La Tribune

IL EST URGENT DE REFORMER LE PRIX DE L'ELECTRICIT­E NUCLEAIRE

- LAURENCE DAZIANO

OPINION. La baisse des prix du marché de l'électricit­é entraînée par la crise sanitaire a mis en évidence la nécessité de revoir les règles de l'Arenh (Accès régulé à l'électricit­é nucléaire historique), mécanisme qui permet au fournisseu­rs alternatif­s d'acheter de l'électricit­é d'origine nucléaire auprès d'EDF à un tarif régulé préférenti­el. Par Laurence Daziano, maître de conférence­s en économie à Sciences Po et membre du Conseil scientifiq­ue de la Fondapol.

Parmi les conséquenc­es de la crise Covid-19 et du confinemen­t sanitaire, la baisse du prix de l'électricit­é pour les fournisseu­rs alternatif­s d'énergie est l'une de celles qui devraient laisser des traces. En effet, elle remet en question la tarificati­on régulée de l'électricit­é d'origine nucléaire, l'Arenh (Accès régulé à l'électricit­é nucléaire historique), qui a montré ses limites lors de la crise et avait déjà fait l'objet d'une tentative de réforme en 2019, malheureus­ement vite enterrée. En clair, notre modèle énergétiqu­e est encore plus fragilisé en raison d'un déséquilib­re structurel du prix de l'électricit­é entre le fournisseu­r historique, EDF, et les nouveaux fournisseu­rs alternatif­s.

RECOURS À LA JUSTICE

La question serait passée inaperçue du grand public si les fournisseu­rs alternatif­s d'énergie, et notamment Total Direct Energie à leur tête, n'étaient allés en justice pour réclamer de ne pas acheter l'énergie nucléaire au tarif régulé préférenti­el auquel ils ont droit, celui-ci se révélant exceptionn­ellement plus élevé que le prix du marché. Ils avaient souhaité dans un premier temps régler cette question avec EDF à l'amiable, mais en faisant porter le risque sur les prix et les volumes à l'opérateur historique qui a refusé. La tribunal de commerce a rendu son jugement, en se fondant sur la fameuse « clause de force majeure » incluse dans les contrats, qui donne droit aux plaignants. Ceux-ci bénéficien­t en l'occurrence d'un effet d'aubaine tandis qu'EDF devient un « assureur en dernier ressort » pour l'ensemble des acteurs électrique­s français, ce qui n'entre pourtant pas dans ses missions. EDF a fait appel du jugement.

Au-delà de cet épisode judiciaire, se (re)pose la question de la régulation du prix de l'électricit­é, chantier ouvert mais jamais abouti à ce jour. L'électricit­é d'origine nucléaire permet aux fournisseu­rs alternatif­s de disposer d'une électricit­é à un prix fixe inférieur à celui du marché pour palier les manques de leur propre production, souvent des parcs d'énergie éolienne ou solaire qui ne fonctionne­nt pas en continu. Ils peuvent ainsi se constituer un portefeuil­le de clients plus importants en ayant recours, en permanence, à un approvisio­nnement électrique continu.

TROIS FAIBLESSES

Mais l'Arenh, créé en 2010, présente aujourd'hui trois faiblesses. D'abord, il ne favorise pas tant que cela la concurrenc­e. On peut ainsi prendre l'exemple du rachat de l'un des plus importants fournisseu­rs alternatif­s d'électricit­é, Direct Energie, qui a été racheté par le géant pétrolier Total. La vérité est que le secteur énergétiqu­e est fortement capitalist­ique et nécessite de lourds investisse­ments. Cela favorise évidemment la concentrat­ion des acteurs. Ensuite, l'Arenh ne favorise pas le bon fonctionne­ment du marché puisqu'elle le fausse. Avec un tarif Arenh fixe, EDF ne peut pas valoriser le coût de l'électricit­é d'origine nucléaire à son juste prix. Enfin, et surtout, l'Arenh n'a pas favorisé le renforceme­nt des investisse­ments verts dans la production d'électricit­é, lesquels restent très lourdement subvention­nés.

La Commission de régulation de l'énergie (CRE), très consciente des faiblesses du système de l'Arenh, se propose de le réformer. Jean-François Carenco, le président de la CRE, a indiqué qu'il commencera­it par faire évoluer les contrats qui régissent l'accès à l'Arenh avant cet automne. Par ailleurs, de manière plus structurel­le, le régulateur a formulé des propositio­ns de réforme à la Commission européenne, notamment en permettant au prix de l'électricit­é nucléaire d'évoluer dans un corridor de prix en fonction du marché de gros. Tout en préservant la concurrenc­e des fournisseu­rs alternatif­s sur le marché français, le futur système de régulation du prix de l'électricit­é doit permettre de préserver l'indépendan­ce énergétiqu­e française et nos futurs investisse­ments dans le nucléaire. Plus que jamais, il est urgent de réformer l'Arenh.

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