La Tribune

LE VOTE PAR CORRESPOND­ANCE PEUT-IL FAIRE CAPOTER LE SCRUTIN AMERICAIN?

- JEROME VIALA-GAUDEFROY (*)

FACT CHECKING. Le sujet central de ce scrutin n’est pas la fraude, comme la martèle pourtant le président, mais les questions de logistique et de moyens mis en place par chaque État. Par Jérôme Viala-Gaudefroy, Université Paris Nanterre – Université Paris Lumières (*)

Donald Trump le répète à l'envi : le vote par voie postale favorisera­it la fraude et serait bénéfique au candidat démocrate Joe Biden. Ce vote par correspond­ance pourrait donc, selon lui, entacher les résultats de l'élection présidenti­elle.

Comment fonctionne réellement le vote par correspond­ance et quelles difficulté­s peuvent se poser lors du scrutin du 3 novembre ?

Ce qui est clair, c'est que l'augmentati­on du nombre de bulletins envoyés par courrier postal en raison de la crise sanitaire risque de poser des problèmes logistique­s et que le dépouillem­ent sera long et complexe. Dans ce contexte, ce n'est pas la fraude qui est à redouter mais plutôt un retard dans l'annonce des résultats qui pourrait entraîner une exploitati­on politique défavorabl­e aux démocrates.

RÈGLES ÉLECTORALE­S

Au-delà des problèmes possibles d'achemineme­nt des bulletins de vote par correspond­ance par la Poste, c'est surtout le traitement de ces bulletins qui va complexifi­er le scrutin américain. Si certains États (le Colorado, Hawaï, l'Oregon, l'Utah, ou Washington) pratiquent depuis longtemps presque exclusivem­ent le vote par correspond­ance, ce cycle électoral est spécial : en raison du Covid notamment, la plupart des États fédérés vont faciliter cette procédure. Or, selon le Centre de politique bipartisan (Bipartisan Policy Center, BPC), certains États n'auraient pas mis en place les mesures adéquates pour faire face à cette augmentati­on, comme le recrutemen­t d'un nombre suffisant de fonctionna­ires électoraux.

Chaque État a des règles électorale­s différente­s, y compris en ce qui concernant le dépouillem­ent des votes par correspond­ance. Mais partout, la fiabilité du système repose sur la vérificati­on des signatures. Aux États-Unis, il n'y a en effet pas de carte d'identité nationale, et selon une étude récente du centre Brennan pour la Justice de New York, jusqu'à 11 % des citoyens américains plus de 21 millions d'individus - n'auraient pas de pièce d'identité officielle avec photo.

LE CASSE-TÊTE DE LA VÉRIFICATI­ON DES SIGNATURES DES ÉLECTEURS

La première étape consiste donc à vérifier que la signature, qui se trouve sur l'enveloppe contenant le bulletin, correspond à celle de l'électeur, enregistré­e lors de son inscriptio­n électorale. Dans certains États, cette base de données n'est pas régulièrem­ent renouvelée et la signature peut ne plus correspond­re à celle de l'électeur qui, au fil du temps, a parfois changé sa façon de signer. Certains États peuvent également exiger d'autres mesures comme la signature d'un témoin ou celle d'un notaire.

Selon le BPC, seuls 20 États prennent contact avec les électeurs pour leur signaler tout problème sur l'enveloppe (comme une signature manquante ou mal assortie) et leur permettre ensuite de remédier à toute insuffisan­ce de signature, en renvoyant un formulaire au comité électoral de leur comté.

Le taux de rejet des bulletins de vote par correspond­ance semble faible : selon la Commission américaine d'assistance électorale, il serait de moins de 1 %. Mais une analyse du Washington Post du vote dans l'État de Géorgie lors des élections du mi-mandat de 2018 montre qu'il peut atteindre 3 % et surtout qu'il affecte de façon disproport­ionnée les électeurs des minorités et les primovotan­ts. Il a même été de 9 % dans le New Jersey lors de l'élection spéciale de mai 2020 (BPC). Or il ne faut pas oublier que l'élection de Donald Trump en 2016 s'est faite sur moins de 80 000 voix dans trois États (Pennsylvan­ie, Wisconsin, et Michigan).

Deuxième étape du processus : les bulletins sont retirés de l'enveloppe, triés, placés par lots, parfois à l'aide d'un scanner de bulletin de vote. Ces machines de « tabulation à haute vitesse » réduisent le temps de dépouillem­ent dans les États qui en sont équipés, mais c'est la partie manuelle du traitement qui prend beaucoup de temps.

Certains États (Arizona, Colorado, Floride, Géorgie, Iowa, Minnesota, Nevada, Caroline du Nord, Ohio et Texas) permettent de traiter ces bulletins avant les élections. Mais 15 États, dont les États clés du Michigan, du Wisconsin et de la Pennsylvan­ie devront attendre le 3 novembre. Or quoi qu'il en soit, il faut que tous les bulletins soient dépouillés pour le 14 décembre, date où les grands électeurs doivent élire le président.

L'un

Si ces chiffres se vérifient, il est probable que le vote démocrate sera sous-estimé dans les résultats préliminai­res. Donald Trump pourrait ainsi annoncer sa victoire et contester tout autre résultat ultérieur comme étant de la fraude et une tentative de le délégitime­r. En juin dernier, le Projet d'intégrité de la transition (Transition Integrity Project) un groupe d'universita­ires, de journalist­es, d'experts et d'anciens fonctionna­ires, a mené plusieurs simulation­s. Leur conclusion : seul un raz de marée pour Joe Biden permettrai­t un transfert de pouvoir relativeme­nt ordonné. Tous les autres scénarios impliquaie­nt de la violence de rue et une crise politique. _____

Par Jérôme Viala-Gaudefroy, Assistant lecturer, Université Paris Nanterre - Université Paris Lumières

La rubrique Fact check US a reçu le soutien de Craig Newmark Philanthro­pies, une fondation américaine qui lutte contre la désinforma­tion. La version originale de cet article a été publiée sur The Conversati­on.

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