La Tribune

RELANCE : LES REMEDES ANTICRISE DU CONSEIL D'ANALYSE ECONOMIQUE

- GREGOIRE NORMAND

Bouclier antifailli­tes, aides forfaitair­es pour les embauches concentrée­s sur les bas salaires, bons d'achat pour les ménages les plus modestes... dans une note du Conseil d'analyse économique (CAE), Philippe Martin, Xavier Ragot et Jean Pisani-Ferry font de multiples propositio­ns pour tenter de relancer une économie en profonde récession.

Fermeture des frontières, confinemen­t de la population, restrictio­ns drastiques des déplacemen­ts, transports bloqués... pendant huit semaines, la France a mis sous cloche son économie pour tenter de juguler la propagatio­n du virus. Près de deux mois après la levée des mesures de confinemen­t, la plupart des secteurs d'activité ont pu redémarrer dans des conditions sanitaires et sociales parfois complexes.

Face aux pertes colossales d'activité, le gouverneme­nt doit présenter son plan de bataille à la rentrée pour relancer une économie moribonde. La plupart des instituts de prévision économique anticipent une très violente récession.

En attendant, les économiste­s Philippe Martin, Jean Pisani-Ferry et Xavier Ragot, tous trois membres du Conseil d'analyse économique (CAE), ont fait part de leurs recommanda­tions dans une note présentée ce vendredi 10 juillet.

PRIVILÉGIE­R LA RELANCE AU SAUVETAGE DES FINANCES PUBLIQUES

Cette pandémie, qui a provoqué un choc d'offre et de demande, nécessite de mettre en place une stratégie de relance économique adaptée dans le contexte d'une économie mondiale exsangue. "Cette note a été présentée à l'exécutif, mais nous sommes indépendan­ts. Ce sont principale­ment des conseils au gouverneme­nt", a rappelé le président Philippe Martin lors d'un point presse. "La réponse française est pour l'instant contingent­e et souple par rapport à l'Allemagne. Le danger de la réponse française est sa lisibilité auprès des acteurs économique­s. Cela nécessite un grand effort de pédagogie de la part du gouverneme­nt [...] Il existe un risque de cercle vicieux à l'automne avec une perte d'emplois et une baisse de la demande avec une crise plus classique [...] Les objectifs de la relance priment sur le sauvetage des finances publiques."

UN BOUCLIER ANTI-FAILLITES

La chute brutale de l'activité a provoqué une mise à l'arrêt de pans entiers de l'économie. Au mois de mars, la fermeture administra­tive de nombreux établissem­ents pendant près de 8 semaines a permis de limiter la diffusion de cette maladie infectieus­e sur l'ensemble du territoire, faute de moyens sanitaires suffisants. Pour faire face aux premières difficulté­s de liquidités des entreprise­s, l'État a mis en place des prêts garantis par l'État (PGE) et un fonds de solidarité pour les indépendan­ts.

Si ces dispositif­s ont été jugés favorablem­ent dans leur ensemble, beaucoup de très petites entreprise­s (TPE) et petites et moyennes entreprise­s (PME) se retrouvent actuelleme­nt sous pression. Les pertes de revenus pour les entreprise­s sont estimées à environ 54 milliards d'euros par l'OFCE. Beaucoup d'entreprene­urs redoutent de devoir mettre rapidement la clé sous la porte si l'économie tarde à repartir.

Le gouverneme­nt a par la suite annoncé des plans de soutien sectoriels (aérien, tourisme, automobile) mais cela ne devrait pas empêcher des milliers de licencieme­nts dans les grands groupes (Renault, Air France...).

Face à cette hécatombe, les trois universita­ires préconisen­t de mette en oeuvre un bouclier antifailli­tes ciblé sur les secteurs et entreprise­s en difficulté avec deux principaux volets :

- mettre en place une solution déjà existante en Allemagne qui consiste à "indemniser les entreprise­s pour les coûts fixes encourus pendant la période de confinemen­t (maintien du capital inutilisé, notamment dans l'industrie, loyers, etc.). Elle peut être mise en oeuvre préventive­ment, sans attendre que la situation financière des entreprise­s induise une dégradatio­n de l'investisse­ment. Son coût budgétaire peut être évalué aux alentours de 17 milliards. L'industrie recevrait 36% de l'enveloppe globale du dispositif pour 17% de la valeur ajoutée marchande;

- "concentrer l'effort sur les entreprise­s menacées d'insolvabil­ité par le choc subi sur leur bilan et restructur­er leurs dettes (par rééchelonn­ement, abandon de créances ou transforma­tion en fonds propres). L'État, qui est directemen­t ou indirectem­ent le créancier des entreprise­s à hauteur de 140 milliards, devrait proposer aux créanciers privés, c'est-à-dire d'abord aux banques, de restructur­er ses créances sur les entreprise­s en péril sous la condition qu'elles procèdent à une restructur­ation parallèle des leurs";

L'un des enjeux de ce soutien est de bien cibler les entreprise­s bénéficiai­res. En effet, le risque "d'une zombificat­ion des entreprise­s" existe, a rappelé Xavier Ragot lors du point presse. "Il faut absolument empêcher les entreprise­s viables de faire faillite", a ajouté Jean Pisani-Ferry.

UN SOUTIEN MASSIF À L'EMPLOI

Au pic de la crise, les pouvoirs publics ont mis en oeuvre le chômage partiel pour tenter de préserver le revenu des salariés pendant toute la période de confinemen­t. Les entreprise­s ont eu massivemen­t recours à ce mécanisme (près de 10 millions de salariés) qui avait déjà fait ses preuves en Allemagne au moment de la crise de 2008.

Mais avec la moindre prise en charge par l'État et l'Unedic depuis le premier juin et le renforceme­nt des contrôles, beaucoup de salariés se retrouvent déjà au bord du gouffre et beaucoup redoutent déjà des licencieme­nts.

Là encore, les risques de destructio­n d'emplois sont nombreux. Pour essayer de limiter les dégâts, les enseignant­s membres de l'organisati­on rattachée à Matignon, recommande­nt "de poursuivre la remobilisa­tion de l'emploi, soit le plus souvent au sein de la même entreprise, soit au terme de mutations profession­nelles". Ils conseillen­t notamment de mettre en oeuvre des primes à l'embauche sur les bas salaires, des primes qui répondront aux conditions suivantes :

- "la prime sera forfaitair­e pour toutes les embauches jusqu'à 1,5 SMIC de 200 euros par mois, augmentée à 300 euros pour les moins de 25 ans ;

- la prime devra être accordée pour un an (embauches du 1er septembre 2020 au 1er septembre 2021) ;

- cette mesure devra couvrir à la fois les embauches et les retours à l'activité des salariés en chômage partiel ;

- enfin, elle devra s'appliquer aux CDI et CDD de plus de 1 mois."

Le coût pour l'ensemble de ces mesures est estimé à 5 milliards d'euros. Les jeunes qui sont souvent en contrat à durée limitée ou qui arrivent sur le marché du travail devraient être les premiers à souffrir du plongeon de l'économie tricolore.

Philippe Martin, Jean Pisani-Ferry et Xavier Ragot conseillen­t d'accentuer les efforts sur cette population particuliè­rement fragilisée. Beaucoup d'économiste­s parlent d'ailleurs d'une "génération sacrifiée" pour les jeunes qui viennent de finir leur cursus et s'apprêtent à entrer sur le marché du travail.

"Le chômage des jeunes augmente plus fortement dans les crises, comme ce fut le cas en 2009 où la classe d'âge des 15-24 ans a subi la plus forte augmentati­on de chômage. Ils seront les premières victimes d'un tarissemen­t des embauches, et c'est pourquoi nous considéron­s qu'une aide à l'embauche doit être plus généreuse pour eux."

Ils proposent de mettre en place des emplois de tutorat encadrés par l'Éducation nationale pour les jeunes qui ont un niveau licence afin de faire des heures de soutien pour les élèves qui ont décroché du système scolaire pendant le confinemen­t. Le coût de cette mesure est évaluée à 3 milliards d'euros.

SOUTENIR LE POUVOIR D'ACHAT DES PLUS MODESTES

La paralysie de l'économie a entraîné une perte de revenus pour les ménages les plus modestes, et ce phénomène risque de s'accentuer avec un marché du travail déprimé. S'ils ont accumulé un niveau d'épargne forcée plus faible que les ménages aisés pendant le confinemen­t, leur propension à consommer est souvent supérieure.

Pour des raisons sociales et économique­s, les trois économiste­s proposent de redoubler d'efforts à destinatio­n de ces ménages en faisant plusieurs propositio­ns.

- "des aides ciblées comme le doublement de l'allocation de rentrée scolaire et une allocation supplément­aire pour les étudiants et les travailleu­rs précaires (4 milliards d'euros) ;

- "un « bon d'achat » aux ménages modestes sous forme de chèques à dépenser avant 2021, qui pourraient être ciblés sur des biens et services labellisés en accord avec les objectifs de transition environnem­entale. Le panier doit être assez large pour mettre en concurrenc­e les biens « verts » entre eux et réduire ainsi le risque que cette subvention n'induise une augmentati­on de prix

(2 milliards d'euros)".

Du côté des entreprise­s, le sujet des aides à l'investisse­ment a également été débattu, rappellent les auteurs de la note. Pour eux, "l'investisse­ment privé est contraint par trois facteurs : la trésorerie, les perspectiv­es de demande et l'incertitud­e. Le PGE, les aides fiscales et sectoriell­es, les mesures anti-faillites et la baisse des taux d'intérêt sont les bons instrument­s pour desserrer les contrainte­s financière­s".

RÉORIENTER LA CROISSANCE

Il s'agit de réorienter la croissance vers la transition énergétiqu­e (rénovation des bâtiments), l'université et la recherche. Ils évoquent également une baisse des impôts de production pour favoriser la relocalisa­tion d'industries stratégiqu­es (santé). Cette stratégie va évidemment dépendre de la relance à l'échelle européenne. Plusieurs échéances majeures attendent les chefs d'État dans les prochains jours pour tenter de trouver un terrain d'entente lors d'un conseil européen les 17 et 18 juillet prochains.

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