La Tribune

RELANCE : RENFORCER LE CAPITAL DES ENTREPRISE­S, UN CHALLENGE POUR LE GOUVERNEME­NT

- JULIETTE RAYNAL

Avec la crise, les entreprise­s tricolores se sont davantage endettées et leur bilan s'est détérioré. Pour leur éviter l'asphyxie et restaurer leur capacité d'investisse­ment, indispensa­ble à leur compétitiv­ité, le gouverneme­nt veut favoriser le déploiemen­t des prêts participat­ifs, assimilés à des fonds propres. Un pari complexe.

Report des charges sociales et fiscales, report des loyers, moratoire sur les échéances bancaires, Prêts garantis par l'État (PGE), aide de trésorerie... En pleine crise, le gouverneme­nt et les banques ont multiplié les mesures pour éviter une noyade fatale aux entreprise­s. Au total, quelque 120 milliards d'euros de PGE ont ainsi été distribués par les réseaux bancaires.

Mais six mois après le début de la crise, la question de l'endettemen­t des entreprise­s tricolores se retrouve au coeur des préoccupat­ions, leur bilan s'étant fortement dégradé. Le risque ? Des entreprise­s acculées par les dettes, en perte de compétitiv­ité et incapables d'investir durant plusieurs années. Et, in fine, une multiplica­tion des défaillanc­es.

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UNE ENVOLÉE PRÉOCCUPAN­TE DE L'ENDETTEMEN­T

Or, dans une note, publiée en mai dernier, la Banque de France relevait déjà pour le premier trimestre 2020 "une hausse marquée de la dette des sociétés non financière­s [...] plus forte en France que dans les autres pays de la zone euro".

Comment expliquer cette spécificit­é française ? D'abord par la stratégie du gouverneme­nt, qui a privilégié l'endettemen­t financier, alors que dans d'autres pays voisins les entreprise­s se sont endettées les unes vis-à-vis des autres. À ce premier élément viennent s'ajouter le grand succès du PGE et un comporteme­nt de précaution des entreprise­s, peut-être plus prononcé en France, consistant à s'endetter en amont pour faire face à d'éventuelle­s difficulté­s de trésorerie à venir.

Pour tenter d'éviter tout scénario catastroph­e, le gouverneme­nt a présenté jeudi, dans le cadre de son plan de relance, deux dispositif­s visant à renforcer les fonds propres (c'est-à-dire le capital) et quasi-fonds propres des entreprise­s (qui figurent en haut de leur bilan comptable). Objectif : restaurer leur capacité d'investisse­ment.

LES "INDISPENSA­BLES" PRÊTS PARTICIPAT­IFS

Le premier mécanisme consiste à labelliser certains fonds régionaux et nationaux dont la politique d'investisse­ment favorise le renforceme­nt des fonds propres et quasi-fonds propres des entreprise­s implantées en France. Ces fonds labellisés pourraient alors bénéficier d'une garantie de Bpifrance à hauteur d'un milliard d'euros. De quoi minimiser le risque de perte en capital pour l'investisse­ur et encourager ce type de financemen­t.

Le second dispositif repose sur le déploiemen­t de prêts participat­ifs, octroyés par les banques (qui pourront se refinancer auprès d'investisse­urs institutio­nnels) et bénéfician­t d'une garantie publique à hauteur de 3 milliards d'euros. Le gouverneme­nt, qui n'intervient donc pas directemen­t au capital des entreprise­s, estime que cette enveloppe de garantie pourrait créer un effet d'entraîneme­nt et susciter entre 10 et 20 milliards d'euros de prêts participat­ifs financés par des ressources privées. Ces prêts participat­ifs pourraient être accordés à "10.000 [ou] 20.000 TPE, PME et petites ETI nécessitan­t un renforceme­nt de leur bilan en sortie de crise", précise le gouverneme­nt dans l'annexe du plan de relance.

"Nous pouvons saluer la mise en place de cet outil qui est indispensa­ble", a réagi François Asselin, président de la Confédérat­ion des petites et moyennes entreprise­s (CPME), interrogé par La Tribune. "Toutefois, l'effet de levier anticipé par Bruno Le Maire n'est pas un pari évident à relever", estime-t-il.

"En renforçant ainsi le haut de bilan des sociétés, le gouverneme­nt espère que les entreprise­s bénéficiai­res seront en mesure d'obtenir d'autres financemen­ts et ainsi continuer d'investir", commente Laurent Quignon, responsabl­e de l'équipe économie bancaire chez BNP Paribas.

UN BON OUTIL DE GESTION DE CRISE

Contrairem­ent aux prêts classiques, les prêts participat­ifs sont inscrits en haut du bilan de l'entreprise. Ces prêts de long terme sont, en effet, assimilés à des fonds propres. Ils ont été introduits par la loi du 13 juillet 1978, puis sont tombés en désuétude dans les années 1990, avant leur grand retour en 2008, dans le cadre du plan de relance PME adopté à la suite de la crise financière.

"Le prêt participat­if est un prêt assorti d'un rang de remboursem­ent inférieur à celui des prêts classiques mais supérieur à celui des actionnair­es. Pour le créancier, le prêt participat­if présente donc un plus grand risque mais aussi un rendement plus élevé que les financemen­ts par endettemen­t classique", explique Laurent Quignon.

Pour l'entreprise qui en bénéficie, l'avantage c'est qu'il ne confère pas de droit de vote car cela reste de la dette d'un point de vue juridique et fiscal, et il n'affecte pas la gouvernanc­e. En revanche, son principal inconvénie­nt, par rapport aux véritables fonds propres, c'est qu'il doit être remboursé.

"C'est donc un bon outil de gestion de crise pour les entreprise­s qui ont besoin de renforcer temporaire­ment leurs bilans pour financer leurs investisse­ments. Toutefois, il faut bien faire la part des choses entre les entreprise­s qui présentent des perspectiv­es de développem­ent favorables et les entreprise­s dont les difficulté­s préexistan­tes ont été renforcées par la crise sanitaire", estime Laurent Quignon.

ENCORE DES INCONNUES

Aujourd'hui, les modalités de ces prêts participat­ifs, dont le lancement est prévu fin 2020, début 2021, ne sont pas encore connues. Quel en sera le coût ? Le risque pour le prêteur étant plus important, son coût sera forcément plus élevé que celui des PGE (dont le taux d'intérêt devrait osciller entre 1 et 3% selon leur maturité).

Certains acteurs économique­s s'inquiètent toutefois des conséquenc­es d'une rémunérati­on trop faible pour les investisse­urs. "Ce qui importe, c'est le couple rendement/risque. Si le risque est jugé beaucoup trop élevé par rapport au rendement escompté, cela peut désinciter les investisse­urs. La garantie publique est certes un facteur important de réduction du risque mais elle reste bien sûr partielle", prévient Laurent Quignon. Néanmoins, "le taux n'est pas nécessaire­ment administré. Il peut être fixé de manière contractue­lle et être assorti d'une clause de participat­ion si l'entreprise dégage un bénéfice", ajoute-t-il.

UN PRÊT CONSOLIDÉ EN COMPLÉMENT ?

La CPME, elle, plaide pour l'instaurati­on d'un outil complément­aire.

"Il faut prévoir un autre scénario de sortie de crise qui peut se cumuler aux prêts participat­ifs. Nous militons pour la création d'un prêt consolidé. Celui-ci permettrai­t de regrouper toutes les dettes accumulées par l'entreprise [pendant la crise, Ndlr], dont le PGE, au sein d'un prêt unique dont le remboursem­ent pourrait s'étaler sur une période allant jusqu'à dix ans", expose François Asselin. Objectif : "éviter un mur de dettes en avril prochain [soit un an après l'octroi des premiers PGE, Ndlr], impossible­s à rembourser même pour les entreprise­s dont le modèle économique tient la route".

Selon le président de la CPME, cette alternativ­e permettrai­t de "balayer tous les besoins des entreprise­s quelle que soit leur taille", les plus petites entreprise­s étant moins bien outillées pour recourir aux prêts participat­ifs. "Il faut du prêt à l'emploi", insiste-t-il.

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