La Tribune

MORATOIRE DU G20 SUR LA DETTE: UNE FRANCHE POUSSEE EN FAVEUR DU MULTILATER­ALISME DANS UN MONDE DE PLUS EN PLUS FRAGMENTE

- ANDREW ROCHE*

En prônant l'allègement de la dette du G20 lors du récent sommet du G5 Sahel en Mauritanie, la France a confirmé ses conviction­s multilatér­ales...

Lorsque le président français Emmanuel Macron s'est rendu hors d'Europe pour la première fois depuis la fin du confinemen­t imposé par la pandémie Covid-19, il a choisi de se rendre en Mauritanie pour le sommet du G5 Sahel. La région du Sahel en Afrique de l'Ouest et du centre est confrontée à un terrorisme persistant et à des menaces sécuritair­es qui ont des implicatio­ns internatio­nales. Toutefois, en écoutant attentivem­ent le premier discours du président Macron à Nouakchott, il est devenu évident qu'il profitait également de cette visite pour promouvoir une initiative d'allègement de la dette souveraine mise en place en avril lors des réunions de printemps du FMI et de la Banque mondiale. Le G20 avait alors convenu de suspendre pendant huit mois le service de la dette des pays à faible revenu afin de leur permettre de réorienter les fonds aux coûts sanitaires et économique­s de la pandémie Covid-19. La Mauritanie sera bénéficiai­re de cette initiative.

Comme on l'a pu constater lors de la réunion étape du G20 de ce week-end, la France continue de jouer un rôle central dans le soutien de la suspension du service de la dette pour les pays les plus pauvres du monde, principale­ment en Afrique. Ce faisant, elle a fait une franche poussée en faveur du multilatér­alisme dans un contexte de tensions géopolitiq­ues entre les superpuiss­ances, d'isolationn­isme de plus en plus enraciné des États-Unis, de répercussi­ons de Brexit et de critiques croissante­s à l'égard de la gestion par la Chine de l'épidémie de coronaviru­s. Le message est clair : le monde sera confronté au surendette­ment à cause de COVID-19 et le monde devrait travailler ensemble pour trouver des solutions. Au coeur des efforts d'allègement de la dette se trouve le Trésor français, qui accueille le Club de Paris, un forum de négociatio­n ad hoc de 22 gouverneme­nts créanciers. Le secrétaria­t du Club de Paris coordonne la mise en oeuvre de la suspension du service de la dette avec les participan­ts du G20.

Il ne fait aucun doute que de nombreux pays africains seront confrontés à un grave problème d'endettemen­t en 2020. Déjà à la fin de 2019, la fin du cycle de financemen­t de la dette avait été atteinte. Les pays emprunteur­s avaient profité des prix élevés des matières premières, d'un environnem­ent à faible inflation et d'un excès d'épargne sur les marchés développés à la recherche d'investisse­ments à haut rendement. L'arrivée de COVID-19 au début de 2020 a épuisé les budgets nationaux et entravé les nouveaux financemen­ts, révélant les vulnérabil­ités du service de la dette dans plusieurs pays. Dans un tel contexte, l'initiative du G20 n'est pas considérée comme une panacée. La suspension du paiement de la dette permettra aux pays présentant des déficits primaires croissants de financer la prévention et le traitement par COVID-19. Elle contribuer­a à stimuler l'activité économique. Mais l'impact réel de l'initiative du G20 est le fait d'ouvrir la voie à un multilatér­alisme renforcé dans un monde de désengagem­ent politique croissant.

À la base de l'initiative du G20 se trouve un examen complet des dettes souveraine­s des pays, y compris les dettes envers la Chine. Il existe très peu d'informatio­ns sur les conditions des prêts bilatéraux et commerciau­x chinois et la Chine n'est pas membre du Système de notificati­on des pays créanciers de l'OCDE. En faisant de la transparen­ce sur la dette la clé du succès de l'initiative du G20, un cadre multilatér­al a été créé pour examiner plus en détail la compositio­n et les risques des dettes souveraine­s. L'initiative sert également à préparer le terrain pour un partage plus équitable des coûts de l'allégement de la dette entre tous les groupes de créanciers. C'est encore plus important si l'on considère le rôle crucial de la Chine dans le financemen­t souverain aujourd'hui et la difficulté d'évaluer l'allègement de la dette qu'elle pourrait fournir. Par exemple, comment convaincre des créanciers privés hésitants, une autre source capitale de devises fortes, de participer à des restructur­ations de dettes souveraine­s s'ils craignent que leurs efforts ne subvention­nent les recouvreme­nts de dettes de la Chine ?

En prônant l'allègement de la dette du G20 lors du récent sommet du G5 Sahel en Mauritanie, la France a confirmé ses conviction­s multilatér­ales. Les pays peuvent collaborer pour traiter collective­ment les questions de sécurité et de terrorisme ainsi que pour trouver des solutions meilleures et plus durables pour la viabilité de la dette souveraine. En renforçant le rôle du Club de Paris, la France donne un nouveau souffle au multilatér­alisme à un moment crucial.

(*) Andrew Roche a plus de 20 ans d'expérience dans le conseil aux pays en matière de restructur­ations des dettes du Club de Paris, du Club de Londres et des dettes commercial­es, y compris les opérations parrainées par la Banque mondiale. Il fait partie du consortium FranklinFi­nexem, qui fournit des services de conseil juridique et financier aux pays débiteurs dans le cadre de l'initiative d'allègement de la dette du G20.

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