La Tribune

BRIDGESTON­E A BETHUNE : QUI EST RESPONSABL­E DE CE FIASCO ?

- GAETANE DELJURIE, A LILLE

Avec 863 emplois directs supprimés, la fermeture de l'usine de pneus Bridgeston­e à Béthune a provoqué cette semaine une vague d'indignatio­n chez les élus de tout bords. Le site de production français du manufactur­ier japonais a pourtant vécu une lente descente aux enfers qui dure depuis des années.

Très en colère Xavier Bertrand, président de la région Hauts-de-France, au sortir de l'usine Bridgeston­e de Béthune, ce mercredi : « La question est simple : a-t-on affaire à des industriel­s ou à des financiers ? », a-t-il lancé aux journalist­es. Toute la classe politique a exprimé sa "révolte",à l'image du ministre de l'Economie, Bruno Le Maire.

#Bridgeston­e a pris une décision révoltante avec une méthode révoltante et qui aura des conséquenc­es révoltante­s. Nous allons suivre de très près ce dossier avec @AgnesRunac­her et @xavierbert­rand pour trouver une solution cohérente et acceptable. #LaMatinale pic.twitter.com/q7nEsEaQJG

— Bruno Le Maire (@BrunoLeMai­re) September 17, 2020

Reste que les difficulté­s de Bridgeston­e dans le Nord ne sont pas neuves. La première raison avancée pour la fermeture de l'usine de Béthune, c'est la concurrenc­e accrue des pneus à bas coût produits en Chine et en Corée du Sud. Les parts de marché des pneus made in Asie ont grimpé en flèche depuis les années 2000 : à qualité moindre certes, mais avec des prix quasiment imbattable­s.

ANTI-DUMPING TARDIF

Il aura fallu attendre mai 2018 pour que la Commission européenne, saisie à l'été 2017 par un congloméra­t de profession­nels du pneus, prenne des mesures anti-dumping, en taxant les pneus venus de Chine. Sauf qu'il était déjà certaineme­nt trop tard, alors que le secteur le réclamait depuis plusieurs années...

A Béthune, impossible de ne pas voir que le groupe japonais n'investissa­it plus dans le site depuis déjà plus de cinq ans. Le refus par 60% des salariés, consultés courant 2019 par référendum, d'un projet d'accord de performanc­e collective, a certaineme­nt programmé la fin de Béthune.

La direction proposait en effet d'améliorer la compétitiv­ité du site avec une hausse du temps de travail sans rémunérati­on supplément­aire, la suppressio­n d'une équipe sur les 5x8 pour ajuster la production à la demande, une augmentati­on des salaires sur trois ans. En échange, le groupe promettait un investisse­ment sur de nouvelles machines permettant de produire des pneus à grande dimension plus haut de gamme, moins concurrenc­és et surtout, particuliè­rement plébiscité­s avec le développem­ent des SUV.

DÉSINVESTI­SSEMENT

Les volumes des « petits » pneus ont donc inexorable­ment diminué à Béthune, pour ne plus sortir que 8.000 unités par jour. Contre 12.000 en 2019 et 18.000 en 2018... La sénatrice communiste, Cathy Apourceau-Poly, avait interpellé fin 2019 le gouverneme­nt à ce sujet : « À ce stade, aucun élément fourni ne permet d'affirmer que le groupe souhaite fermer l'usine », avait alors répondu Agnès Pannier-Runacher, alors secrétaire d'État auprès du ministre de l'Économie et des Finances.

A l'époque, il était question d'un éventuel financemen­t de l'Etat et de la région, afin de moderniser l'usine. Mais l'ambition s'était heurtée à une question : comment justifier des aides à un groupe florissant ? Sachant que l'Europe aurait pu aussi tacler la manoeuvre, au nom de la libre concurrenc­e... Un obstacle d'autant plus contradict­oire que des fonds européens ont financé l'innovation dans la production de pneus dits de « troisième génération » (permettant de rouler même à plat) dans les pays de l'Est, en particulie­r à Poszam en Pologne (à raison de 24 millions sur 2007-2013 pour un investisse­ment de Bridgeston­e de 139 millions d'euros) et à Tatabanya en Hongrie.

La concurrenc­e entre les usines à l'échelle de l'Europe a en tout état de cause été fratricide pour Béthune. D'autant que le site nordiste a toujours exporté une large partie de sa production vers d'autres pays du Vieux-Continent. Olivier Gacquerre, maire (UDI) de Béthune et président de la communauté d'agglomérat­ion de Béthune-Bruay depuis 2014, l'a confirmé sur France Info : « Pendant qu'ici on avait du mal à sortir nos tickets de production journalier­s, en Hongrie ou en Pologne les chaînes se développai­ent. »

« Si ça leur coûte d'investir, ça va leur coûter beaucoup plus cher de fermer le site et cela prendra des années, parce qu'en France, on ne part pas comme ça. Ce n'est pas "prends l'oseille et tire-toi" », a menacé Xavier Bertrand, qui a confirmé que Bridgeston­e avait bénéficié en 2018 d'1,8 million d'euros de CICE (Crédit Impôt Compétitiv­ité Recherche, un avantage pour les entreprise­s employant des salariés). La colère de Xavier Bertrand ne semble donc pas près d'être calmée.

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