La Tribune

EN NORMANDIE, LA CRISE SANITAIRE A ETE L'OCCASION DE RAPATRIER LE FILAGE DU LIN

- NATHALIE JOURDAN, A ROUEN

TISSAGE Les projets se multiplien­t pour valoriser la spécialité agricole normande : LINportant veut créer la première usine française de tee-shirts fabriqués en lin bio et NatUp a pris des parts dans le dernier tisseur français à ne travailler que du lin.

Chaque mois de juin, il pare les champs d'une délicate couleur bleutée. De toutes les production­s agricoles, le lin est LA spécialité normande par excellence. Près des deux tiers du lin travaillé à travers la planète pousse dans ce terroir prodigue. Un héritage de l'histoire et de la géographie. La plante à fleur bleue s'épanouit sous le vivifiant climat local comme le coton dans les plaines écrasées de soleil. Malheureus­ement, cet or vert et vertueux (il se passe aisément d'engrais et de fongicides) affiche en bout de course un bilan carbone discutable.

En effet, après une première transforma­tion au pied des champs, l'immense majorité des fibres récoltées sous nos latitudes part se faire filer en Chine, d'où elles reviennent sous la forme de chemises ou de doubles rideaux. Pour ainsi dire, une économie de pays en voie de développem­ent qui profite, certes, à une noria de planteurs, mais ne bénéficie que marginalem­ent à l'économie du territoire.

VERS DU 100% FRANÇAIS

Quelques moines soldats engagés, pourtant, s'organisent pour tenter de relocalise­r la valeur ajoutée. Près de Caen, la Scop LINportant est en route pour créer la première usine française de fabricatio­n de tee-shirts en lin bio. Le groupe coopératif agricole normand NatUp, déjà actif dans le peignage*, la fabricatio­n de composites et de produits non tissés à base de matières naturelles, cherche à accélérer. Il a acquis, en juin, la majorité des parts du dernier tisseur français à ne travailler que du lin : la PME nordiste Lemaitre Demeestere installée près de Lille depuis le début du XIXe siècle. Dans la branche, son dirigeant, Olivier Ducatillio­n, s'est taillé une réputation d'empêcheur de tisser en rond. Entouré d'une petite équipe d'une quarantain­e de personnes, cet entreprene­ur inventif a renvoyé aux oubliettes les produits standards trop en butte à la concurrenc­e pour fabriquer un tissu de lin haut de gamme (400.000 mètres par an), prisé des grands noms de l'ameublemen­t, de la décoration et du prêt à porter, sans jamais transiger ni sur la qualité ni sur la provenance. ___

« Même quand les prix atteignent des sommets, il ne source que du lin français », assure Karim Behlouli, directeur de la branche Fibres de NatUp.

Il lui manque cependant un maillon pour pouvoir revendique­r ce 100 % bleu, blanc, rouge que fabricants et consommate­urs semblent disposés à soutenir : le fil. L'activité de filage, gourmande en main-d'oeuvre, a disparu du territoire français au profit de l'Inde, de la Chine ou de l'Est européen où se fournit Lemaitre Demesteere. La coopérativ­e et sa nouvelle filiale partagent une même ambition : rapatrier une filature quelque part au Nord de la Loire. La prise de conscience née depuis mars leur donne des ailes, assure Olivier Ducatillio­n.

« Si nous avions encore le moindre doute sur la pertinence du projet, la crise achève de les lever. Le phénomène que l'on observe dans l'alimentair­e va gagner la mode. C'est pourquoi il faut consolider cette filière, l'une des rares dans le textile que nous, Français, sommes capables de maîtriser de l'amont à l'aval . »

Une façon de renouer les fils de l'histoire. * Le peignage, qui précède le filage, consiste à débarrasse­r les fibres textiles des impuretés.

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