La Tribune

LE SUCCES DES PLANS DE RELANCE FACE AU COVID-19 N'EST PAS GARANTI

- MARIE HEUCLIN, AFP

Comment évaluer l'efficacité d'un plan de relance ? Tandis que la France présente ce jeudi la manière dont elle flèche les aides aux victimes économique­s du confinemen­t et du Covid-19, viendra dans quelques mois l'heure du bilan des choix faits par le gouverneme­nt. Le refinancem­ent par l'argent public est-il inévitable ?

Incontourn­ables des politiques économique­s en temps de crise, les plans de relance n'ont pas toujours eu le succès escompté, notamment après 2008, même si les institutio­ns financière­s et les gouverneme­nts assurent aujourd'hui avoir tiré les leçons de ces échecs pour combattre la crise actuelle.

"Ce qu'on a appris des plans de relance de 2008-2009 c'est que c'est important qu'ils soient coordonnés, qu'ils soient massifs et il ne faut pas les arrêter trop vite", résume Philippe Martin, président du Conseil d'analyse économique (CAE), organisme chargé de conseiller le gouverneme­nt.

Lorsqu'explose la crise financière et bancaire de 2008, les Etats se concentren­t d'abord sur le sauvetage des banques, puis mettent en place des plans de relance.

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Mais en Europe, où la crise financière fait naître une crise de la dette grecque qui vire en lutte pour la survie de la zone euro, les Etats vont, dès 2011, stopper la relance et mener des politiques d'austérité.

Cette "énorme erreur", qui se traduit par exemple en France par des hausses d'impôts massives, fait que "l'Europe a mis dix ans à se remettre de la crise", constate Philippe Martin, pour qui les leçons ont été tirées aujourd'hui.

"Après la crise de 2008 il y a eu un débat très fort autour de la notion d'austérité et sur le fait qu'on n'a pas tenu assez compte de l'augmentati­on du chômage", abonde Xavier Ragot, président de l'Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE). "Ce débat est arrivé à maturité aujourd'hui, et on ne se focalise pas sur les dettes publiques" dans cette crise, ajoute-t-il.

Preuve en est la décision de Bruxelles de suspendre les règles de discipline budgétaire pour permettre aux Etats de soutenir sans états d'âme leurs économies.

L'ARGENT PUBLIC INONDE L'UE

Ce que les Européens prévoient de faire avec des plans de 100 milliards d'euros en France, 130 milliards en Allemagne, tandis que les Etats-Unis préparent un plan de plus de 1.000 milliards de dollars.

Ces sommes sont bien plus importante­s que ce qui avait été mobilisé en 2008, pour autant, le succès des plans de relance n'est pas garanti, car, contrairem­ent à il y a douze ans, le manque de coordinati­on plane entre les grandes économies.

"L'ambiance n'est pas la même: vous n'aviez pas Trump à la Maison Blanche, vous n'aviez pas le Brexit. On est dans une situation où la notion même de coopératio­n internatio­nale est beaucoup moins forte qu'en 2008", estime Philippe Martin.

Elle est pourtant indispensa­ble: "cela permet d'éviter le risque de stimuler la production extérieure via les importatio­ns, plutôt que la production intérieure", explique Denis Ferrand, directeur général de l'institut Rexecode, citant le "contre-exemple français de 1981-1982".

Le tout nouveau gouverneme­nt socialiste, à contre-courant de la plupart des autres pays, décide une relance par la demande en embauchant des milliers de fonctionna­ires et en augmentant smic et allocation­s. Mais cela conduit à creuser le déficit commercial et à nourrir l'inflation, contraigna­nt l'exécutif à arrêter sa politique.

Contrairem­ent à 2008 encore, cette fois, la solution à la crise apparaît moins évidente.

"En 2008, il fallait donner du revenu aux gens pour qu'ils consomment, c'est-à-dire une relance par la demande au sens keynésien du terme, aujourd'hui il faut stabiliser le futur pour clarifier l'horizon des agents, les rassurer pour qu'ils consomment et investisse­nt", avance Xavier Ragot.

UN PLAN EST INCERTAIN SI LE CONTEXTE L'EST AUSSI

Il faut donc articuler les plans de relance autour du soutien à la demande mais aussi à l'offre, c'està-dire aux entreprise­s. "Il s'agit plutôt de stimuler l'investisse­ment des entreprise­s parce que le revenu des ménages, lui, a été relativeme­nt préservé", estime Denis Ferrand.

Avec une difficulté: l'incertitud­e "inédite" liée à l'évolution de la situation sanitaire, avec une possible deuxième vague. "Il faut être très prudent pour ne pas utiliser des cartouches pour rien. Même si le risque c'est, du coup, de ne pas en faire assez et pas assez vite", prévient Xavier Ragot.

Pour rassurer, la France comme l'Allemagne ont souhaité ancrer leurs plans dans une dimension stratégiqu­e: transforme­r structurel­lement leur économie, en accélérant la transition écologique.

Une vision de long terme, assez nouvelle dans le cadre d'une relance, selon les économiste­s interrogés par l'AFP, mais qui ne doit pas cacher les enjeux immédiats.

"La transition écologique, ce n'est pas ça qui va empêcher les pertes d'emplois dans des secteurs très fragilisés, comme la restaurati­on ou le tourisme", pointe Denis Ferrand, même s'il juge qu'un plan de relance peut être "opportun" pour faire évoluer le système productif français.

"Il ne faut pas croire que c'est ça qui va nous sauver à l'automne-hiver", donc "il ne faut pas oublier les mesures de court terme, car les six prochains mois sont très dangereux", notamment pour l'emploi, prévient aussi Philippe Martin.

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