La Tribune

FORUM SANTE INNOVATION : COMMENT LA PANDEMIE DE COVID-19 STIMULE L'INNOVATION DANS LA SANTE

- JEAN-PHILIPPE DEJEAN

La pandémie de Covid-19 était la vedette de ce 4e Forum Santé Innovation organisé par La Tribune à Bordeaux. Entre le choc initial lié à la mondialisa­tion, l'apport des technologi­es numériques pour mieux protéger les patients et leurs limites chez les plus âgés, cette matinée a montré que la recherche ne désarme pas. Pas plus que les centres hospitalie­rs universita­ires, montés rapidement en première ligne.

L'impact de la pandémie de Covid-19 a frappé de plein fouet le monde de la santé, marqué au départ par l'effet de la réduction drastique du nombre de lits d'hospitalis­ation, et le manque de produits médicaux ou paramédica­ux de première nécessité pour faire face à cette pandémie de coronaviru­s (masques, gel hydroalcoo­lique, réactifs, respirateu­rs...). Un sujet qui a lancé la table ronde "De la crise aux opportunit­és" au centre de cette 4e édition du Forum Santé Innovation, organisée par La Tribune, qui s'est tenue ce mardi 22 septembre au Palais de la Bourse, à Bordeaux.

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Non seulement des produits manquaient mais la France, ancien leader de l'industrie pharmaceut­ique, ne pouvait plus les fabriquer. Le pays etait dépendant de l'étranger, en particulie­r de l'Inde et de la Chine pour certaines fourniture­s pharmaceut­iques ou parapharma­ceutiques, et tout le monde pouvait le voir. Le temps ne s'est pourtant pas arrêté à ce stade initial, à cette crise dans la crise, et la filière santé a réussi à faire face, appuyée par une efficace méthode féodale de contention de l'épidémie : le confinemen­t.

LA RÉGION RESTE UN ÉCHELON PERTINENT POUR RELOCALISE­R

"La crise du Covid-19 a révélé, en l'exacerbant, notre situation de dépendance vis-à-vis de pays étrangers, dans le cadre de la mondialisa­tion. Cette dépendance s'est manifestée pendant la crise du Covid-19 lors de ruptures majeures survenues dans la chaine d'approvisio­nnement, en particulie­r en masques et réactifs pour les tests, etc. Pourtant ces ruptures ne sont pas nouvelles, elles sont devenues récurrente­s depuis des années et illustrent le résultat de quarante ans de mondialisa­tion", a recadré en substance l'économiste Marie Coris, maître de conférence­s en économie à l'Université de Bordeaux et membre du Groupe de recherche en économie théorique et appliquée (Gretha), laboratoir­e commun à l'Université de Bordeaux et au CNRS au cours du Forum.

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Marie Coris (crédits : Agence APPA)

La chercheuse a ensuite présenté les options qui se présentent : de la relocalisa­tion en France des activités - ce qui suppose une compensati­on financière directe ou indirecte des entreprise­s par l'Etat -, à la redéfiniti­on de la stratégie européenne, rendue hypothétiq­ue par le manque d'harmonisat­ion réglementa­ire et philosophi­que entre les Etats membres. Dans ce contexte Marie Coris a estimé que la Région est un échelon pertinent, entre Union européenne et l'Etat, en particulie­r à cause de l'effet de proximité régional et de l'importance de cette dimension dans la gestion de la crise sanitaire.

POUR FABRIQUER DES MOLÉCULES IL FAUT DES SITES CLASSÉS SEVESO

Alors qu'une deuxième vague de contaminat­ion semble se dessiner en cette fin d'été 2020, le marché de la santé reprend ses marques. Mais les enjeux son complexes et la relocalisa­tion de la production de médicament­s, qui relève de la chimie, ne coule pas de source.

"La fabricatio­n de molécules, sur laquelle repose l'industrie pharmaceut­ique, c'est de la chimie lourde, qui exige la création de sites classés Seveso. Mais qui voudrait d'un site Seveso près de chez lui ?", a ainsi questionné Françoise Jeanson, médecin coordinate­ur Ehpad, conseillèr­e régionale de Nouvelle-Aquitaine déléguée à la santé et à la silver économie.

Françoise Jeanson (crédits : Agence APPA)

La praticienn­e est revenue sur les écarts de prix existant dans le monde pour les médicament­s.

"Prenez la situation du laboratoir­e Upsa à Agen, ça fait des années que le prix de leurs médicament­s baisse, baisse, baisse", a souligné l'élue en guise d'illustrati­on des écarts de compétitiv­ité entre pays.

LES TABLETTES NUMÉRIQUES NE FERONT JAMAIS DE MIRACLE

Revenant sur l'interventi­on de Nicolas Babin (MirambeauA­ppCare), en ouverture du Forum, qui a mis en avant l'énorme potentiel de communicat­ion de la technologi­e 5G et de ses applicatio­ns dans la santé, Françoise Jeanson s'est livrée à un recadrage sans fioriture.

"Quand j'écoutais Nicolas Babin, je rêvais que je rêvais. Concernant les téléconsul­tations pendant le confinemen­t j'ai envie de rappeler que les matériels ne sont pas compatible­s et qu'il faut aussi former les médecins à ces technologi­es, car beaucoup ne savent pas se connecter ! Sans compter que la 5G c'est très beau, mais qu'il ne faudrait pas oublier que la fibre optique n'est pas encore déployée dans tout le départemen­t, où on fonctionne encore à la 3 ou à la 4G. C'est le type d'écart entre réalité et innovation que l'on constate en Ehpad", a déroulé Françoise Jeanson.

Elle a ensuite poursuivi dans le détail, pour souligner qu'une personne de 95 ans atteinte de la maladie de Parkinson, comme il en existe dans les Ehpad, ne peut pas se servir seule d'une tablette numérique pour communique­r avec sa famille. Comme il y a de nombreuses personnes âgées dépendante­s, il faut beaucoup d'accompagna­nts pour les aider. Une donnée humaine incompress­ible.

DES SOLUTIONS NUMÉRIQUES POUR AIDER À SUIVRE LES PATIENTS

"Betterise Healthcare travaille beaucoup avec le CHU de Bordeaux. Avec du télé-suivi dans les maladies chroniques, qui nécessiten­t énormément d'e-santé, en appui des soignants, car les patients ont vite fait de se retrouver en déshérence. En e-santé nous fabriquons un grand nombre de dispositif­s médicaux numériques d'accompagne­ment à distance, avec par exemple des solutions qui permettent de détecter les rechutes, les complicati­ons, les toxicités thérapeuti­ques", a expliqué Paul-Louis Belletante, président et cofondateu­r de l'entreprise fondée en 2013 à Biarritz.

Paul-Louis Belletante (crédits : Agence APPA)

Ce dernier a complété en indiquant que Betterise intervient aussi en formation thérapeuti­que. Avec le choc du Covid-19, et pour éviter de laisser les patients à l'abandon, la startup a développé la téléconsul­tation dans des proportion­s inédites. Comme le souligne Pierre-Louis Belletante, la crise du Covid-19 a été une formidable occasion de développem­ent, avec aussi des effets pervers du type "Far West" : des tas d'opportunis­tes peu scrupuleux ayant essayé de profiter de l'occasion sans être préparés pour.

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UN GROS TRAVAIL SUR PAILLASSE POUR COINCER LE VIRUS

A la suite de l'appel à projet lancé par la DGA (Direction générale à l'armement) dans le cadre de la lutte contre la pandémie de Covid-19, la société B Cell Design, à Limoges, travaille sur la mise au point d'un test sérologiqu­e innovant permettant d'améliorer l'interpréta­tion des résultats, grâce à une solution durable. Ce premier volet est complété par un second encore plus stupéfiant puisqu'il va permettre de dire à quelle partie du virus correspond l'apparition de tel anticorps !

"Nous ne sommes pas en e-santé, nous travaillon­s sur la paillasse, pas avec une intelligen­ce artificiel­le. Nous avons développé des tests d'anticorps pour plusieurs maladies infectieus­es, comme la dengue. Nous voulons aller plus loin avec les tests sérologiqu­es. Nous voulons pouvoir identifier quelle partie du virus correspond à tel anticorps. Et voir si le virus est encore actif face aux anticorps" éclaire Gaël Champier, directeur général de B Cell Design.

L'interventi­on vidéo de Tanya Aydenian (crédits : Agence APPA)

"Ce qui était original c'est que pour la mise en oeuvre de ces solutions nous étions tous autour de la table : l'établissem­ent de santé, le fournisseu­r de la solution et l'acteur qui soutient l'opération", resitue Tanya Aydenian. Au bout de trois mois, cette mobilisati­on se traduit par le soutien a plusieurs dizaines de projets, qui entrent tous dans la stratégie de lutte contre la pandémie de Covid-19 définie au départ.

LE CHU DE BORDEAUX S'EST ADAPTÉ RAPIDEMENT AU CHOC

Yann Bubien, le directeur général du CHU de Bordeaux est intervenu pour conclure cette 4e édition du Forum Santé Innovation, placée cette année sous l'auspice d'une pandémie virale hors norme et même sans précédent depuis la Première guerre mondiale. Devenu lui-même cas-contact, il n'a pas pu participer à la table ronde et s'est exprimé par visioconfé­rence. Cette pandémie, qui a fait de 2020 une année extraordin­aire, comme l'a souligné le directeur général, sur les plans sanitaire, social et économique était ainsi bien présente.

La deuxième vague de la pandémie qui est en train d'arriver à Bordeaux, en Gironde, et remet les CHU (centres hospitalie­rs universita­ires) en première ligne, a rappelé Yann Bubien. Le directeur général a souligné à quel point ces vaisseaux amiraux de la santé avaient été capables de faire preuve de réactivité, d'adaptabili­té et aussi de générosité. Sachant que le premier patient atteint par le Covid-19 en France, un Bordelais de retour de Wuhan, a été hospitalis­é à Bordeaux le 24 janvier 2020.

"Cela a été une période que je n'avais jamais vu dans le monde de la santé, domaine où je travaille depuis vingt ans, j'avais jamais vu ça", a souligné le directeur général, qui a rappelé l'ampleur de la coopératio­n, avec les établissem­ents publics et privés, la médecine de ville, et la vitesse à la quelle le CHU a réussi à s'adapter au choc.

Autant dire que Yann Bubien est déjà dans la deuxième vague.

L'interventi­on en vidéo de Yann Bubien (crédits : Agence APPA).

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