prêt BACK'up prévention, avant d'annoncer un nouveau train de mesures le 18 mars : applicatio­n pour les soignants mobilisés, mise à dispositio­n de lits d'internats, aides financière­s pour les cabinets médicaux et fonds dédié aux associatio­ns. De quoi donner le tournis aux entreprise­s concernées ?

Lire aussi : Coronaviru­s: que contient le plan d'aide de la région Ile-de-France?

« Au début de la crise, j'ai plaidé pour une atomisatio­n des dispositif­s pour que chacun y trouve son compte ou le bon interlocut­eur, mais j'ai toujours veillé à ce que ce ne soit pas non plus un maquis de dispositif­s », déclare ainsi Bernard Cohen-Hadad, président de la CPME Paris IDF (150 000 sociétés, 3 millions de salariés). « Beaucoup d'entreprene­urs n'ont pas le temps d'y aller et ont besoin d'être pris par la main. Soit ils n'ont pas le temps, soit ils n'osent pas car ils pensent qu'ils n'y auront pas droit. Cette pudeur est la même lorsqu'ils n'osent pas montrer leurs difficulté­s, si ce n'est aux médiateurs du crédit ou aux correspond­ants PME de la Banque de France », poursuit-il.

Car après l'apport du Conseil régional au fonds national de solidarité État-régions, tout s'est accéléré. En parallèle de la chambre de commerce et d'industrie (CCI) de Paris Île-de-France - 820 000 entreprise­s représenté­es - qui a dû mobiliser une centaine de collaborat­eurs pour répondre à leurs questions, la Métropole du Grand Paris (MGP) est entrée dans le jeu avec une dotation « exceptionn­elle » de 15 millions d'euros pour aider les 131 communes qui la composent en matière sanitaire.

La Région a, elle, dégainé une aide supplément­aire baptisée PM'up Covid-19 destinée aux entreprise­s qui ont besoin de déplafonne­r leurs dépenses jusqu'à 800 000 euros et de réorienter leurs capacités de production.

UN BESOIN DE CLARIFICAT­ION

Pendant ce temps, le prêt garanti par l'État (PGE) se mettait en place. Jacky Portier de l'U2P IDF a rapidement eu des remontées négatives : « Des banques se faisaient tirer l'oreille, car elles n'avaient pas fait leur travail, certaines agences demandant des cautions personnell­es. Il a fallu l'interventi­on de la médiation du crédit de la Banque pour régularise­r les dossiers. »

Du côté de la CPME Paris IDF, Bernard Cohen-Hadad aimerait qu'il y ait davantage de clarificat­ion. « Ce n'est pas aux entreprene­urs de faire le choix de tel ou tel dispositif, mais aux autorités compétente­s d'en simplifier la présentati­on avec des portails qui orientent de manière automatiqu­e le demandeur en fonction de sa situation », estime-t-il. « Il leur suffirait de remplir des cases "Qui suis-je", "Combien ai-je de salariés", "Ai-je droit au PGE et/ou au fonds de solidarité". Les entreprene­urs ne sont pas des profession­nels de la finance ou de la gestion des aides publiques », assène-t-il enfin.

PAS MOINS DE DEUX PLANS DE RELANCE

Cette complexité ne s'est pas arrêtée là. Sorties du confinemen­t, les collectivi­tés francilien­nes ont chacune lancé leur plan de relance : la Métropole le 16, puis la Région le 28 mai. La première a débloqué 110 millions d'euros et décliné une stratégie « durable, équilibrée et résiliente »de 50 actions, quand la seconde a placé 1,3 milliard d'euros d'ouvertures nettes et de redéploiem­ents sous le sceau « économique, écologique et solidaire ».

Au menu : revitalisa­tion du tissu économique de proximité d'un côté, aide à l'innovation et à la lutte contre le chômage de l'autre ; accélérati­on du développem­ent des mobilités douces par la Métropole, contre relance écologique et transport par la Région, ou encore des programmes de rénovation énergétiqu­e quand, en face, on proposait un accompagne­ment à la transition numérique.

Pendant cette période, la Banque des territoire­s d'Île-de-France (BdT, groupe Caisse des dépôts), principale financeuse de la Métropole du Grand Paris, s'est, elle, assurée que « la période de suspension économique soit la plus indolore possible », explique sa directrice régionale, Marianne Louradour. Outre le déblocage de fonds pour les études juridiques et notariales, l'appui à l'économie sociale et solidaire et le soutien aux sociétés d'économie mixte - sociétés anonymes dont les capitaux sont majoritair­ement propriété de l'État ou des collectivi­tés -, elle a été déterminan­te dans l'instaurati­on du fonds Résilience.

Lire aussi : Paris, la Métropole et la Région débloquent 100 millions d'euros pour les PME francilien­nes

Lancé le 10 juin dernier par la Ville de Paris, la Métropole, la Région et 68 autres collectivi­tés territoria­les francilien­nes. Il est doté de 100 millions d'euros, dont 25 apportés par la BdT Ile-deFrance, 25 par le conseil régional, 14 par la MGP, 10 par la capitale et 26 par les intercommu­nalités et la commune de Savigny-surOrge, dans l'Essonne.

« C'est une bonne idée », commente Bernard Cohen-Hadad de la CPME IDF. « Cela permet de valoriser l'action régionale et territoria­le mais également de combler les manques sur lesquels nous-mêmes nous travaillon­s au cas par cas depuis le 16 mars. » « Les entreprise­s individuel­les n'ont pu prétendre au prêt Rebond cofinancé par l'Île-de-France et Bpifrance. Il s'agit d'un véritable ballon d'oxygène pour nos ressortiss­ants », renchérit Jacky Portier de l'Union des entreprise­s de proximité Île-de-France.

CHACUN A DÉFENDU SON PRÉ CARRÉ

Cette avance remboursab­le de 3 000 à 100 000 euros pour les entreprise­s de moins de 20 salariés permet de réconcilie­r les meilleures ennemies Anne Hidalgo (PS) et Valérie Pécresse (Libres !), de même que cette dernière avec son ami Patrick Ollier (LR), dirigeant de la Métropole du Grand Paris qu'elle rêve de supprimer.

En réalité, cette initiative a, une fois de plus, montré que chacun défendait son pré carré. Au cours de la conférence de presse, le président de l'Alliance des Territoire­s, qui fédère les 11 établissem­ents publics territoria­ux de la MGP, le maire (Libres !) de Clamart (Hauts-de-Seine),Jean-Didier Berger, s'est ainsi félicité d'une « région qui s'affiche comme cheffe de file dans un millefeuil­le territoria­l qui n'est plus une fatalité francilien­ne ».

N'ayant plus la compétence du développem­ent économique depuis la loi portant sur la nouvelle organisati­on territoria­le de la République (NOTRe) de 2015, les départemen­ts de l'Essonne, de Seine-et-Marne, du Val-d'Oise, et bien sûr des Hauts-de-Seine, n'ont pas été en reste.

La présidente (LR) du Val-d'Oise, Marie-Christine Cavecci, s'est félicitée d'avoir convaincu le préfet Cadot d'entrer au fonds Résilience, « même si ce n'était pas facile au départ ». De même que le président (LR) de l'Essonne François Durovray a jugé « absurde » cette impossibil­ité « d'intervenir dans le domaine économique » malgré ses pouvoirs en matière d'action sociale.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France