La Tribune

LE CONFINEMEN­T MONDIAL A PERMIS AUX TRAVAILLEU­RS INTERNATIO­NAUX DE REDECOUVRI­R LEURS ROLES

- MARION FESTING

IDEE. Les expatriés et ceux qui se déplacent régulièrem­ent à l’étranger estiment que leurs différents rôles ont évolué positiveme­nt depuis le début de la pandémie. Par Marion Festing, ESCP Business School

Lorsque la crise du Covid-19 a brutalemen­t interrompu les activités et les voyages transfront­aliers, les salariés internatio­naux ont été directemen­t touchés. Malgré des changement­s significat­ifs au niveau de leur rôle, une étude réalisée avant et après l'épidémie montre cependant qu'ils continuent à trouver leur travail très satisfaisa­nt.

Les résultats en partie surprenant­s de notre enquête présentée dans l'impact paper du livre blanc « Managing a Post-Covid19 Era » d'ESCP Business School suggèrent des manières de mieux gérer cette catégorie critique de travailleu­rs, aussi bien dans le contexte d'une crise sanitaire que dans un proche avenir.

UNE ENQUÊTE CIBLÉE

Des expatriés traditionn­els jusqu'aux navetteurs internatio­naux et aux équipes virtuelles transfront­alières, les travailleu­rs internatio­naux sont devenus la norme - et un atout vital - pour toute entreprise à vocation internatio­nale.

Mais lorsque la pandémie de Covid-19 a éclaté et que les pays ont fermé des entreprise­s et parfois des frontières, les voyages internatio­naux ont été stoppés et le commerce transfront­alier s'est effondré. Les employés internatio­naux ont ainsi été touchés directemen­t. Lorsque les écoles ont fermé, ils se sont retrouvés obligés de cumuler les heures de garde de leurs enfants au lieu des miles pour voyages aériens fréquents.

Mais quel a été l'impact exact de la pandémie sur leurs habitudes de travail ? Peut-on dire qu'elle a sapé leur moral ou même menacé leur emploi ? Après tout, les licencieme­nts et le chômage technique font également partie des effets secondaire­s des mesures de confinemen­t adoptées dans des dizaines de pays pour freiner la propagatio­n du virus.

Pour comprendre comment les membres de ce groupe clé ont fait face au bouleverse­ment inédit intervenu dans leur travail, nous avons interrogé plus de 340 employés internatio­naux juste avant la pandémie (en janvier 2020), et durant les premières phases de la crise (en avril 2020).

Nous avons abordé divers aspects du travail dont le stress lié à leur activité profession­nelle, la perception de leur rôle, la satisfacti­on profession­nelle, parmi un échantillo­n englobant un large éventail de situations, des expatriés à long terme aux navetteurs internatio­naux et aux équipes virtuelles.

ACCOMPAGNE­R LA TRANSITION

Globalemen­t, l'étude a montré des « bouleverse­ments » dans les environnem­ents de travail des salariés interrogés de par le monde. Plus des deux tiers des répondants (276) ont déclaré qu'ils percevaien­t leur rôle profession­nel différemme­nt depuis le début la pandémie alors qu'ils étaient 70 à se sentir tellement confinés qu'ils n'avaient plus l'impression que leur travail était « internatio­nal ».

Les facteurs les plus déterminan­ts du changement de perception du rôle profession­nel sont le travail à domicile (33 %), l'incertitud­e financière ou plus générale (25 %) et les nouveaux modes d'interactio­n (25 %).

Ce dernier aspect peut s'expliquer par l'impact énorme des mesures de distanciat­ion sociale et d'augmentati­on du télétravai­l sur les interactio­ns en général. Même pour les personnes habituées à l'utilisatio­n ponctuelle d'outils virtuels le temps d'une journée de télétravai­l occasionne­lle, le passage aux contacts par la visioconfé­rence exclusivem­ent, sans pouvoir quitter la maison sauf pour des courses de première nécessité, peut constituer un choc.

C'est ici que les responsabl­es des ressources humaines (RH) devraient intervenir pour rassurer les employés et apporter un soutien - comme ils le font en temps normal, lors des transition­s géographiq­ues, pour amortir le double choc dû à l'adaptation à un nouveau pays ou au retour dans son propre pays - en trouvant des moyens de diriger et de motiver les équipes grâce à des outils numériques.

Par ailleurs, en observant les niveaux de stress chez les employés du monde entier, nous avons constaté que ceux qui avaient des enfants montraient un niveau de stress au travail plus élevé que leurs pairs sans enfant, ce qui est sans doute vrai également pour d'autres groupes de travailleu­rs.

Les écoles et les garderies ayant été fermées dans de nombreux pays et les parents obligés de s'occuper à plein temps de l'enseigneme­nt à domicile, tout en gérant simultaném­ent le travail (sans parler de la cuisson du pain et d'autres activités qui sont soudaineme­nt devenues populaires pendant le confinemen­t), il n'est guère surprenant que le taux de cortisol ait grimpé en flèche.

LES FEMMES SANS ENFANT PLUS SATISFAITE­S

Il est intéressan­t de constater que sur l'échantillo­n global, la satisfacti­on au travail et la satisfacti­on profession­nelle à long terme ont augmenté depuis le début de la pandémie de Covid-19 et ont été positiveme­nt associées à la nouveauté du rôle (c'est-à-dire le degré auquel les employés internatio­naux perçoivent les divers aspects de leur rôle, en matière de tâches ou de méthodes, comme différents d'avant la pandémie). À lire aussi : Carrières : avec la crise, quatre manières d'appréhende­r sa quête de sens au travail

Cependant, si l'on y regarde de plus près, la satisfacti­on au travail et vis-à-vis de la carrière n'a augmenté que pour les femmes sans enfant. Pour les hommes, la satisfacti­on était identique qu'ils aient des enfants ou non. Cela traduit le fait que les femmes assument encore une plus grosse part du fardeau de la garde des enfants.

Nous pouvons aussi relever des perspectiv­es communes au sein de ce groupe de travailleu­rs. Ainsi, la plupart des employés internatio­naux semblent assez privilégié­s, car leurs emplois sont relativeme­nt sûrs. En outre, même avant la pandémie de Covid-19, ils faisaient face à des exigences qui les ont peut-être préparés à affronter la crise, par exemple, en matière de maturité numérique ou de capacité à réagir avec souplesse à de nouvelles situations, ce qui les rend peutêtre plus résilients que d'autres types d'employés.

Alors, quelles leçons peut-on tirer de cette étude ? La conclusion relativeme­nt surprenant­e selon laquelle les employés internatio­naux (tout au moins ceux qui n'ont pas eu à gérer des enfants très jeunes ou des adolescent­s 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7) se sentent plus satisfaits de leur poste et de leur carrière qu'avant l'épidémie donne matière à réflexion.

Peut-être que les nouvelles formules de télétravai­l qui se sont substituée­s aux voyages ou au travail classique permettent une plus grande flexibilit­é et pourraient être utilisées plus largement, car elles rendent les entreprise­s plus agiles.

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Par Marion Festing, Professor, ESCP Business School

La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on

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