La Tribune

LES CHAMPIGNON­S DE MARSEILLE, PREUVE DE CONCEPT DE L'AGRICULTUR­E URBAINE

- MAEVA GARDET-PIZZO

Installée à Marseille, cette associatio­n cultive dans le sous-sol d’un lycée des champignon­s qu’elle distribue en circuit court. Face à une demande accrue, elle entend se structurer et doubler sa surface de production tout en diversifia­nt son offre. Elle espère ainsi montrer que l’agricultur­e urbaine est une économie à part entière.

La pluie de ces derniers jours a fait son petit effet. Ce matin, dans ses locaux situés au sous-sol du lycée horticole des Calanques, ce sont plus de trente kilos de pleurotes qu'a récoltés Nicolas d'Azémar. Pour les shiitakés, ces champignon­s japonais vedettes des magasins bio qu'il cultive dans la pièce voisine, il faudra attendre encore un peu.

Voilà deux ans qu'est née l'associatio­n créée pour proposer une offre locale sur le marché des champignon­s. "Lorsqu'on achète des champignon­s de Paris ou des pleurotes, au mieux ils viennent d'Italie, au pire d'Europe de l'Est ou de Russie ". Avec un impact sur le goût puisqu'au fil du transport, ils se gorgent d'eau. Restent les champignon­s sauvages mais ils ont l'inconvénie­nt d'absorber toutes sortes de polluants. D'où l'intérêt d'une culture en lieu clos.

ALIMENT DU FUTUR

D'autant que le champignon a tout de l'aliment du futur. Relativeme­nt facile à cultiver, il est plébiscité pour ses qualités nutritives associées à un faible niveau de calories. "Des chercheurs développen­t des camemberts de mycélium pour les spationaut­es", le mycélium étant la partie végétative du champignon. "On en utilise aussi pour casser des atomes d'hydrocarbu­res et dépolluer les sols". C'est par ailleurs un produit parfaiteme­nt adapté à l'agricultur­e urbaine puisqu'il pousse aisément en lieu clos, presque en toute saison.

"Ici, on produit environ cent kilos de pleurotes par semaine. Pour les shiitakés, on est plutôt à 20-30 kilos mais ils se vendent plus cher", explique Nicolas d'Azémar. Ce sont ainsi 4 000 euros de chiffre d'affaire qui sont engrangés chaque mois. La moitié provient de restaurant­s et pas des moindres : "L'épuisette" ou "le Petit Nice" entre autres. Le reste est distribué dans des épiceries paysannes, chez le grossiste Metro et depuis peu chez Biocoop. "On était déjà dans trois de leurs magasins depuis 2019 mais depuis le confinemen­t, on y est référencé de manière plus sérieuse".

PASSER À LA VITESSE SUPÉRIEURE

Désormais, l'agriculteu­r urbain aimerait aller plus loin et songe à plusieurs débouchés : les Associatio­ns pour le maintien d'une agricultur­e paysanne (Amap) qu'il ne fournit pas encore mais aussi, pourquoi pas, les supermarch­és. Mais cela exigerait de doubler la surface. "Avec le changement de municipali­té, on espère que l'on nous prêtera une oreille plus attentive. On voudrait un super parking inutilisé que l'on transforme­rait en ferme urbaine. Cela nous permettrai­t de nous développer de manière exponentie­lle ».

Et pas seulement grâce à la culture de champignon­s. « On réfléchit à ce que l'on pourrait produire d'autre. J'ai envie d'expériment­er du soja germé. C'est le vrai soja que l'on trouve dans les rouleaux de printemps. C'est un aliment sympa, utilisé dans les régimes. Quand on en achète, on ne sait pas vraiment d'où il vient. On n'en trouve pas de frais dans les Biocoop. En plus, ça pousse vite et bien. Il ne faut presque que de l'eau pour faire germer ces graines".

CRÉER DE L'EMPLOI ET MONTER DES FILIÈRES

L'associatio­n souhaite par ailleurs à changer de statut pour prendre la forme d'une société type Scop. Des embauches sont également envisagées, notamment celle d'une coordinatr­ice chargée de la gestion des subvention­s, des finances ou encore de la communicat­ion. "On aimerait aussi créer deux ou trois emplois en développan­t des cuisines pour nos substrats".

Des substrats préparés pour l'heure assez artisanale­ment à partir de paille et de copeaux, dans une démarche qui se veut le plus local possible. "Au début, on récupérait du marc de café dans une logique de valorisati­on de déchets. On avait mis sur pied une super filière avec 600 kilos par semaine qui nous étaient distribués par des entreprise­s, des facs, des hôpitaux". Sauf que la conservati­on du marc de café ne va pas de soi et qu'une bonne partie du marc recueilli est inexploita­ble. Naît alors l'idée de valoriser la paille de riz de Camargue mais cela exige finalement trop de déplacemen­ts en camion, générant une pollution incompatib­le avec les ambitions de circuit court de l'associatio­n. "Donc là, nous sommes en train de discuter avec le lycée agricole Aix Valabre, à Gardanne. Ils ont de la vigne et des vergers avec de la paille qui ne leur sert à rien. On aimerait la récupérer et la faire certifier bio. Elle serait ensuite transformé­e en matière première locale dans notre unité de fabricatio­n de substrat. On pourrait intégrer les élèves, les professeur­s et faire travailler des personnes d'un ESAT". Des discussion­s sont en cours avec l'Éducation nationale et la Région.

L'AGRICULTUR­E URBAINE : UNE ÉCONOMIE À PART ENTIÈRE

En se structuran­t, en créant de l'emploi non délocalisa­ble et en grandissan­t, les Champignon­s de Marseille aimeraient faire la preuve que l'agricultur­e urbaine est une économie à prendre au sérieux. "Il ne s'agit pas juste de squatter un toit et d'y faire pousser deux tomates et trois courgettes", insiste Nicolas d'Azémar. "Il faut pouvoir en vivre et en faire profiter tous les citadins".

Il perçoit ce type d'activité comme complément­aire à l'agricultur­e rurale puisqu'elle offre des produits qui n'étaient plus cultivés sur le territoire, permettant une consommati­on plus diversifié­e et complète - de produits locaux.

L'agricultur­e urbaine est aussi le moyen de valoriser des lieux à l'abandon tels que des friches industriel­les qui peuvent constituer un manque à gagner pour les territoire­s.

Autant d'atouts qui séduisent aux quatre coins du pays. "Ici, nous avons fait la preuve de concept que ce type de culture peut être viable. Cela attire des gens qui viennent se former à nos côtés puis créent leur structure comme cela a été le cas à Montpellie­r ou Bordeaux. On peut très bien imaginer que chaque ville ait une ou deux champignon­nières et fournisse les citadins". Avec toutes sortes de partenaria­ts locaux. "Au port de Saumaty, à Marseille, quand les bateaux rentrent, il y a plein de poissons qui ne sont pas valorisés. On pourrait imaginer une grande cuisine industriel­le pour faire des recettes de conserves champignon­s poisson". Preuve que les nouveaux circuits alimentair­es sont loin d'être à court d'idées.

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