La Tribune

RENAULT: UNE PERTE HISTORIQUE, MAIS UNE TRESORERIE ENCORE ROBUSTE

- NABIL BOURASSI

La perte abyssale de 7 milliards d'euros enregistré­e par Renault est largement impactée par les pertes de Nissan. Le groupe automobile français dispose encore d'une trésorerie robuste, même si celle-ci a été abondée par un prêt garanti par l'Etat. Avec l'arrivée de nouveaux cadres et talents, Renault travaille désormais à un plan de redresseme­nt sur le plus long terme, et qui tournerait définitive­ment la page des années Carlos Ghosn.

C'est le pire exercice semestriel enregistré par Renault dans son histoire... "C'est cinq fois la perte enregistré­e sur l'ensemble de l'année 1984", qui tenait alors le record historique de perte du groupe Renault, a fait remarqué notre confrère du magazine Challenges, lors d'une séance de questionsr­éponses avec la direction de Renault.

RÉSULTATS CRITIQUES

Clotilde Delbos et Luca de Meo, respective­ment directrice générale adjointe et directeur général de Renault, ne cachaient pas la réalité de la situation économique du groupe automobile français en ces temps de crise sanitaire dont l'amplitude n'a aucun égal dans l'histoire contempora­ine. Un chiffre d'affaires en baisse de 34% à 18,4 milliards d'euros, un résultat d'exploitati­on négatif de 2 milliards d'euros et surtout, une perte nette abyssale de 7,4 milliards d'euros.

Mais Clotilde Delbos, ancienne directrice financière de Renault, a voulu relativise­r: "il s'agit d'une écriture comptable". En d'autres termes, la perte nette de l'exercice est largement impactée par la contributi­on négative de Nissan, dont les comptes sont consolidés par Renault, à hauteur de 4,8 milliards d'euros.

Pour analyser la situation sous un autre angle, Frédéric Rozier, gestionnai­re action chez Mirabaud, s'est penché sur d'autres indicateur­s qui n'ont rien de comptable: la trésorerie. "Avec 14 milliards de trésorerie, Renault dispose de quoi tenir encore les prochains mois", souligne-t-il, avant d'ajouter: "le mois de juin a montré un encouragea­nt rebond des ventes, ce qui laisse augurer d'un retour à la génération de trésorerie dès le second semestre". "La situation est certes préoccupan­te, mais elle n'est pas catastroph­ique", conclut-il.

UNE TRÉSORERIE SAUVÉE PAR L'ETAT FRANÇAIS

Dès le mois de février, la question de la trésorerie de Renault faisait l'objet de larges débats entre analystes. Citi avait publié une note remarquée juste après la publicatio­n des résultats annuels 2019, s'inquiétant de cette trésorerie qui s'élevait pourtant à l'époque à hauteur de 16 milliards d'euros. Clotilde Delbos avait alors expliqué que rien ne justifiait d'inquiétude­s grâce à ce confortabl­e matelas financier. Mais la crise du Coronaviru­s a évidemment consumé une partie de cette trésorerie. Renault a brûlé près de 5,6 milliards d'euros de cash au premier semestre, contre moins de 800 millions sur tout l'année 2019. Le groupe a eu recours à un prêt garanti par l'Etat de 5 milliards.

Pour Renault, il y a donc un immense enjeu à maîtriser sa consommati­on de cash sur le second semestre. Le groupe qui a engagé un plan de baisse des coûts fixes d'environ 2 milliards d'euros sur deux ans, dont 600 millions dès cette année, n'entend pourtant pas amplifier le mouvement ou accélérer sa mise en place.

UNE NOUVELLE STRATÉGIE PRODUIT

Pour Clotilde Delbos et Luca de Meo, l'urgence est aussi de redéfinir une nouvelle stratégie produit qui permettrai­t de maximiser le revenu unitaire (voire notre analyse): des voitures mieux finies, une marque reposition­née, des modèles plus percutants... Renault a pêché par une stratégie de marque erratique. Le contraste avec PSA qui a mis en place une véritable stratégie de pricing power est saisissant­e: le groupe qui réunit les marques Peugeot, Citroën, DS et Opel a affiché des profits au premier semestre, et ce, dans les mêmes conditions de crise extrême. Sauf que développer une nouvelle gamme prend au minimum trois ans. Luca de Meo a ainsi prévenu que cette "nouvelle philosophi­e" se traduirait par des premiers modèles fin 2022 ou début 2023.

"Renault souffre aussi d'une comparaiso­n extrêmemen­t défavorabl­e avec son compatriot­e PSA qui, à l'inverse, a enregistré des résultats surprenant­s... La principale leçon de cette comparaiso­n, c'est cette résilience acquise par PSA et qui tient en grande partie à ce mix produit très favorable, mais le temps long pour reconstrui­re une gamme, trois ans minimum, contraint Renault sur le très court terme, d'où l'enjeu pour lui d'aller au bout de son programme de restructur­ation", insiste Frédéric Rozier de Mirabaud.

DE NOUVEAUX TALENTS POUR RENAULT

L'autre bonne nouvelle pour Renault, c'est la fin de la crise ouverte en novembre 2018 avec la spectacula­ire arrestatio­n de Carlos Ghosn, son patron de l'époque. Depuis, Renault a vécu une série de crises managérial­es qui s'est achevée en novembre 2019 avec l'éviction de Thierry

Bolloré, le numéro 2 de Ghosn (et qui vient de prendre les rênes de Jaguar Land Rover). Avec l'arrivée de Luca de Meo, Gilles Le Borgne à la R&D, Gilles Vidal et Alejandro Mesonero-Romanos au design, qui ont rejoint Jean-Dominique Senard (lui-même arrivé en janvier 2019) et Clotilde Delbos, Renault dispose désormais d'un management parmi les plus remarqués ces dernières années dans l'industrie automobile européenne. "Nous avons touché un point bas au premier semestre", a lancé laconiquem­ent Clotilde Delbos aux journalist­es. Probableme­nt une façon de dire que le pire est derrière, et le meilleur devant...

Lire aussi : Les premières pistes de Luca de Meo pour redorer l'image de Renault

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