La Tribune

CRISE ET TOURISME : QUAND TOUTE UNE FILIERE ENTAME SA MUE

- CECILE CHAIGNEAU

Digitalisa­tion, renouvelle­ment de l’expérience client, adaptation aux nouveaux modes de consommati­on et usages dans le tourisme,… La crise sanitaire du Covid-19 oblige la filière touristiqu­e à se remettre en question et vite. Si elle avait déjà commencé une réflexion sur le tourisme durable, elle va devoir accélérer sa mue. L’Open Tourisme Lab à Nîmes ou le Comité régional du tourisme d’Occitanie (qui enquête) sont déjà sur le coup.

Alors que la saison estivale démarre enfin, il scrute de près les évolutions engendrées par la crise sanitaire et les attentes des acteurs économique­s. A l'Open Tourisme Lab, le directeur Emmanuel Bobin sait que le Covid-19 aura des répercussi­ons durables pour la filière touristiqu­e qui doit accélérer sa mue. Et que cette transforma­tion passera nécessaire­ment par l'innovation, raison d'être de l'Open Tourisme Lab.

La structure, initiée par la Région Occitanie et Nîmes Métropole en 2017 et implantée à Nîmes, est un accélérate­ur de projets innovants du secteur touristiqu­e. Cette plate-forme d'innovation dédiée accompagne des start-ups (une quinzaine actuelleme­nt pour la 3e promotion) mais aussi des acteurs économique­s traditionn­els du tourisme (territoire­s ou grands groupes). Elle met en lien les premières avec les seconds, en quête d'innovation pour adapter leurs services et leurs produits aux attentes mouvantes du marché.

« IL Y A URGENCE ET LA RÉPONSE EST DANS L'INNOVATION »

Première observatio­n faite par le directeur de l'Open Tourisme Lab : « La crise a agi comme un véritable révélateur de la nécessité d'accélérer le processus de digitalisa­tion de la chaîne du tourisme et des acteurs de la filière ».

« Dès l'émergence de la crise sanitaire, nos start-up ont été très réactives pour imaginer rapidement de nouvelles solutions, affirme Emmanuel Bobin. Notre pôle design et innovation accompagne toutes les démarches d'implémenta­tion de l'innovation ou de la co-conception de l'innovation chez des acteurs du tourisme, privés ou publics. Nous dialoguons avec nos partenaire­s, grands groupes ou territoire­s, au quotidien. Aujourd'hui, les conditions de marché ayant changé, il faut adapter les solutions, les réinventer. Il y a une urgence et la bonne réponse à la crise, c'est l'innovation. Ce qui donne tout son sens à l'Open Tourisme Lab. »

Des exemples d'innovation­s nées de la crise ou d'adaptation de solutions, Emmanuel Bobin en a plusieurs en poche. A commencer par celle d'HelloMyBot, start-up perpignana­ise concevant des agents conversati­onnels intelligen­ts - chatbots - pour gérer des conversati­ons automatiqu­es multicanal (téléphone, enceinte connectée) avec ses clients.

« Une chose a été marquante dès le départ, c'est que les grands comptes nous ont beaucoup sollicités sur la relation clients car ils avaient un afflux de demandes en matière de réassuranc­e sanitaire notamment, les clients voulant valider les conditions d'ouverture, la disponibil­ité des activités ou l'opérationn­alité des sites touristiqu­es. HelloMyBot a adapté son intelligen­ce artificiel­le, ce qui a permis à des structures comme Camping.com ou Pierre & Vacances d'apporter des réponses spécifique­s dans des temps très courts, avec une réactivité que seul l'humain ne pourrait pas assurer. »

CAPTEUR, VISIOCONFÉ­RENCE

Autres exemples : Aji Digital (Chevigny-Saint-Sauveur - 21) a équipé sa borne digitale interactiv­e d'un distribute­ur de gel hydroalcoo­lique, a pivoté pour passer du tactile à un guidage par gestes de la main via un capteur de mouvement, et a ajouté une caméra détectant le port du masque ou son absence.

A La Rochelle, l'agence Raccourci a mis au point l'applicatio­n TAKA permettant de prendre rendezvous et de se mettre en relation avec un conseiller en tourisme par visioconfé­rence. La solution est d'ores et déjà déployée sur l'île de Ré.

A Montpellie­r, Vino Vibes, qui propose des balades dans les vignes via une applicatio­n mobile "apprenante" « a adapté sa solution pour faire de la formation à l'oenotouris­me auprès de profession­nels ».

« Nous avons été sollicités par Gard Tourisme qui avait besoin d'une démarche innovante de concertati­on et de conception pour réadapter leur feuille de route 2020 au contexte, ajoute Emmanuel Bobin. Et nous travaillon­s avec l'Institut régional du tourisme de l'Ile de la Réunion dans une démarche de créativité territoria­le afin de créer de nouvelles offres et services postCovid. »

ENQUÊTE SUR LE TOURISME DURABLE EN OCCITANIE

A plus long terme, se pose la question d'un tourisme plus durable, une tendance déjà installée et qui va grandissan­t, sur laquelle aucun territoire ne pourra faire l'économie d'une réflexion. Fin mai, le Comité régional du tourisme (CRT) d'Occitanie a fait la restitutio­n d'une enquête sur le tourisme durable auprès des profession­nels de la filière régionale.

« Cette enquête avait été décidée avant la crise, et souhaitée par le CRT pour rédiger un plan d'action opérationn­el, explique Sophie Pirkin, en charge des questions du tourisme durable au CRT Occitanie. L'objectif était de faire état des lieux des engagement­s des profession­nels du tourisme aujourd'hui, de leurs attentes et de leur perception du tourisme durable. »

Sur les 2 876 répondants (hébergeurs et hôtellerie indépendan­te ou de chaîne), 98,4 % se disent sensibles aux enjeux du tourisme durable mais seulement 20 % se sont engagés dans une démarche de labellisat­ion ou certificat­ion tourisme durable.

« 70,7 % de ceux qui se sont engagés ont déjà engagé des investisse­ments pour réduire leur impact énergétiqu­e, par conviction et par soucis d'économie surtout, détaille Sophie Pirkin. Sur les 29 % qui n'ont rien engagé, on évoque un manque de financemen­t, d'informatio­n puis de temps. »

INSUFFISAN­T POUR ÊTRE UNE RÉGION LEADER

87 % donne la priorité aux circuits courts, et près de 12 % souhaitera­ient le faire, ce qui ne laisse que 1 % qui ne le font pas et n'envisagent pas de le faire. Principale­s raisons pour ce qui est des achats alimentair­es : la logistique, le coût et les problèmes d'approvisio­nnement.

Côté transport, le maillon faible du tourisme durable, les prestatair­es se montrent plutôt volontaire­s et engagés et expriment de fortes attentes sur les institutio­nnels pour croiser les informatio­ns touristiqu­es et les informatio­ns relatives aux offres de transport collectif.

Plus de 2/3 des re?pondants incitent leurs clients a? adopter un comporteme­nt responsabl­e et 1/4 souhaitera­ient le faire, mais auraient besoin d'accompagne­ment.

Les attributs environnem­entaux de l'Occitanie (1e?re région de France pour la biodiversi­té, présence de 2 parcs nationaux, de 7 PNR et de 5 grands sites de France) ne suffisent pas, selon les profession­nels, à faire de la région un leader en matière de tourisme durable. Ils citent la Bretagne, l'Ardèche, l'Auvergne, l'Allemagne, le nord de l'Europe ou Nouvelle-Zélande comme exemples à suivre...

A la question « la crise sanitaire va-t-elle changer les modes de consommati­on touristiqu­e ? », ils répondent oui à 71 %. Et à la question « le tourisme durable est-il la réponse la plus appropriée pour l'avenir ? », oui à 89 %...

CLUSTER VEILLE ET PROSPECTIV­E

« Le tourisme durable, c'est un sujet sur lequel on s'interroge, affirme Emmanuel Bobin. Dans le nouveau budget du CRT d'Occitanie, il y a une ligne avec 25 actions, dont la création d'un cluster "veille et prospectiv­e" en collaborat­ion avec l'Open Tourisme Lab, qui va recruter une équipe des thésards sur ces sujets de fonds, et des acteurs universita­ires. Outre la digitalisa­tion, mon axe, c'est l'écotourism­e. »

Il assure que cette dimension écorespons­able et durable est déjà prise en compte dans le businessmo­del d'un tiers des start-ups accompagné­es par l'Open Tourisme Lab.

A Toulouse, Murmuratio­n fait de la captation de données satellitai­res pour fournir des indicateur­s de durabilité des territoire­s (qualité d'air, qualité de l'eau, niveau d'urbanisati­on), modéliser l'impact d'activités touristiqu­es sur l'environnem­ent et promouvoir une pratique responsabl­e du tourisme. Également dans la ville rose, Happy House développe un réseau d'hébergeurs écorespons­ables, les hébergeurs créant leur propre réseau de fournisseu­rs locaux avec lesquels ils vont partager la donnée client et recevoir, en échange, une rétrocessi­on de la part des commerçant­s et producteur­s de leur réseau.

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