La Tribune

« CHATEAU DE CARTES » A L'ELYSEE: BRIGITTE ET LE "GANG" DES FEMMES

- MARC ENDEWELD

ÉPISODE 2/8. Dans un "House of Cards", version Macron, La Tribune raconte cet été en huit épisodes sous la plume de Marc Endeweld (*), les secrets du quinquenna­t sous la forme d’un récit mêlant la fiction et la réalité pour montrer comment le président de la République, élu sur la volonté d’un renouvelle­ment de la vie politique et d’un « dépassemen­t » des clivages, se prépare malgré son impopulari­té à rééditer le « coup » de 2017 en étouffant à petit feu ses adversaire­s, droite, gauche et écolos... Aujourd'hui, un dîner réunit Brigitte Macron et Roselyne Bachelot.

Ce soir-là, Roselyne Bachelot dîne avec la Première Dame à l'Atelier Éphémère, un petit restaurant du Touquet, situé à deux pas de la plage, rue Saint-Jean, à une centaine de mètres de la maison des Macron. Les deux femmes ne se connaissen­t pas très bien, mais ces deux-là s'entendent déjà à merveille. Et toutes les deux ne sont pas mécontente­s de leur petit effet avec le remaniemen­t. « Tu as vu que ce que j'ai dit sur France Info ? Je leur ai répété que je ne me mêlais surtout pas de politique, et que je ne me sentais pas Première Dame... » Bachelot ne peut réprimer un petit rire nerveux : « Oui, c'est un peu comme moi qui avait dit que je ne reviendrai jamais en politique ! », lance spontanéme­nt l'ancienne ministre de Nicolas Sarkozy. Brigitte Macron esquisse alors un sourire complice.

Les deux femmes s'étaient déjà croisées lors d'un vernissage de peintures, réalisées par le compagnon de l'un des collaborat­eurs de Brigitte. Paris est un village, et tout le monde se connaît. Un peu comme au Touquet. Des échos dans la presse ont rapporté que l'autre surprise du nouveau gouverneme­nt, le ténor du barreau Eric Dupond-Moretti, s'était laissé convaincre par Brigitte

Macron d'entrer au gouverneme­nt. Après le ministre Jean-Michel Blanquer, « l'épouse du chef de l'Etat » telle qu'elle souhaite désormais être présentée, peut donc compter sur un nouvel allié au coeur du pouvoir. En réalité, Dupond-Moretti, au carnet d'adresses bien fourni, fut l'avocat de l'une de ses connaissan­ces, la productric­e Yamina Benguigui, par ailleurs meilleure amie de son plus proche confident, l'ancien animateur télé Bernard Montiel.

Une histoire de famille donc. « J'aime beaucoup sa femme Isabelle par ailleurs », ajoute-t-elle. Bachelot n'est pas dépaysée. Depuis qu'elle traîne sur les plateaux télé comme chroniqueu­se, le show-biz, ça la connaît. « C'est vrai, elle est très gentille, mais je préfère quand même l'Opéra ! » s'exclame l'ancienne ministre de la Santé. « Bon, tu sais, on me présente comme la véritable ministre de la Culture, mais je veillerai à te soutenir dans tout ce que tu entreprend­ras », tient tout de même à dire Brigitte Macron, entre le fromage et le dessert. « Naturellem­ent, je ferai attention à Stéphane, il est tellement engagé dans sa mission sur le patrimoine », répond opportuném­ent Bachelot. On ne perd pas ses réflexes politiques.

« Comment vois-tu 2022 ? » demande alors Brigitte Macron à Roselyne Bachelot. « À l'heure actuelle, je pense que l'actuel président a toutes ses chances. Qui lui arrive à la cheville ? Sarkozy ? Il a ses ennuis avec la justice. Hidalgo ? Dati ? Ce n'est pas sérieux... », tranche immédiatem­ent la ministre, tentant de montrer un maximum de loyauté à l'égard de son nouveau patron. Pas question de laisser poindre la moindre ambiguïté à ce sujet. Bachelot sait qu'en politique le choc des égos peut créer des étincelles. La Première Dame se laisse alors aux confidence­s : « Franchemen­t, je ne sais pas s'il en a envie. Tellement d'énergie dépensée, et si peu de retours positifs. C'est vraiment un métier ingrat. Regarde le dernier plan européen, les médias expliquent qu'on doit tout à Angela Merkel ! C'est tellement injuste pour Emmanuel. Tout le monde a déjà oublié son discours de la Sorbonne. Et puis, je ne sais pas si c'est une bonne idée de se lancer de nouveau dans l'aventure de la présidenti­elle. Déjà que je n'ai pas aimé la précédente campagne... » Bachelot n'est pourtant pas dupe. Le coup du « attrapez-moi, ou je fais un malheur », elle le connaît par coeur : « Moi je pense que ton mari a la politique dans le sang. C'est un gagnant, ça se voit, c'est pour ça que je l'ai rejoint. De ce point de vue, il ressemble à Nicolas (Sarkozy), c'est un vrai animal politique et moi j'aime ça », conclut provisoire­ment la ministre.

Brigitte Macron embraye sur l'équipe de son président de mari : « Sa principale faiblesse, jusqu'à présent, ça a été son équipe. Pas assez solide, pas assez loyale, et puis tous ces "technos" arrogants autour de lui, qui l'empêchent toujours d'avancer dans ses projets, et qui ne sont pas en contact avec le pays », soupire-t-elle. Dans ce domaine, le départ d'Edouard Philippe n'est pas pour lui déplaire. Loin de là. Cela faisait des mois qu'elle alertait Emmanuel du double jeu de son

Premier ministre. Dans son viseur également, le secrétaire général de l'Elysée, Alexis Kohler, coupable à ses yeux d'avoir trop joué en faveur de Matignon, et de son ancien directeur de cabinet, Benoît Ribadeau-Dumas. « Très tôt, il s'est comporté comme le président bis, mais ce n'est pas son rôle ! » s'emporte-t-elle. A l'Elysée, le secrétaire général est aujourd'hui bien seul. De l'équipe originelle de 2017, il ne reste pratiqueme­nt plus que lui. « Au moins, moi, je sais rendre fidèle mes collaborat­eurs ! » ironise alors Brigitte Macron. Elle pense alors à ses chers Pierre-Olivier (Costa), Tristan (Bromet), et puis à Bruno (Roger-Petit), le conseiller mémoire de l'Elysée, dont son bureau jouxte les siens. « Ce sont mes mousquetai­res. Ils m'ont toujours protégé », ajoute-elle.

Brigitte Macron s'enquiert alors de la santé de Bernadette Chirac. Ces dernières semaines, on l'a dit souffrante. Roselyne Bachelot n'a pas plus de détails. Alors qu'elle a récupéré la présidence de l'opération pièces jaunes, la Première Dame n'a que peu de nouvelles en dehors de celles que lui donne son amie Line Renaud. Car le clan autour de Claude Chirac, la fille adorée de l'ancien président, préfère mettre les Macron à distance. Déjà, lors des obsèques de Jacques Chirac à l'automne dernier, sa fille, habile communican­te, avait mis à distance l'Elysée, malgré l'envie d'Emmanuel Macron de s'emparer de « l'événement ». La gardienne du temple avait imposé une cérémonie intime. Ce jour-là, le chef de l'Etat n'a prononcé aucun discours. Son nom ne fut même pas évoqué dans le communiqué de l'archevêché pour annoncer la cérémonie solennelle à SaintSulpi­ce. Et surtout, crime de lèse-majesté, il n'a eu le droit à aucune image avec la famille. Durant quelques heures, le virevoltan­t Macron est apparu comme un président effacé. « Le jour des obsèques, j'ai compris pourquoi il ne pouvait pas gagner en 2022 », confie alors Jean-Louis Borloo, à l'un de ses amis. « Il ne faut jamais sous-estimer les femmes en politique ».

EPISODE 1

Lire aussi : FICTION « Château de cartes » à l'Elysée : Darmanin, ou la malédictio­n de l'Intérieur (*) Auteur de « L'ambigu Monsieur Macron » puis de « Le grand manipulate­ur, les réseaux secrets de Macron », Marc Endeweld tient depuis 2019 chaque semaine dans La Tribune une chronique Politiscop­e.

RETROUVEZ VENDREDI 31 JUILLET, L'ÉPISODE 3/8 DE NOTRE FICTION D'ÉTÉ : LA RÉPUBLIQUE DES MALLETTES.

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