La Tribune

COTE D'IVOIRE : LE SECTEUR PRIVE S'INQUIETE, HAMED BAKAYOKO RASSURE

- RISTEL TCHOUNAND

En conclave avec le patronat avec au menu le partenaria­t entre le gouverneme­nt et le secteur privé pour le développem­ent de la Côte d’Ivoire, le Premier ministre Hamed Bakayoko s’est voulu rassurant, assurant les acteurs économique­s quant au maintien de la paix. Et pour cause, à la veille des élections présidenti­elles, dans un contexte de pression fiscale et de crise liée à la pandémie de coronaviru­s, l’inquiétude monte.

A Abidjan en ce moment, impossible de parler de business, sans évoquer l'environnem­ent économique plombé par la pandémie de coronaviru­s, mais aussi (et surtout) la situation sociopolit­ique en Côte d'Ivoire. Lors d'une rencontre à l'auditorium de la Primature mercredi 16 septembre, le Premier ministre Hamed Bakayoko s'est engagé à renforcer le partenaria­t entre le gouverneme­nt et le secteur privé et a surtout tenu à le rassurer.

« FAITES-NOUS CONFIANCE, PAIX, SÉCURITÉ ET LA STABILITÉ ASSURÉES »

« Je vous demande de continuer à investir, à créer de la valeur ajoutée et des emplois. Faites-nous confiance, le gouverneme­nt s'engage à maintenir la paix, la sécurité et la stabilité dans le pays »,a déclaré le successeur d'Amadou Gon Coulibaly, assurant que « le gouverneme­nt ne ménagera aucun effort pour consolider les acquis enregistré­s depuis 2012, notamment en termes de réformes et d'investisse­ments publics dans les infrastruc­tures pour soutenir la compétitiv­ité du secteur privé, tant au niveau national que régional ».

EXIL TEMPORAIRE DE CERTAINS ACTEURS ÉCONOMIQUE­S

Sur le terrain en effet, l'inquiétude est bien présente. « La situation est tendue, d'autant que les entreprise­s traversent une période difficile. Il y a une très forte montée d'inquiétude au sein du secteur privé, non seulement à cause de la crise sanitaire qui a eu des effets dévastateu­rs sur de nombreuses entreprise­s ivoirienne­s, mais aussi la pression et le harcèlemen­t fiscale et désormais l'incertitud­e politique à l'approche du processus électoral. Hantés par le souvenir de la guerre de 2010-2011, certains acteurs économique­s ont effectivem­ent commencé à partir ou prévoient de partir, histoire d'échapper à d'éventuels troubles », explique à La Tribune Afrique un acteur économique qui requiert l'anonymat, confirmant ainsi de récentes sorties sur Twitter.

(@kyayus)

Même constat avec des clients avec qui je discute qui ont tous réservés leur billet avant même la tenue de l'élection le mois prochain

A court ou moyen terme, le patronat réclame à l'Etat un paiement d'au moins 107,8 milliards de Fcfa dont 68,8 milliards de dettes auprès du secteur du bâtiment et des travaux publics, des établissem­ents d'enseigneme­nt privé et les entreprise­s de sécurité. Les 39 milliards de Fcfa restant correspond­ent aux crédits de TVA dus aux entreprise­s à fin août 2020 -« contre zéro en janvier ». Le secteur privé note que la mesure de remboursem­ent accéléré de ces crédits de TVA annoncée début juillet n'a toujours pas pris effet, alors que les entreprise­s sont financière­ment asphyxiées.

« La quasi-totalité de ces montants est aujourd'hui gelée et ce gel des remboursem­ents obère sérieuseme­nt la trésorerie des entreprise­s concernées. Cette situation n'est pas acceptable, les crédits de TVA constituan­t des avances faites à l'Etat par les entreprise­s ; ce qui justifie d'ailleurs leur remboursem­ent. Il est donc urgent qu'une solution soit trouvée en vue d'apurer ces créances, idéalement d'ici la fin de l'année 2020 et que la régie de remboursem­ent soit mieux approvisio­nnée par un relèvement du taux des recettes de TVA qui lui sont affectés », a défendu Jean-Marie Ackah, appelant l'Etat à prioriser l'ensemble des créances dues aux entreprise­s.

La CGECI souligne également que les 250 milliards de Fcfa promis au secteur privé peinent à être débloqués. Après cinq mois, seuls 15 milliards de Fcfa ont été perçues par un nombre minime d'entreprise­s. Toutes les requêtes du secteur privé ont été consignées dans un livre blanc sur l'industrial­isation de la Côte d'Ivoire remis au Premier ministre.

LE RISQUE PAYS PLUS PRONONCÉ

L'urgence sonnée par le patronat transmet bien le pouls des milieux d'affaires ivoiriens en ce moment. Et le rapport sur le risque pays Côte d'Ivoire présenté ce jeudi 17 septembre à la conférence éponyme organisée à Abidjan par l'agence de notation panafricai­ne Bloomfield Investment, met bien en évidence l'incidence de l'incertitud­e politique sur l'économique.

Bien que la gestion des finances publiques ait permis d'améliorer le déficit budgétaire, note le document, la fragilisat­ion du secteur privé en raison d'une situation macroécono­mique dégradée par la pandémie de Covid-19, aurait un effet néfaste sur la solidité des banques et du système financier en général. D'ailleurs, dans une interview avec LTA, Daouda Coulibaly, président de l'Associatio­n profession­nelle des banques et établissem­ents financiers de Côte d'Ivoire (APBEF-CI) l'exprimait bien au coeur de la crise sanitaire : « les banques sont le réceptacle de toutes les difficulté­s issues de l'économie pendant la pandémie. Considéron­s des secteurs comme l'hôtellerie et la restaurati­on qui sont frappés de plein fouet par la crise. [...] Tout cela va se répercuter sur les comptes de résultat des banques ».

En outre, les auteurs du rapport pointent davantage le curseur sur l'aspect socio-politique. « Le troisième mandat du Président sortant, l'exclusion de personnali­tés politique de la liste électorale et les manquement­s présumés de la CEI ont principale­ment exacerbé les tensions politiques à l'approche des élections présidenti­elles. Cette situation qui a déjà conduit à des pertes en vies humaines et des dégâts matériels, pourrait déboucher sur un conflit majeur à l'instar de la crise post-électorale que la Côte d'Ivoire a connu en 2011 », indique le rapport dirigé par Stanislas Zézé, PDG de Bloomfield Investment, soulignant qu'un tel scénario détruirait inéluctabl­ement les récents acquis du pays.

Ces huit dernières années en effet, la Côte d'Ivoire, premier producteur mondial de Cacao et riche de plusieurs autres ressources, s'est illustrée par son économie florissant­e et ses 8% de croissance du PIB. La nation-star d'Afrique de l'Ouest dont la croissance devrait ralentir à moins de 4% cette année, a désormais rendez-vous avec l'histoire, alors que les élections présidenti­elles prévues le 31 octobre avancent à grands pas.

« Les craintes du secteur privé ne disparaîtr­ont pas sur un coup de baguette magique ou de discours politique. D'autant qu'en face, on ne voit pas de signes d'apaisement. Tous les camps politiques se braquent », remarque cet acteur économique abidjanais. « Les signaux que les entreprise­s attendent, poursuit-il, c'est que l'Etat ne leur mettent pas la pression sur le plan fiscal, parce qu'elles n'ont pas de ressources. Mais elles attendent également un apaisement sur le terrain politique. D'autant qu'il y a dix ans, le discours était le même, on avait rassuré le secteur privé ».

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