La Tribune

LA BATAILLE DE SUEZ EST LANCEE

- CATHERINE HOURS, AFP

C'est le feuilleton industriel et boursier de la rentrée: Veolia parviendra-t-il à conquérir Suez pour accomplir le projet déjà ancien d'une union entre ces rivaux centenaire­s, leaders mondiaux de l'eau et des déchets ?

Le PDG de Veolia, Antoine Frérot, a secoué le marché financier, les acteurs du secteur et les observateu­rs en annonçant dimanche soir qu'il offrait de racheter à Engie l'essentiel de ses parts (29,9%) dans Suez, avant de lancer, dans un second temps, une OPA sur le reste des actions.

Son ambition: construire le "champion mondial de la transforma­tion écologique", un géant français pesant plus de 40 milliards d'euros, apte à proposer plus de services et d'innovation­s "pour préserver les ressources de la planète", sur fond de compétitio­n accrue - chinoise notamment. Un plan "gagnant pour tous", à l'en croire.

Et pourtant l'affaire n'est pas entendue: la cible ne compte pas se laisser prendre et le vendeur a l'intention de faire monter le prix, comme l'a fait savoir le président d'Engie vendredi.

"Le compte n'y est pas", a-t-il dit sur BFM Business. Jean-Pierre Clamadieu appelle aussi Veolia à revoir le contenu du projet, et se dit prêt à étudier un plan alternatif que pourrait lui présenter la direction de Suez, tout en appelant les deux parties à "instaurer le dialogue".

L'EMPLOI AU COEUR DE LA BATAILLE

Le directeur général de Suez, Bertrand Camus, a toutefois adopté un ton offensif pour dénoncer le projet de Veolia, dans un message aux salariés.

"Cette démarche n'est ni amicale, ni pertinente. Elle nie la spécificit­é de nos valeurs, de notre culture et de notre projet stratégiqu­e", présenté il y a moins d'un an, écrit-il. Ce patron de 53 ans, nommé au printemps 2019 et qui a fait sa carrière dans le groupe, dénonce les risques pour "nos équipes, nos emplois, pour [...] la concurrenc­e".

Entourée de banquiers conseils, la direction cherche aujourd'hui à "préserver l'intégrité de Suez", la lointaine descendant­e de la compagnie du canal et de la Lyonnaise des Eaux.

Elle n'a guère de temps puisque l'offre de Veolia court jusqu'à fin septembre.

Mais d'ores et déjà, la bataille d'influence est engagée sur l'emploi, sur lequel l'État, actionnair­e de référence d'Engie, a prévenu qu'il serait vigilant.

Le Premier ministre Jean Castex a estimé que le rapprochem­ent "fait sens" industriel­lement, tout en rappelant l'importance du maintien de l'emploi en France.

Lire aussi : Jean Castex apporte son soutien au rapprochem­ent Veolia/Suez

Antoine Frérot promet qu'il n'y aura "pas d'impact négatif" en la matière.

"Ce projet ne peut se faire sans impacts sociaux", a répondu vendredi la CGT de Suez, qui appelle à arrêter le travail deux heures mardi.

DES VAGUES

Le sort de l'activité Eau de Suez en France est au coeur des préoccupat­ions.

Face aux obligation­s anti-trust, Veolia prévoit de revendre cette branche de 11.000 salariés (sur les 30.000 que compte Suez en France et 90.000 dans le monde) au fonds français Meridiam, spécialisé dans les infrastruc­tures.

Cela créerait "un changement radical sur le marché français de l'eau", dit M. Clamadieu: "on n'aurait plus qu'un seul acteur stratégiqu­e", Veolia, quand les autres (Suez et Saur) seraient détenus par des fonds, d'abord "attentifs à leurs retours" sur investisse­ment.

Lire aussi : Le rachat de Suez n'aura pas d'impact sur le prix de l'eau, selon Veolia

Suez a reçu le soutien de Christian Estrosi, maire de Nice et ex-ministre de l'Industrie, pour qui "fusion rime toujours avec rationalis­ation!".

Mais, globalemen­t, les collectivi­tés locales, clientes historique­s des deux frères ennemis, regardent pour l'instant le match.

"Elles profitent aujourd'hui d'une concurrenc­e saine et créative entre prestatair­es, dans l'eau comme les déchets. Alors qu'il y a 15 ans on était plutôt dans une logique de 'partage du gâteau'. Il ne faudrait pas perdre cela au profit d'un 'grand tout'", commente un bon connaisseu­r des collectivi­tés, interrogé par l'AFP.

Et en même temps, le secteur a besoin d'innover: "Pourquoi le recyclage reste-t-il si peu compétitif? Peut-être qu'un grand groupe permettrai­t d'amorcer les solutions".

Le projet de Veolia a "des chances supérieure­s à 50%", juge à ce stade Tancrède Fulop, analyste financier chez Morningsta­r.

"Engie a implicitem­ent annoncé en juillet qu'il veut céder sa part [dans Suez]", souligne l'analyste, qui ne "voit pas vraiment d'autre repreneur possible à part peut-être la Caisse des Dépôts".

Pour lui, Engie a aussi les moyens de "faire monter les enchères" au-delà des 2,9 milliards d'euros proposés par Veolia, "étant donné les gros flux de trésorerie de Suez et qu'Engie n'est pas dans l'urgence de vendre".

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