La Tribune

LA CAMARGUE, LABORATOIR­E DE LA TRANSITION ECOLOGIQUE ? LA RIZICULTUR­E 2/3

- MAEVA GARDET-PIZZO

Sous la pression de la grande distributi­on, d’une concurrenc­e internatio­nale exacerbée et d’un contexte réglementa­ire contraigna­nt, la rizicultur­e camarguais­e a vu ses surfaces divisées par deux depuis les années 1960. Face à ces difficulté­s, des producteur­s et transforma­teurs s’organisent pour innover et faire valoir la qualité de leurs produits, dans le respect de l’environnem­ent.

Si la Camargue est une grande discrète, ses grains de riz d'à peine quelques millimètre­s peuvent s'avérer très bavards. Car lorsque l'on s'y penche, ils racontent beaucoup de notre rapport à l'alimentati­on, à l'environnem­ent, des relations complexes entre écologie et économie.

L'histoire du riz en France est ancienne. En 1593, Henri IV ordonne la culture de la céréale en Camargue. Au XIXème siècle, l'endiguemen­t du Rhône entraîne une importante salinisati­on du delta. Le riz, de par l'apport d'eau douce qu'il exige, permet de contrer le phénomène et de rendre les terres cultivable­s.

C'est là son but premier jusqu'à la seconde guerre mondiale où il devient un moyen d'éviter les pénuries alimentair­es. La rizicultur­e en France prend une autre dimension. Le plan Marshall permet d'importants travaux d'aménagemen­t ainsi que la constructi­on de stations de pompage, d'usines et de silos de stockage.

Jusque dans les années 1960, la rizicultur­e camarguais­e est à son apogée avec 35 000 hectares cultivés. Un chiffre qui décroîtra ensuite au fil des années, pour n'atteindre que 14 000 hectares aujourd'hui.

DES PRODUCTEUR­S SOUS PRESSION

Les causes de ce recul sont multiples. La baisse des aides publiques en 2014 a été particuliè­rement rude. Alors que le riz représenta­it 20 000 hectares en Camargue, le gouverneme­nt a choisi de cesser la distributi­on des aides européenne­s pour l'agricultur­e qui lui étaient dédiées. Un coup dur compensé partiellem­ent par des Mesures agro-environnem­entales (MAE) portées par les Régions. "Mais la Région Sud vient de les supprimer. Nous avons demandé une audience à Renaud Muselier, sans réponse pour le moment", regrette Bertand Mazel, président du Syndicat des riziculteu­rs de France. Le riz est pourtant une céréale qui demande beaucoup d'attention et d'investisse­ment, l'environnem­ent aqueux étant le nid de bon nombre de nuisibles.

Moins soutenus, les producteur­s sont en parallèle soumis à une pression forte de la grande distributi­on qui représente 80 % de leurs débouchés. "L'alimentati­on est un point important pour ces distribute­urs. C'est le seul marché sur lequel ils ne sont pas trop concurrenc­és par le commerce en ligne donc ils augmentent leurs marges". Au détriment des producteur­s puisqu'il faut maintenir des prix attractifs.

D'autant qu'ils doivent faire face à une forte concurrenc­e venue d'Europe et d'Asie, l'import représenta­nt 70 % du riz consommé en France. Des concurrent­s qui, selon Bertrand Mazel, ne jouent pas avec les mêmes armes du fait des différence­s de réglementa­tions sociales et sanitaires. "En Grèce ou en Italie, ils ont trois à quatre fois plus de solutions que nous en matière d'insecticid­es, fongicides, herbicides. En Chine, ils en ont dix fois plus".

Des normes qui s'expliquent par la fragilité de l'écosystème camarguais, par sa biodiversi­té qu'il faut préserver mais aussi par un phénomène de concentrat­ion des substances nocives. "Le niveau de produits chimiques dans certains étangs est problémati­que", explique Gaël Hemery, chargé de mission au Parc régional de Camargue. Du fait de l'enclavemen­t du delta vis-à-vis de la mer, "une molécule qui arrive dans l'étang du Vaccarès sera là pour 20 ans". Et même si, reconnaît-il, "les riziculteu­rs ont fait beaucoup de progrès", ils paient les errements du passé mais aussi l'écoulement par le Rhône de polluants déversés plus au Nord.

"Nous savons que c'est un challenge pour les riziculteu­rs. C'est compliqué de ne pas traiter dans ce type de cultures".

DES CONTRAINTE­S ENVIRONNEM­ENTALES QUI EN FONT UN PRODUIT D'EXCEPTION

D'un autre côté, ces exigences font du riz camarguais un produit d'exception. Ce qui lui a valu en 2000 l'obtention d'une Indication géographiq­ue protégée. C'est la première céréale française à se prévaloir de ce label. Un moyen de gagner en visibilité, surtout à l'heure où le mieux-manger est une tendance de fond. Depuis 2014, la consommati­on de ce riz IGP a augmenté de 40 %. La restaurati­on collective, scolaire en particulie­r, y est sensible, elle qui est appelée à augmenter la part de produits locaux dans ses menus. "Nous travaillon­s beaucoup avec la Région Occitanie sur ce point", assure Bertrand Mazel.

Certains vont même au-delà des normes imposées en se convertiss­ant au bio, s'assurant des produits à plus forte valeur ajoutée. Dix pour cent des producteur­s ont fait ce choix sur les 180 que compte la Camargue. Une qualité qui suscite de plus en plus l'appétit de la grande distributi­on désireuse de répondre aux nouvelles attentes du marché.

Mais le bio ne peut pas tout. « Cela reste une niche. Je ne suis pas sûr qu'on puisse l'étendre à toutes les production­s. Il faut aussi pouvoir proposer du riz à un prix accessible », observe le président du Syndicat qui regrette de ne pas être plus écouté lorsqu'il pointe les difficulté­s de ses confrères. « La France est bien contente d'avoir du riz sur son territoire. Avec la crise du coronaviru­s, on a retrouvé un peu de crédibilit­é mais on va vite nous oublier ». Pourtant, il pointe les 2000 emplois directs et indirects liés à la rizicultur­e, mais aussi son rôle au sein de l'équilibre naturel de la Camargue. « On envoie chaque année 500 millions de mètres cubes d'eau douce dans le delta. Cela permet d'élever des ovins, des taureaux et de faire vivre toute cette biodiversi­té ».

SCIENCE, TECHNOLOGI­E, ÉCONOMIE : INNOVER SUR TOUS LES FRONTS

Pas défaitiste pour autant, il cherche, en tant que Président du Centre français du riz - son autre casquette- à innover pour rendre la production viable et durable. Cela passe par la recherche de nouvelles variétés plus à même de résister aux changement­s climatique­s et aux nuisibles. Trente nouvelles variétés ont ainsi été créées ces quinze dernières années, 25 sont actuelleme­nt à l'essai. « Nous lançons également beaucoup d'expériment­ations sur la robotisati­on, les systèmes d'agricultur­e de précision. Cela nous permet de gaspiller moins d'engrais, de pesticides, de fongicides. Il existe aussi des drones qui, grâce à la photosynth­èse, sont capable d'analyser la couleur des feuilles pour réguler l'apport en azote en cas de carence ».

Le Centre du riz croit également à la valorisati­on des sous-produits de la céréale. Anaïs Lacrotte, entreprene­use et fille de riziculteu­rs est elle aussi de cet avis. Elle est impliquée dans la création de plusieurs sociétés qui valorisent ces déchets, dans le bâtiment, les cosmétique­s ou encore la biscuiteri­e. Parmi ces sous-produits, la paille, utilisée dans l'isolation, présente un intérêt tout particulie­r. « C'est un déchet qui ne se dégrade pas et qui provoque des champignon­s, avec un impact sur le grain qu'on ne peut plus vendre au prix que l'on voulait », explique-t-elle. Valoriser la paille permet de lutter contre ce phénomène, de créer de nouveaux métiers, tout en offrant des revenus supplément­aires aux producteur­s. Anaïs Lacrotte est aussi co-fondatrice de la jeune pousse Provence Factoriz, qui produit des sakés à base de riz de Camargue. Un moyen de faire connaître ce produit et d'en tirer un maximum de profits. A terme, elle envisage de se diversifie­r plus encore en proposant des glaces et des crèmes.

Un pari qu'a aussi fait l'entreprise marseillai­se MoRice avec ses yaourts et glaces végétaux bio.

Des initiative­s modestes qui visent toutes à valoriser le terroir local et à apporter leur grain de riz à l'édifice. Pour qu'écologie et économie aillent enfin de pair.

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