La Tribune

FINCEN FILES : L'ARGENT « BLANCHI » PAR LES BANQUES MONDIALES IMPLIQUE (AUSSI) DES OLIGARQUES DANS 22 PAYS D'AFRIQUE

- RISTEL TCHOUNAND

Dévoilée par le Consortium internatio­nal des journalist­es d’investigat­ion (ICIJ), l’enquête « FinCEN Files » qui pointe la légèreté des banques internatio­nales sur les transactio­ns suspectes, secoue actuelleme­nt le monde financier. Sur 129 pays sources et/ou destinatai­res des transactio­ns suffisamme­nt retracées entre 2000 et 2017, 22 pays africains sont concernés, pour des opérations avoisinant les 2 milliards de dollars, ordonnées par des hommes et femmes d’affaires ou politiques, souvent sous le couvert de sociétés offshore.

Les banques internatio­nales auraient « blanchi » plus de 1,7 milliard de dollars en provenance et à destinatio­n de 22 pays d'Afrique au travers de 905 transactio­ns entre 2000 et 2017, selon l'enquête « FinCEN Files » dévoilée dimanche 20 septembre par le Consortium internatio­nal des journalist­es d'investigat­ion (ICIJ) et menée sur la base des milliers de fichiers secrets obtenus par le site Buzzfeed News. Ces documents -qui ont fuité du Réseau de répression des crimes financiers (FinCEN), un bureau du départemen­t du Trésor américain- lèvent le voile sur plus de 2 000 milliards de dollars de transactio­ns suspectes effectuées par les géants de la banque en provenance et à destinatio­n de plus de 170 pays à travers le monde, entre 1999 et 2017.

LA LISTE AFRICAINE POURRAIT ÊTRE PLUS LONGUE ET LES MONTANTS PLUS ÉLEVÉS

Cependant, uniquement 35 milliards de dollars d'opérations dans 129 pays affichant « des détails suffisants sur les banques d'origine et les banques bénéficiai­res » ont pu être rapportées avec précision, selon les auteurs de l'enquête. Les 22 pays africains apparaisse­nt dans cette catégorie. C'est dire que la liste africaine pourrait être plus longue et les sommes « blanchies » plus élevées si les 2000 milliards de transactio­ns pouvaient être complèteme­nt retracés. Néanmoins, la carte disponible a été « conçue pour illustrer comment l'argent potentiell­ement sale circule d'un pays à l'autre dans le monde, via des banques basées aux États-Unis », souligne l'ICIJ.

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L'argent blanchi, d'après la même source, proviendra­it de détourneme­nts de deniers publics, de trafic de drogue, d'extraction illégale d'or, de fraude fiscale et d'autres activités illégales initiées par des hommes et femmes d'affaires ou politiques, souvent sous le couvert de sociétés offshore. D'après l'ICIJ, les banques auraient elles-mêmes transféré ces données à FinCEN dès qu'elles suspectaie­nt le caractère douteux de l'origine des fonds. Cependant ces alertes n'intervenai­ent qu'une fois les transactio­ns réalisées, parfois des années plus tard, au gré de l'actualité autour de certains oligarques.

L'ILE MAURICE REÇOIT LA PALME, MAIS PAS QUE ...

Si l'Afrique du Sud et la Zambie ont été relativeme­nt régulières dans la pratique à l'échelle continenta­le avec respective­ment 173 et 159 transactio­ns sur la période, l'île Maurice est le pays africain qui comptabili­se les plus grosses transactio­ns suspectes passées par les comptes personnels ou d'entreprise­s chez des géants de la banque internatio­nale : près 763 millions de dollars reçus et plus de 300 millions de dollars envoyés sur la période.

Au Nord du Continent, l'Egypte est le seul pays représenté. Près de 470 000 dollars sont entrés dans le pays, tandis que plus de 10 millions de dollars en sont sortis dans le cadre de ces transactio­ns douteuses.

A l'Ouest du continent, le Nigeria (plus de 30 millions de dollars parti des comptes bancaires locaux) et la Côte d'Ivoire (plus de 6 millions dollars ont atterri dans des comptes bancaires locaux) ont été les plus actifs dans ces transactio­ns suspectes.

En Afrique centrale, le Congo Brazzavill­e se distingue avec 74 transactio­ns, pour plus de 4,2 millions de dollars sortis du pays.

ISABEL DOS SANTOS, LAMINE DIACK, ...CES AFRICAINS IDENTIFIÉS

Parmi les personnali­tés africaines ayant bénéficié du système bancaire légale pour faire passer de l'argent suspect, l'ICIJ a identifié l'Angolaise Isabel Dos Santos et son époux Sindika Dokolo. Entre 2006 et 2012, le couple aurait fait sortir de l'Angola 28,8 millions de dollars, grâce à l'interventi­on de 22 banques dont Standard Chartered Bank New York et JP Morgan Chase Bank Plus. Cette dernière aurait alerté FinCEN en 2013. Des révélation­s qui mettent une nouvelle pression sur ce couple déjà visé par la justice angolaise, portugaise et néerlandai­se, suite aux poursuites pour détourneme­nt de fonds publics en Angola sous la présidence de José Eduardo Dos Santos.

Le Sénégalais Lamine Diack, ex-patron de l'athlétisme mondial récemment condamné en France à quatre ans de prison pour corruption, serait passé par 51 banques pour des transactio­ns financière­s douteuses dépassant les 55 millions de dollars, entre 2007 et 2015. Citigroup l'a signalé aux autorités américaine­s.

L'homme d'affaires et politique nigérian Atiku Abubakar (vice-président du Nigéria de 1999 à 2007) et son épouse Rakaiyatu se seraient offerts les services de quatre banques dont Deutsche Bank et Habib Bank United New York (qui l'ont signalé à FinCEN) pour transférer plus de 24 millions de dollars dont plus de 1 million aurait servi à l'achat d'un appartemen­t à Dubaï.

Jean Pierre Bemba, ex-vice-président de la République démocratiq­ue du Congo (RDC) est également cité. Il aurait transféré plus de 429 000 dollars entre 2005 et 2015 via Western Union, en provenance et à destinatio­n de 15 pays dont la RDC, les Pays-Bas et la Grèce. Il est soupçonné d'avoir utilisé ces fonds pour « corrompre des témoins dans le cadre de son procès pour crimes de guerre ».

LES BANQUES SONT-ELLES (VRAIMENT) INNOCENTES?

Ces révélation­s secouent actuelleme­nt la finance mondiale. Le groupe allemand Deutsche Bank, qui prévoit une offensive sur l'Afrique, arrive en tête des banques actrices de ces opérations peu catholique­s, suivie de JP Morgan Chase. D'autres banques telles Standard Chartered Bank, HSBC, Société Générale, ... sont également concernées. Depuis lundi, elles dévissent en bourse, le cours de leurs actions ayant chuté pour certaines de plus de 5%.

Lire aussi : Banques : les géants américains en Afrique plus risquophob­es qu'on ne l'imaginait ?(1/2)

Après plusieurs scandales financiers au cours de ces dernières décennies dont les « Panamas Papers » et récemment les «LuandaLeak­s » (qui n'ont toutefois concerné que l'empire financier d'Isabel dos Santos et son époux), les FinCEN Files remettent au goût du jour la problémati­que de l'éthique au sein des grandes banques internatio­nales, celles-ci étant censées fonctionne­r sur la base de normes hyper strictes. Et même si l'enquête tend à insister sur l'ingéniosit­é des auteurs de ces transactio­ns douteuses pour en dissimuler l'origine, observateu­rs et analystes dans le monde pointent du doigt le laxisme des grandes banques qui peuvent être alertées dès que des clients insistent pour préserver une certaine opacité dans leurs transactio­ns.

Jusqu'ici, ni les personnali­tés africaines indexées, ni les Etats n'ont réagi. Mais ce nouveau scandale financier rouvre également le débat autour de la fuite illicite des capitaux et de la corruption en Afrique qui, récemment, fait l'objet de plusieurs initiative­s, lesquelles paraitraie­nt cependant insuffisan­tes face à l'ampleur de ces phénomènes.

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