La Tribune

OCEAN : LA PRESERVATI­ON DES RESSOURCES EST UN IMPERATIF AUTANT ECOLOGIQUE QU'ECONOMIQUE ET SOCIAL

- EDOUARD LE BART (*)

OPINION. Loin d'atteindre les Objectifs de Développem­ent Durable (ODD) de l'ONU, la situation mondiale de la pêche en 2020 est alarmante. L'ODD 14 sur la vie aquatique vise à mettre un terme à la surpêche d'ici la fin de l'année. Un objectif difficilem­ent atteignabl­e alors même que le phénomène continue d'augmenter. Par Edouard Le Bart, Directeur Europe du Sud et AMESA (Afrique, Moyen-Orient et Asie du Sud Est) au Marine Stewardshi­p Council (MSC) (*)

Pêcher en trop grandes quantités, à un rythme plus élevé que les capacités de renouvelle­ment des population­s de poissons, c'est ce que l'on appelle la surpêche. Ce phénomène est associé à d'autres désastres écologique­s comme la pêche illégale, la pêche fantôme, ou encore les prises accessoire­s qui accélèrent la destructio­n de la biodiversi­té marine. Sans surprise, la surpêche est telle qu'elle arrive à la deuxième place de ce qui préoccupe le plus les français pour la préservati­on des océans: 57% d'entre eux précisémen­t, juste après la pollution plastique (66%).

Ils ont raison de s'en inquiéter puisque selon le dernier rapport de la FAO (Organisati­on des Nations Unies pour l'Alimentati­on et l'Agricultur­e) sur la situation de la pêche, 34.2% des stocks sont surexploit­és contre 33.1% en 2016, soit trois fois plus qu'il y a 50 ans. Toutefois, cette donnée globale cache une réalité plus nuancée : dans certaines mers comme la Méditerran­ée, la situation est plus alarmante alors que dans d'autres régions du monde, les pêcheries s'améliorent. Les pêcheries certifiées MSC ont ainsi réalisé plus de 1600 améliorati­ons dans le monde entier au cours des deux dernières décennies. Par ailleurs, la surexploit­ation des population­s halieutiqu­es est généraleme­nt liée à une mauvaise gestion des pêcheries qui ne s'aligne pas avec les avis scientifiq­ues, mais aussi à une faible réglementa­tion - encore peu respectée par beaucoup - qui met en danger l'équilibre des écosystème­s marins.

Moins de deux tiers des stocks sont gérés durablemen­t, c'est encore trop peu. Les gouverneme­nts doivent faire preuve de prévoyance et appliquer rigoureuse­ment le code de conduite de la FAO pour une pêche responsabl­e, en axant des investisse­ments pour la mise en place et le renforceme­nt des capacités scientifiq­ues au niveau local, l'établissem­ent de mesures de gestion basées sur la science, et la répression de la pêche illégale.

LA PÊCHE ILLÉGALE : UN ENJEU POLITIQUE, ÉCOLOGIQUE ET HUMANITAIR­E

Les chiffres de la FAO ne prenant en compte que les déclaratio­ns officielle­s des Etats membres, on peut penser que la réalité de la surexploit­ation des stocks est pire. D'autant plus qu'il est très difficile de comptabili­ser les captures issues de la pêche illégale puisqu'elle est par définition illicite, non déclarée et non réglementé­e (INN).

Bien sûr, la pêche illégale contribue à la destructio­n de l'environnem­ent puisqu'elle n'est pas encadrée et ne respecte aucune loi de conservati­on de la nature. L'impact des engins de pêche utilisés n'est pas mesuré, les captures accessoire­s ne sont pas déclarées et les tailles ou quantités réglementa­ires ne sont pas respectées. La pêche illégale accélère non seulement la destructio­n de la biodiversi­té marine, mais met également en danger la sécurité alimentair­e et les conditions de vie des travailleu­rs dans le monde.

COMBATTRE LA FAIM DANS LE MONDE

Et justement, 3 milliards de personnes dépendent, pour bien se nourrir, du poisson et des produits de la mer qui représente­nt 20% de leur apport principal en protéines animales. Dans certains pays comme le Bangladesh, le Cambodge, la Gambie, le Ghana, l'Indonésie, la Sierra Leone ou encore le Sri Lanka, la dépendance au poisson comme apport en protéines est même supérieure à 50 %, selon le rapport de la FAO 2020. L'ODD n°2 qui vise à mettre un terme à la faim dans le monde peut encore être atteint d'ici 2030 si nous agissons dès maintenant et tous ensemble.

Bien que le végétarism­e et le flexitaris­me soient des choix alimentair­es louables à l'échelle individuel­le et dans les pays qui disposent de protéines végétales alternativ­es, il est essentiel de rappeler l'importance d'assurer aux population­s qui en dépendent des approvisio­nnements en poisson, une source de protéine sauvage de qualité dont l'empreinte carbone est plus faible que la viande. Pour ce faire, une gestion respectueu­se des ressources naturelles, plus d'éthique et d'équité au sein de l'industrie de la pêche est capitale.

Lorsque l'on sait que des communauté­s dans le monde dépendent du poisson comme moyen de subsistanc­e, il est d'autant plus choquant de savoir qu'un tiers des captures mondiales est gaspillé. En effet, on estime que le poisson est perdu ou gaspillé au cours de son parcours dans la chaîne d'approvisio­nnement (représenta­nt 35% des prises mondiales selon le rapport SOFIA de l'ONU en 2018), souvent longue et complexe. Réduire de moitié ce gaspillage d'ici 2030 fait partie des Objectifs de Développem­ent Durable de l'ONU.

Alors que ce gaspillage est évitable en mettant en place une chaîne logistique fiable et ininterrom­pue pour maintenir les produits de la mer dans le froid et dans de bonnes conditions d'hygiène, il est décevant de constater que ce sont souvent les pays les plus riches qui gaspillent le plus alors même qu'ils possèdent les infrastruc­tures les plus efficaces. De fait, la moitié du poisson en Amérique du Nord et en Océanie n'est jamais consommé !

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10% DE LA POPULATION MONDIALE DÉPEND DE LA PÊCHE POUR VIVRE

En France, on compte plus de 17.000 marins-pêcheurs, et dans le monde, ce nombre s'élève à 39 millions. En comptant les 20.5 millions d'aquaculteu­rs, le secteur primaire de la production marine s'élève à 59.5 millions de travailleu­rs. Côté emplois, on recense 200 à 250 millions de travailleu­rs dont la moitié sont des femmes. 10% de la population mondiale dépend des pêcheries pour vivre, principale­ment dans les pays en développem­ent qui pêchent à eux-seuls 50% des captures mondiales. C'est dire l'importance du secteur de la pêche à l'échelle mondiale.

Le développem­ent et la gestion de produits de la mer durables n'est pas qu'une affaire environnem­entale, c'est aussi un impératif économique et social. Ce n'est que lorsque les nations disposeron­t de pêcheries bien gérées et de population­s de poissons durables que leurs communauté­s prospérero­nt et utiliseron­t tout le potentiel de leurs ressources naturelles et humaines. Il est de l'intérêt de chaque pays de bien maintenir ses ressources naturelles, de protéger sa biodiversi­té et d'améliorer la sécurité alimentair­e et économique de ses population­s. C'est évidemment plus complexe dans les pays en développem­ent aux moyens limités, c'est pourquoi il est prioritair­e de les accompagne­r dans cette démarche, à un moment où la crise impacte fortement la capacité de ces pays à se redresser.

(*) Par Edouard Le Bart, Directeur Europe du Sud et AMESA (Afrique, Moyen-Orient et Asie du Sud Est) au Marine Stewardshi­p Council (MSC)

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