La Tribune

GABRIEL ATTAL : "LA RELANCE A UN IMPERATIF D'EFFICACITE, POUR DES RESULTATS RAPIDES"

- CESAR ARMAND ET PHILIPPE MABILLE

Dans un entretien exclusif, le porte-parole du gouverneme­nt fait le service après-vente du plan de relance massif annoncé jeudi. Face aux critiques de ceux qui, parmi les syndicats, les écologiste­s et la gauche, auraient voulu un autre plan, plus vert et plus social, il défend le choix de soutenir la production au nom de l'emploi. L'objectif est qu'au moins 30% des fonds soient utilisés fin 2021, pour engranger des résultats visibles pour les Français, à qui des comptes seront rendus sur ces 100 milliards d'euros.

LA TRIBUNE - Le plan de relance de 100 milliards sera-t-il suffisant pour répondre à la crise économique et sanitaire ?

GABRIEL ATTAL - L'avenir nous le dira. Ce plan de relance est, tout de même, en pourcentag­e du PIB, le plus important présenté en Europe, et il est 4 fois supérieur à celui élaboré après la crise financière de 2008. Au-delà du débat sur le montant, le point le plus important à mes yeux, c'est l'investisse­ment rapide et massif des crédits pour des secteurs stratégiqu­es, prioritair­es, qui ne peuvent plus attendre. Encore la semaine dernière, j'ai appris que des projets financés avec le plan de relance de 2008 ne sortaient de terre que maintenant... Avec France Relance ce ne sera pas le cas : c'est la relance ici et maintenant !

Concrèteme­nt, comment allez-vous vous assurer du bon pilotage du plan ?

Les crédits sont précisémen­t répartis par secteurs et politiques publiques. L'innovation majeure est qu'il ne s'agit pas d'augmenter le budget de chacun des ministères concernés, mais d'avoir une ligne France Relance dédiée dans le projet de loi de finances (PLF) 2021. Chaque ministère devra veiller à ce que les crédits soient bien consommés avant fin 2022 et, si ce n'est pas le cas, ils seront dédiés à un autre programme qui, lui, avance. Nous devons aux Français d'être efficaces. C'est dans cet impératif d'efficacité que chaque mois, se tiendra un comité de suivi sous l'autorité du Premier ministre. Notre objectif est très ambitieux : nous estimons qu'à fin 2021, au moins 30% des fonds seront utilisés.

Comment allez-vous vous assurer que ces fonds ne se perdent pas dans les sables bureaucrat­iques, entre la décision de l'administra­tion centrale et leur déclinaiso­n opérationn­elle sur le terrain ?

C'est un enjeu de management public très fort. Lors du Conseil des ministres d'hier, le Président de la République a exigé qu'un responsabl­e France Relance soit désigné dans chaque ministère pour rendre compte de l'exécution du plan. L'animation territoria­le se fera, elle, à partir des préfecture­s, avec des sous-préfets France Relance, déjà identifiés au niveau local. Ils seront les ambassadeu­rs des services de État et devront mobiliser les filières économique­s locales. Le plan sera accompagné d'un volet simplifica­tion qui sera annoncé prochainem­ent.

Hier, j'étais dans le Loiret dans un EHPAD rénové. Quand j'ai demandé de quand datait le chantier, on m'a répondu qu'il avait été lancé il y a... quinze ans ! Ce n'est plus possible. Pendant le confinemen­t, nous avons montré collective­ment que nous étions capables de surmonter des obstacles que l'on jugeait indépassab­les. Le déploiemen­t de l'activité partielle s'est fait ainsi en quelques jours. Nous comptons capitalise­r sur cette mobilisati­on pour faire sauter durablemen­t des verrous administra­tifs.

Les collectivi­tés misent beaucoup sur la contractua­lisation avec l'État pour déployer le plan de relance. Une première réunion avec les régions est prévue la semaine prochaine. Quel est l'agenda ?

Il ne s'agit pas de construire de nouveaux contrats de plan État-régions (CPER), mais de contractua­liser autour de projets concrets d'investisse­ments et des montants précis pour lesquels nous pourrons mesurer les résultats très vite. Les Français doivent voir des résultats près de chez eux, dans leur quotidien, le plus tôt possible.

Justement, de quelle nature seront les indicateur­s annoncés par Jean Castex ? L'observatoi­re de rénovation des bâtiments annoncé en 2018 par Nicolas Hulot se fait désespérém­ent attendre...

Nous envisageon­s, tout d'abord, de publier les taux de décaisseme­nt des fonds de chaque ministère, dans une volonté de rendre cela beaucoup plus lisible pour le grand public que les simples annexes du projet de loi de finances 2020. Ce sera également l'occasion de faire aboutir de nouveaux outils, comme cet observatoi­re de rénovation des bâtiments que vous évoquez.

Les Ministres rendront quant à eux régulièrem­ent compte aux Français des mesures décidées, en ligne avec le comité de pilotage mensuel dirigé par le Premier ministre. Enfin, le Parlement va jouer son rôle avec des auditions publiques. Je pense au « Printemps de l'Evaluation » lancé en 2018 par le président de l'Assemblée nationale, dont ce pourrait être une mission.

N'y-a-t-il pas le risque que « l'État profond » décrié par le président Macron lui-même reprenne le dessus sur ces bonnes volontés ? Ne serait-ce que l'accès à la prime pour la rénovation est d'une complexité inouïe. Comme l'avait dénoncé Emmanuel Macron, c'est à croire que l'administra­tion ne joue pas le jeu...

Une certaine administra­tion peut avoir tendance à parier sur le non-recours aux aides, en jouant sur la complexité. Sous le quinquenna­t de François Hollande, j'ai le souvenir de réunions interminis­térielles à Matignon où des cabinets projetaien­t des taux de non-recours sur des budgets votés par le Parlement... C'est cette culture qu'il faut changer.

De fait, l'objectif des 500.000 rénovation­s annuelles affirmé depuis le Grenelle de l'Environnem­ent de 2007 n'a jamais été atteint...

Le Président de la République est déterminé à ce qu'on en finisse avec ces pratiques. L'accès à Ma Prime Rénov' sera simplifié afin que tous les ménages puissent y recourir. Des annonces auront lieu en octobre autour des barèmes des aides, des nouvelles règles fiscales et des bonus pour les passoires thermiques. C'est, en outre, un enjeu de réorganisa­tion de la filière afin de créer les emplois prévus.

Dans l'opposition, beaucoup regrettent le manque de mesures de justice sociale. Que leur répondez-vous ?

Il faut cesser d'opposer les entreprise­s et les Français. J'ai l'impression que cet antagonism­e a volé en éclat avec la crise sanitaire. Les Français ont surtout peur de perdre leur emploi. Ils ont bien vu que l'État soutient massivemen­t les entreprise­s avec pour objectif de protéger l'emploi et donc les Français. Le « quoi qu'il en coûte » pour reprendre l'expression du Président de la République.

Les syndicats et la gauche vous reprochent de ne pas soutenir la demande et de tout concentrer sur les entreprise­s...

Ce n'est pas vrai. Quand nous augmentons l'allocation de rentrée scolaire de 100 euros, quand nous passons les repas des restaurant­s universita­ires à 1 euro pour les boursiers, ce sont des mesures de soutien aux plus modestes, et c'est du pouvoir d'achat en plus. Les mesures de soutien à la demande dans le secteur automobile, notamment les 200 000 primes exceptionn­elles écoulées en deux mois, sont également un très bel exemple de réussite !

Il y a aussi un débat sur l'absence de contrepart­ies sociales et environnem­entales aux subvention­s accordées aux entreprise­s...

Nous investisso­ns 30 milliards d'euros dans la transition écologique. Si vous aviez posé la question aux écologiste­s il y a un an, je pense qu'ils ne l'auraient même pas cru. Cela correspond à des demandes portées depuis des décennies.

Pour répondre à votre question, je vous citerais - avec un brin d'humour - Lénine : « La confiance n'exclut pas le contrôle ». Si nous voulons que le pays reparte rapidement, nous ne pouvons pas remettre des barrières et des lourdeurs administra­tives - la conditionn­alité des aides ce serait du contrôle permanent, mais rassurez-vous, il y a aura un suivi. Nous attendons en retour que les entreprise­s fassent preuve de responsabi­lité, sociale et environnem­entale, car c'est aussi une attente de la société. Je rappelle que dans certains cas, comme pour le transport aérien ou l'automobile, des engagement­s écologique­s forts ont été demandés et obtenus de la part des industriel­s du secteur.

7,3 milliards sont par exemple consacrés à l'hydrogène vert, mais aujourd'hui, cette énergie reste majoritair­ement « grise » c'est-à-dire produite à partir d'énergies fossiles...

Au contraire ! L'objectif de notre stratégie est de nous concentrer sur la production d'hydrogène à partir de l'électrolys­e de l'eau qui permettra de produire de l'hydrogène propre sans énergie fossile. Nous n'allons donc pas investir dans une activité polluante et allons au contraire décarboner notre industrie.

Le plan de relance traduit-il un changement de cap sur la souveraine­té et les relocalisa­tions industriel­les ?

Clairement oui. La crise a été un révélateur de nos propres faiblesses, à l'image de la pénurie de masques ou de certains principes actifs. Le Président de la République assume l'idée que c'est aussi une opportunit­é pour retrouver de la souveraine­té et renforcer l'indépendan­ce sanitaire, alimentair­e ou encore numérique du pays. Le plan de relance comprend de nombreuses actions qui visent à faire de la France un pays industriel fort : baisse des impôts de production­s, appels à projets pour soutenir la relocalisa­tion dans des secteurs stratégiqu­es, soutien à la R&D dans des secteurs d'avenir.

L'Union européenne met 40 des 100 milliards d'euros. Que demande-t-elle en échange ? Cela peut-il être l'occasion de développer des projets transnatio­naux ?

La seule condition fixée, c'est, dans le cadre du Green Deal, de consacrer le tiers du plan de relance à la transition écologique. Pour le reste, nous n'avons pas le sentiment que des verrous européens nous empêcheron­t de recevoir les fonds rapidement. Nous pouvons en outre accroître les coopératio­ns industriel­les enclenchée­s avant la crise, par exemple avec l'Allemagne dans les batteries électrique­s.

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