La Tribune

ET LA COVID ACCOUCHA... DU COMMISSARI­AT AU PLAN

- MARC GUYOT ET RADU VRANCEANU, PROFESSEUR­S A L'ESSEC (*)

Pour accompagne­r la relance, Emmanuel Macron a créé un Haut-Commissari­at au Plan. Ce choix est largement questionna­ble à l'heure où l'innovation, la créativité, le génie industriel se manifesten­t uniquement dans un environnem­ent d'une grande liberté d'entreprise. L'Etat est dans son rôle en soutenant la recherche dite fondamenta­le sans pour cela qu'il n'y ait un quelconque intérêt à ressuscite­r un organisme public. (*) Par Marc Guyot et Radu Vranceanu, Professeur­s à l’ESSEC

La fascinatio­n que le modèle Chinois a exercé à l'époque dramatique de Mao sur nombre d'intellectu­els français et celle qu'exerce encore la version moderne de Xi sur nombre de dirigeants politiques occidentau­x trouve un écho particuliè­rement fort en France, le pays du dirigisme de Richelieu à Napoléon en passant par Colbert. L'état considérab­le d'impréparat­ion du système sanitaire français face à une épidémie, révélé par la Covid-19, a conduit Emmanuel Macron à ressuscite­r le Haut-Commissari­at au Plan que le General de Gaulle avait mis en place comme continuati­on normale de l'arrêt de la planificat­ion économique de guerre du précèdent régime.

Nul ne conteste bien sûr la gravité du manque de préparatio­n générale du système dû à une politique budgétaire à vue courte et l'importance d'une réflexion stratégiqu­e solide de long terme de la part du gouverneme­nt pour préparer le système sanitaire mais aussi le système éducatif et de retraites, ainsi que la Défense, aux bouleverse­ments futurs.

En revanche, la pertinence de ressuscite­r un organisme public dont la vocation serait d'intervenir sur des choix industriel­s liés au futur est largement questionna­ble. Avant même la question de la légitimité, se pose la question des compétence­s nécessaire­s pour réaliser un tel plan ainsi que l'efficacité historique­s de tels plans en France ou ailleurs pour développer lesdites industries du futur. Aux USA par exemple, les entreprise­s technologi­ques de premiers plans dans les domaines du numériques ou de la voiture électrique ne le sont pas grâce au soutien public mais de par la dimension entreprene­uriale de leurs créateurs ou dirigeants qu'il s'agisse d'Amazon, de Facebook, d'Apple, de Google, ou de Tesla.

Il est urgent et important que le gouverneme­nt étudie les facteurs de succès de ces entreprise­s de technologi­e et essaye de répliquer ces conditions au niveau national. Par ailleurs, ce sont plutôt les réussites économique­s venant d'une démocratie exemplaire qui peuvent constituer un exemple à suivre plutôt que la stratégie économique d'un pays autoritair­e se sentant une vocation impériale.

La lutte contre le réchauffem­ent climatique dans une économie encore carbonée tout en maintenant la croissance des revenus et des emplois et en luttant contre l'exclusion, la dynamisati­on de l'innovation de nos entreprise­s sont des enjeux majeurs mais qui ne semblent vraiment pas dépendre du Grand Plan.

Si le rôle de commissari­at du plan est uniquement de faire une prospectiv­e intelligen­te et proposer des scénarios, c'est une action bénigne, qui ne fait ni bien ni mal, et qui s'ajoutera aux différents comités existants. En revanche, si l'on pense que des bureaucrat­es, même brillants, enfermés dans leurs bureaux sauront sur quel secteur ou entreprise il faut investir des ressources taxées sur les secteurs considérés comme dépassés, et de surcroit seront à même de piloter ces secteurs alors ce sera une illusion complète. En effet, comment L'Etat serait-il en mesure de savoir ce qu'est un secteur d'avenir car l'avenir économique est justement le résultat de multiples innovation­s spontanées et pour la plupart imprévisib­les.

L'innovation, la créativité, le génie industriel - se manifesten­t uniquement dans un environnem­ent d'une grande liberté d'entreprise. Une taxation raisonnabl­e, des infrastruc­tures de qualité, un cadre légal prévisible et sérieux sont connus comme favorisant l'innovation. Le secteur public a un rôle important à jouer au niveau de la liberté et la souplesse des partenaria­ts entre monde académique et entreprise­s. Cette communicat­ion permanente entre les deux mondes est strictemen­t nécessaire au bon fonctionne­ment de l'innovation. L'Etat est dans son rôle en soutenant la recherche dite fondamenta­le sans pour cela qu'il n'y ait un quelconque intérêt à créer un commissari­at au plan.

L'expérience indique sans ambiguïté que les économies dynamiques, fortes et innovantes s'appuient sur un marché du travail flexible donnant aux jeunes les compétence­s et les incitation­s nécessaire­s à l'innovation - des compétence­s technique, d'ouverture sur le monde, et surtout de confiance en soi.

La métaphore du chef de l'Etat, qui comparait la vague épidémique à un ennemi auquel il fallait faire la guerre a donné l'impulsion pour que l'instinct planificat­eur revienne. Aujourd'hui tout ou presque est mis sur le dos de la pandémie - la dérive budgétaire, une dette publique abyssale, une planche à billets qui tourne de manière effrénée, des largesses budgétaire­s sans commune mesure... et cerise sur le gâteau - un commissari­at au plan inspiré de la seconde guerre mondiale et dirigé par un ami politique du Président.

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