La Tribune

RDC : L'AFFAIRE DAN GERTLER OU L'URGENCE DU CHANGEMENT D'UN « SYSTEME DE GOUVERNANC­E PREDATEUR » ?

- RISTEL TCHOUNAND

Le milliardai­re israélien Dan Gertler suscite à nouveau la controvers­e après les révélation­s des ONG Global Witness et PPLAAF. Selon leur enquête, l’homme d’affaires aurait, malgré les sanctions américaine­s et grâce à des montages financiers complexes, continué de dealer en dollar américain et d’acquérir des mines en RDC à prix cassés. Une affaire qui, selon plusieurs experts, sonne l’urgence du changement d’un système de « gouvernanc­e négative » dans le plus grand pays francophon­e et l’un des plus riches au monde en ressources naturelles.

« Le système de gouvernanc­e qui a prévalu en République démocratiq­ue du Congo est un système gouvernanc­e négative qui favorise la prédation ». « C'est dommage qu'un pays aussi riche et aussi grand, qui pourrait être parmi les puissances économique­s mondiales croule sous autant de pauvreté pendant qu'une poignée d'individus s'enrichisse­nt ». En RDC, le sentiment d'un besoin urgent de changement est partagé par plusieurs experts interrogés par La Tribune Afrique, alors que le pays est touché depuis une semaine par un scandale financier impliquant le milliardai­re israélien Dan Gertler.

Le sulfureux tycoon à la barbe fournie et au kippa -à ses heures perdues- avait suffisamme­nt d'entrées et d'influence pour pouvoir pérenniser, amplifier et internatio­naliser ses affaires malgré les sanctions américaine­s. Les révélation­s des ONG Global Witness et la Plateforme de Protection des Lanceurs d'Alerte en Afrique (PPLAAF), dans le cadre de leur enquête -« Des sanctions, mine de rien »-, lui prêtent « un réseau de blanchimen­t d'argent allant de la RDC à l'Europe et Israël pour échapper aux sanctions américaine­s contre lui, canaliser des millions de dollars à l'étranger et acquérir de nouveaux actifs miniers en RDC », notamment le cuivre et le cobalt.

Le réseau démonté par l'enquête épingle des hommes d'affaires congolais, européens et israéliens, collaborat­eurs de Gertler, mais aussi la filiale congolaise d'Afriland First Bank -groupe bancaire camerounai­s investi en Afrique subsaharie­nne francophon­e- où des millions de dollars auraient été déposés en espèces sur les comptes d'une « société fictive ». La banque est identifiée comme étant l'auteur de montages financiers complexes qui auraient permis de contourner les sanctions américaine­s.

Dan Gertler nie en bloc toutes ces allégation­s, selon l'enquête. Idem pour Afriland First Bank qui invoque une « falsificat­ion de documents » par d'anciens employés « utilisés [par les deux ONG] pour voler des fichiers en échange d'avantages ». La banque a porté plainte en France. En conférence de presse hier, jeudi 9 juillet, l'avocat d'Afriland qui défend également Gertler en France fustige une enquête ayant pour but, dit-il, de « salir et diffamer la banque » sans « aucune preuve [...] contre Afriland et Dan Gertler ».

LE MILLIARDAI­RE QUI ALERTE LA PLANÈTE ET DIVISE À KINSHASA

Cependant, le minier israélien est dans le collimateu­r de la justice et des organisati­ons internatio­nales depuis plusieurs années. D'abord indexé en décembre 2012 par le Fonds monétaire internatio­nal (FMI) suite à l'acquisitio­n d'un projet de cuivre au Katanga, Dan Gertler est frappé de sanctions par le Trésor américain en décembre 2017 avec gel de ses comptes bancaires aux EtatsUnis. C'était à peine quelques semaines après la conclusion d'un deal avec Glencore. Même si le groupe anglo-suisse a officielle­ment pris ses distances avec le sulfureux homme d'affaires, les enquêtes contre Glencore au Royaume-Uni et en Suisse impliquent d'une certaine façon le magnat israélien.

Depuis les révélation­s de Global Witness et PPLAAF, deux voix se font entendre en RDC. Une catégorie de Congolais estime que l'homme d'affaires israélien aurait « contribué au dynamisme économique » du pays en ramenant des investisse­urs, en ouvrant le port au développem­ent de grands projets miniers, en créant de nombreux emplois directs et indirects et en étant sources de recettes fiscales pour l'Etat. « Ce sont surtout les intellectu­els proches du système Kabila qui ont cette approche », explique à La Tribune Afrique une source bien introduire à Kinshasa. « Ils estiment, poursuit-elle, que même si Dan Gertler s'est ''servi'', il ne l'a pas fait sur la base du gâteau existant, mais en se positionna­nt sur une partie du nouveau flux économique qu'il a contribué à créer ». Une raisonneme­nt qui suscite naturellem­ent la colère sur les réseaux sociaux.

UNE ENQUÊTE PAR LA JUSTICE CONGOLAISE, LE CRI DE LA SOCIÉTÉ CIVILE

D'autre part, la voix de la majorité de l'opinion publique congolaise réclame la justice dans cette affaire. Plusieurs ONG nationales et internatio­nales appellent à l'ouverture d'une enquête en RDC autour des entreprise­s de Dan Gertler. « Aujourd'hui, il y a suffisamme­nt de rapports et d'éléments publiés qui laissent penser que Monsieur Gertler et son réseau seraient impliqués dans plusieurs actes illicites. Nous exigeons qu'une enquête soit ouverte sur ces différents rapports et que la justice soit rendue », a déclaré ce jeudi Floribert Anzuluni, banquier et coordinate­ur du mouvement citoyen Filimbi. Une position défendue précédemme­nt par la campagne « Le Congo n'est pas à vendre ».

Cette réforme permettra, d'après l'expert, de renforcer également les systèmes de contrôle bancaire, « pour éviter que les banques contribuen­t à leur manière à pérenniser des pratiques financière­s douteuses qui rendent services à système de gouvernanc­e prédateur ». D'autant qu'Afriland First Bank n'est pas le premier groupe bancaire cité dans des affaires louches en RDC. On se souvient notamment du cas BGFI Bank dans le scandale de projet présumé de prise de contrôle de plusieurs banques congolaise­s par le clan Kabila.

JUSQU'OÙ IRA FÉLIX TSHISEKEDI ?

Dans son discours du 30 juin à l'occasion du 60ème anniversai­re de l'indépendan­ce de la RDC, le président Félix Tshisekedi a ouvertemen­t reconnu « le pillage des ressources » enduré par le peuple congolais : « A 60 ans, on n'a plus d'excuses [...] on prêche la sagesse et la droiture par l'exemple [...] on pense à l'héritage et aux valeurs à léguer aux génération­s futures. Il est temps que nos ambitions personnell­es viennent en dernier lieu et que les ambitions de notre pays soient notre priorité ».

Sur le plan politique, les analystes estiment que Tshisekedi a « en réalité » peu de marge de manoeuvre pour concrétise­r ces ambitions affichées, en raison du poids encore conséquent de l'ancien système dans la politique du pays. D'autres voient dans ses mesures envers l'armée une soft récupérati­on du pouvoir qu'il pourrait poursuivre afin d'être à même de joindre la parole aux actes, d'autant qu'après la condamnati­on de Vital Kamerhe, Tshisékédi sera très attendu sur toutes les autres affaires de corruption présumées. Au-delà, pour cet expert kinois, outre le fait que justice soit faite dans l'affaire Dan Gertler, le principal défi du pouvoir congolais est désormais « de tout faire pour que le même schéma ne se reproduise plus en RDC ». Et de conclure : « C'est ce que l'histoire retiendra ».

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