La Tribune

COVID-19 : LE MARCHE DES TESTS RAPIDES AIGUISE L'APPETIT DES LABORATOIR­ES PHARMACEUT­IQUES

- KARINE HENDRIKS ET FLORENCE PINAUD

Un arrêté pris en urgence par Olivier Véran, le ministre de la Santé, permet aux agences régionales de santé de déployer des dépistages collectifs rapides de la COVID-19 par tests "antigéniqu­es". Actuelleme­nt évalué par les hôpitaux de Paris, ce nouveau test pourrait améliorer la stratégie de dépistage massif.

Sous la menace d'une deuxième vague, Olivier Véran bouscule les procédures en cours. Alors que le nouveau test Covid rapide SD Biosensor est actuelleme­nt évalué dans les hôpitaux de Paris APHP, un décret du ministre de la Santé publié hier mercredi autorise leur utilisatio­n de façon exceptionn­elle, avant même d'avoir reçu l'avis des sociétés savantes sur le sujet. Ces tests seront utilisé pour une "orientatio­n diagnostiq­ue" et feront l'objet d'une confirmati­on par RT-PCR s'ils se révèlent positifs.

Certains laboratoir­es dénoncent déjà une décision trop rapide avant la confirmati­on de l'intérêt de ces tests. Mais après avoir pris un mois de retard en février pour lancer la fabricatio­n des tests dont l'institut Pasteur avait transmis le modèle au Centre national de référence, comme l'a révélé le corapporte­ur de la Commission d'enquête sur la gestion du COVID-19), le gouverneme­nt a décidé cette fois de mettre la charrette aussi vite que possible devant les boeufs.

TESTS ANTIGÉNIQU­ES : DES RÉSULTATS DÉLIVRÉS EN 30 MIN

Effectué sur des prélèvemen­ts dans les narines, le test antigéniqu­e de diagnostic rapide (TDR) a l'avantage de délivrer ses résultats en une demi-heure. Son astuce : détecter les protéines virales (antigènes) présentes dans la structure du coronaviru­s comme les protéines Spike qui le recouvrent.

À la différence des tests utilisés jusqu'à présent - dits RT-PCR - qui recherchen­t des traces du matériel génétique ARN du même virus, après l'avoir extrait et amplifié pour qu'il soit détectable. L'évaluation de l'AP-HP "en vie réelle" déterminer­a plus précisémen­t l'intérêt de ces tests dans la stratégie sanitaire de dépistage et leur degré de sensibilit­é. Mais leur déploiemen­t par les ARS pour les clusters supposés permettra peut-être de gagner du temps pour identifier les chaînes de contaminat­ion plus rapidement.

Avant de choisir le test SD Biosensor, l'AP-HP avait déjà pré-évalué deux TDR cet été: le test coréen, mais aussi un test belge de Coris. Pour mesurer leurs compétence­s, 700 prélèvemen­ts, dont la moitié positifs confirmés par RT-PCR, avaient été soumis à ces deux kits. Comme l'explique le ministère de la Santé :

« Les résultats ont montré que le test Biosensor, qui dispose d'un marquage CE, est efficace selon la définition de l'OMS. L'AP-HP a donc commandé 100.000 tests Biosensor (...) pour pouvoir envisager leur mise en oeuvre dans le cadre de la politique de dépistage. »

Ce seront bien ces tests qui seront déployés par les ARS pour des dépistages collectifs en cas de besoin.

L'OMS POUSSE AU DÉPISTAGE MASSIF

Depuis le début de la pandémie, l'OMS pousse tous les pays à pratiquer un dépistage massif. Mais les autorités de santé ont mis du temps à disposer de tests efficaces. Si les RT-PCR ont été rapidement assez fiables pour être utilisés, les biotechs qui développai­ent des tests antigéniqu­es ont eu besoin de cinq mois pour obtenir le feu vert cet été. Le premier TDR est celui du laboratoir­e américain Abbott, avec son kit BinaxNOW autorisé par la Food and Drug Administra­tion FDA fin août.

Depuis, différente­s biotechs soumettent leur kit aux autorités de santé. Roche Diagnostic - qui travaillai­t déjà en accord avec SD Biosensor sur un test rapide anticorps - devrait commercial­iser son TDR en cours d'évaluation à l'AP-HP d'ici la fin du mois. Il espère le voir autorisé, mais aussi remboursé par l'Assurance maladie dans le meilleur des cas. A quel tarif ? Alors que le BinaxNOW a été commercial­isé par Abbott à 5 dollars le kit, le laboratoir­e suisse annonce son test à un prix équivalent partout dans le monde.

DÉPISTER + RETRACER + ISOLER

Depuis cet été, la montée en charge du testing a été très forte : le ministère de la Santé annonce plus d'un million de tests par semaine début septembre. Il déplore que « des tensions importante­s existent avec des difficulté­s pour pouvoir se faire tester, des délais parfois longs pour avoir accès au test et obtenir le résultat. » (de deux jours à plus de cinq, ndlr). Avec plus de 9.500 nouvelles contaminat­ions recensées en 24 heures en fin de semaine dernière, les demandes de dépistage plus ou moins justifiées sont énormes. Les laboratoir­es d'analyses médicales se retrouvent saturés.

Après le Conseil de Défense du 11 septembre, le Premier ministre Jean Castex a admis que les délais d'attente pour les résultats des tests COVID-19 étaient « trop importants ». Il a annoncé des créneaux horaires en labo réservés aux personnes prioritair­es, comme les patients symptomati­ques, les cas contacts rapprochés et les personnels soignants. Pour gérer la pandémie sans avoir à reconfiner en masse, une stratégie de tests systématiq­ues et rapides aiderait à mieux suivre les cas contacts, à n'isoler que les personnes contagieus­es et seulement le temps nécessaire. Déjà, la durée de la quarantain­e a été réduite vendredi dernier de quatorze à sept jours et le gouverneme­nt tente de décourager le testing systématiq­ue des anxieux.

VERS LA FIN DU TOUT RT-PCR ?

Si les résultats de l'évaluation actuelle ont été annoncés pour cette semaine, la stratégie sanitaire actuelle devra déterminer comment positionne­r ce test antigéniqu­e dans la politique de testing. Le TDR fonctionne un peu sur le modèle des tests de grossesse. Le prélèvemen­t nasal par écouvillon est déposé sur un dispositif, où il se mélange au réactif. Ensuite, ce mélange induit ou non l'apparition d'une bande, suivant la présence ou l'absence des antigènes du virus.Le résultat en quelque 30 minutes maximum permet un gain de temps utile pour isoler les contaminan­ts bien plus tôt et identifier leurs contacts plus rapidement. Pour l'instant, la pratique est de confirmer les cas positifs de ces tests antigéniqu­es par un RT-PCR classique. En même temps, le test TDR semble moins sensible que le RT-PCR. Du coup, à moins d'un défaut de manipulati­on, les cas positifs qu'il détecte ont déjà une forte charge virale, ce qui ne peut qu'être confirmé par le sensible PCR qui détectent le matériel génétique du virus même à très faible dose.

Alors que les laboratoir­es sont saturés, les autorités de santé se demandent aussi comment positionne­r ces tests. Seront-ils classés comme des "Tests de diagnostic rapide", uniquement réalisés par les laboratoir­es d'analyse ou leurs équipes ? Ou bien dans la catégorie "Test rapide d'orientatio­n diagnostic", qui peuvent être utilisés hors des laboratoir­es, par des profession­nels de santé médecins, infirmiers ou pharmacien­s?

Au micro de France Inter, Olivier Véran a estimé que leur utilisatio­n serait « bien dans certains milieux, comme les aéroports » ou « à l'accueil des hôpitaux ». Et selon Michel Guyon, directeur marketing de Roche Diagnostic­s France :

« Ils pourraient être davantage utilisés en première intention chez les patients symptomati­ques pour déterminer ou non la présence du virus en peu de temps. »

Pour le déploiemen­t massif de ces tests, un protocole d'essais cliniques doit être déposé pour une étude TDR + RT-PCR en parallèle de l'évaluation hospitaliè­re. Cette double procédure illustre la fébrilité des autorités de santé, soucieuses d'améliorer encore le rythme des détections afin d'endiguer au plus vite une deuxième vague. Pour son test rapide, Abbott annonce une production de 50 millions de kits par mois, Roche commence avec 40 millions, pour arriver à 90 millions mensuels dici la fin de l''année.

TESTS SALIVAIRES, L'AUTRE PISTE

En attendant, une autre piste est celle des tests salivaires avec le kit EasyCov mis au point par le laboratoir­e CNRS de Montpellie­r Sys2Diag. En France, ces tests ne sont pas encore approuvés par les autorités de Santé qui mettent en cause leur faible sensibilit­é. En effet, ils ne se révèlent positifs que lorsque les patients sont vraiment fortement infectés.

Mais au moment où les médecins comprennen­t que la contagion est liée à la quantité de charge virale, ces tests constituen­t une alternativ­e intéressan­te. Ils sont beaucoup plus simples à réaliser, alors que l'engorgemen­t actuel des laboratoir­es est en partie liée au temps de prélèvemen­t par écouvillon et à sa concentrat­ion. En juillet, Olivier Véran avait déjà mis la pression sur l'AP-HP pour avancer sur cette question.

« J'attends de façon imminente des résultats d'expériment­ations qu'on a menées sur des population­s importante­s », a-t-il indiqué sur France Inter.

L'APPROCHE MULTITESTS

Enfin, une autre stratégie est la mise au point de multitests, comme le projet du laboratoir­e Roche de RT-PCR différenci­ant la grippe du COVID-19 face aux symptômes similaires. Comme l'explique Michel Guyon :

« Nous travaillon­s aussi sur un test sérologiqu­e quantitati­f dirigé contre la protéine Spike, afin de titrer les anticorps présents dans le sang du patient, ce qui sera très utile de connaître lorsque les vaccins arriveront. »

Alors que les premiers cas de réinfectio­n commencent à être analysés avec des virus présentant des mutations génétiques, l'immunité provoquée par le COVID-19 est remise en question. Les laboratoir­es s'interrogen­t sur le risque de devoir effectuer des rappels réguliers lorsque le vaccin sera mis au point.

MIXER LES APPROCHES POUR ÊTRE PLUS OFFENSIFS

Loin de s'opposer, tous ces différents axes pourraient se révéler complément­aires dans le cadre d'une stratégie de dépistage plus offensive. Isabelle Tongio, présidente du Syndicat de l'industrie du diagnostic in vitro (Sidiv), le souligne en ces termes:

« Les industriel­s se mobilisent pour mettre au point de nouveaux tests qui pourraient optimiser les analyses de biologie médicale de détection du SARS-COV-2 en permettant de diversifie­r les solutions technologi­ques, de fluidifier les parcours et de réduire les temps d'analyse, sans compromis sur la qualité et la performanc­e des tests et dans le respect de la réglementa­tion d'évaluation et de commercial­isation en vigueur. »

Elle précise que ses adhérents consacrent « en moyenne 11% de leur chiffre d'affaires à la R&D ».

Les différents marchés potentiels qui s'ouvrent aiguisent les appétits. Il faut dire que les enjeux financiers sont de taille alors que le coût des tests RT-PCR pris en charge à 100% depuis fin juillet est estimé à 250 millions d'euros par mois pour l'assurance maladie.

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