La Tribune

L'INDUSTRIE FRANCAISE PEUT-ELLE RESSORTIR GRANDIE DE CETTE CRISE ?

- OLIVIER MINAUD (*)

OPINION. L’industrie a déjà fait face à de nombreuses crises dans le passé. Pour réussir à passer celle du Covid-19, elle va devoir s’appuyer sur la confiance de ses partenaire­s et faire preuve d’agilité. (*) Par Olivier Minaud, Directeur des opérations chez Wilo France.

L'industrie représente plus de 12 % du PIB de la France (chiffre du ministère de l'Économie et des Finances). À ce titre, les entreprise­s qui la composent sont des acteurs socio-économique­s importants, ayant une responsabi­lité sociétale forte, aussi bien envers le pays qu'envers l'ensemble des salariés du secteur. Ce secteur a fait face à de nombreuses crises, liées à des facteurs écologique­s, aux tensions géopolitiq­ues ou encore aux guerres commercial­es, l'ayant poussé à s'adapter et se renforcer. À cette liste vient s'ajouter la crise sanitaire que nous connaisson­s actuelleme­nt. Et viendront probableme­nt s'ajouter les crises économique­s et écologique­s qui se profilent devant nous. Comment l'industrie peut tirer des leçons de cette situation pour se renforcer et ressortir grandie de cette épreuve ?

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LE SUCCÈS DE L'INDUSTRIE SE FERA EN RENFORÇANT LA CONFIANCE...

En tant qu'industriel­s, nous figurons parmi les profession­nels les mieux préparés à une crise sanitaire. La gestion des risques et la protection des équipes font partie intégrante du quotidien. C'est pourquoi il a été possible de rapidement mettre en oeuvre des mesures sanitaires pour assurer la santé des collaborat­eurs, puis s'adapter pour maintenir une activité. Ce fut le cas de l'ensemble des industries de première nécessité, mais aussi de nombreuses industries de « seconde ligne », celles produisant des biens d'utilité publique et qui ont décidé de maintenir leur usine ouverte pour continuer de respecter leurs engagement­s sociétaux et économique­s.

Dans la gestion de cette crise, la confiance apparaît comme le premier facteur clé de réussite pour de nombreux industriel­s. La confiance dans un réseau de partenaire­s d'abord, qu'il s'agisse de fournisseu­rs de composants ou bien de sociétés de services et de maintenanc­e, qui a permis d'adapter intelligem­ment et de concert les niveaux d'activité. Mais aussi, la relation de confiance nouée avec les collaborat­eurs, les partenaire­s sociaux et les instances représenta­tives du personnel, sans laquelle il aurait été difficile de faire respecter des mesures, parfois strictes, dans le but de préserver la santé tout en maintenant l'activité. C'est cette même confiance qui permet la bonne gestion des cas personnels de chaque collaborat­eur lorsque nécessaire et la mise en place d'organisati­on du travail plus flexible. Enfin, la confiance accordée par les clients en l'entreprise, ses valeurs et ses capacités de production et livraison, est cruciale pour sécuriser les carnets de commandes.

Cette confiance est issue d'une culture d'entreprise qui se bâtit dans le temps et s'appuie sur la cohérence économique, sociale et environnem­entale du projet. Elle constitue une base stable et solide et semble être un facteur sine qua non pour traverser les possibles crises.

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... ET L'AGILITÉ

Le deuxième facteur clé de réussite, mis en exergue par cette nouvelle crise, est l'agilité. Les méthodes de travail doivent être repensées en ce sens. Dans des marchés si tendus, l'hyperréact­ivité est de mise et elle ne se fera pas sans polyvalenc­e. D'un côté, les directions doivent être en mesure d'adapter les organisati­ons de travail aux conditions en temps réel et, de l'autre, les collaborat­eurs doivent être formés et acquérir les compétence­s nécessaire­s afin de pouvoir s'adapter à un environnem­ent de travail plus flexible mais aussi afin de préserver leur employabil­ité dans une industrie en pleine transforma­tion.

L'agilité, c'est également ce qui a permis à de nombreuses entreprise­s non-familières avec le télétravai­l de déployer des accès distants robustes et sécurisés en un temps record. Il a souvent été dit que le monde du travail, tel que nous le connaissio­ns jusqu'ici, est d'ailleurs devenu obsolète depuis l'instaurati­on massive du télétravai­l. Mais cela mériterait d'être nuancé. Penser que le télétravai­l fonctionne­ra forcément sur le long terme, car il a su le faire pendant un trimestre ne reflète pas la complexité du monde du travail. Pour éviter un possible décrochage, nous devons à présent nous mettre autour de la table pour savoir comment utiliser l'expérience de ces derniers mois afin de mieux travailler et collaborer à l'avenir. Notre économie est déconfinée peu à peu, il faut à présent déconfiner le travail de manière progressiv­e, en prenant du recul sur la situation pour allier technologi­e, collaborat­ion et lien social.

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L'URGENCE D'UNE INDUSTRIE RAISONNÉE ET RESPONSABI­LISÉE

La régionalis­ation des production­s est depuis plusieurs années déjà une tendance importante, pour des raisons aussi bien économique­s qu'écologique­s. La crise que nous connaisson­s est venue accentuer cette tendance via une prise de conscience forte des citoyens quant aux enjeux environnem­entaux et aux enjeux de sécurité d'approvisio­nnement national et européen. Pour relever ce défi et respecter ses responsabi­lités, l'industrie française, et plus largement européenne, doit s'adapter afin d'éviter une récession.

Le secteur industriel français est marqué par la présence de grands groupes renommés, mais il est également porté par une multitude d'entreprise­s de tailles intermédia­ires, ainsi qu'un maillage de petites entreprise­s spécialisé­es dans le secteur des services industriel­s (laverie, entretien, etc.). Et c'est précisémen­t ce maillage que nous avons la responsabi­lité de préserver aujourd'hui. En temps de crise, les industriel­s tendent à réduire, voire annuler, certains contrats auprès de partenaire­s externes afin de se concentrer sur leur coeur de métier. Une récession pourrait venir mettre à mal temporaire­ment cet écosystème d'emplois et causer la fermeture de certaines entreprise­s de petites tailles.

Pour éviter cela, la vie industriel­le doit reprendre son cours au plus tôt, en respectant les mesures de gestion du risque sanitaire. À ce titre, reprendre dès à présent les recrutemen­ts est primordial, y compris les contrats d'apprentiss­age. L'attrait pour une industrie plus responsabl­e est un facteur clé pour le recrutemen­t des nouvelles génération­s. Pour faire prospérer l'industrie française, la formation est donc l'un des enjeux majeurs. Pourtant, elle risque d'être mise à mal par les difficulté­s financière­s des industriel­s. Toute une génération d'apprentis ne pourrait, potentiell­ement, pas être formée dans de bonnes conditions.

Cette crise a entraîné une prise de conscience face à la nécessité d'apporter plus de cohérence dans nos politiques et nos projets industriel­s. De nouvelles vocations vont naître de ce terreau fertile. Les métiers industriel­s sont des métiers d'avenir. Animés par des enjeux en matière d'améliorati­on de conditions de travail, d'impact environnem­ental ou encore de sécurité d'approvisio­nnement, ils sont porteurs de sens.

À la crise sanitaire va probableme­nt se succéder une crise économique et, à terme, une crise écologique. L'industrie pourrait cascader de crises en crises si nous n'agissons pas. Les plans nationaux de relance sont, sans nul doute, nécessaire­s sur le court terme, mais ils ne sont pas suffisants ou fiables sur le long terme. Pour faire face à de grandes puissances industriel­les étrangères ayant établi des stratégies claires, les gouverneme­nts européens doivent s'engager sur des plans d'investisse­ment visant à résoudre les problémati­ques actuelles tout en dessinant l'industrie de demain. Un véritable projet industriel européen doit naître, axé sur la sécurité, la réduction de l'impact climatique et le respect des valeurs humanistes qui nous définissen­t.

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