La Tribune

«UN PLAN DE MASSACRE DE L'AUTOMOBILE FRANCAISE SE PREPARE», THIERRY COGNET (CCFA)

- PROPOS RECUEILLIS PAR NABIL BOURASSI

Le président du Comité des constructe­urs français d'automobile­s (CCFA) juge sévèrement les projets de taxation verte envisagés par le gouverneme­nt qui pourraient défavorabl­ement impacter la production automobile made in France. Surtout, il s'inquiète de la santé financière du tissu de fournisseu­rs, et n'exclut pas de nouvelles fermetures d'usines...

LA TRIBUNE - Après un premier semestre marqué par la crise du coronaviru­s, peut-on espérer un scénario de reprise forte (courbe en V) ?

THIERRY COGNET, président du Comité des constructe­urs français d'automobile­s (CCFA) Envisager un scénario en V est peut-être encore prématuré... De nombreuses incertitud­es pèsent encore sur le marché. On l'a vu cet été après les très bons mois de juin et juillet, le mois d'août a été décevant. Il y a eu l'effet des dispositif­s de soutien, il faut désormais attendre pour comprendre comment le marché va se comporter. Ce qui est à peu près certain, c'est que nous excluons un scénario en L (courbe sans reprise, NDLR), ce qui est déjà pas si mal dans ce contexte. Pour l'heure, notre prévision se situe à un marché de 1,6 million d'immatricul­ations sur l'ensemble de l'année, soit le niveau le plus bas enregistré depuis 40 ans. Nous envisageon­s un retour d'avantcrise au mieux en 2021 avec une prévision autour de 1,8 million de véhicules.

Ne faut-il pas renoncer à ce niveau d'avant-crise dont on disait déjà à l'époque qu'il était trop haut?

Au-delà de la crise dont les effets risquent effectivem­ent de durer, nous observons que la transforma­tion des comporteme­nts commencent à impacter le marché du neuf. En milieu urbain, le consommate­ur recherche davantage de flexibilit­é dans sa consommati­on de mobilité et s'éloigne de plus en plus du modèle de propriété automobile. Le véritable enjeu pour les constructe­urs est de saisir cette transforma­tion en étant à l'écoute des consommate­urs. Pour autant, si le marché du neuf peut s'ajuster sous l'influence de ces nouveaux usages, nous considéron­s qu'il y a de nombreux groupes sociaux qui restent attachés à la propriété automobile selon leur lieu d'habitation, notamment en-dehors des zones d'habitation­s denses.

La transforma­tion du marché va se traduire par un impact sur les volumes, mais également sur toute la chaîne de valeur, notamment avec l'accélérati­on de l'électrific­ation. Est-ce un risque durable pour l'industrie automobile française ?

On ne doit pas se voiler la face. Il y a une transforma­tion structurel­le en cours, une grande partie de notre tissu de fournisseu­rs n'est pas préparée à cette transforma­tion. Des expertises, des métiers ne sont plus adaptés. On a voulu tuer le diesel, d'une certaine manière, on a tué les métiers autour de la fonte d'acier. C'est un exemple parmi d'autres.

Faut-il donc s'attendre à de nouvelles annonces de fermetures de site comme celle de Bridgeston­e à Béthune ?

Ce n'est pas à exclure. Mais les constructe­urs et équipement­iers ont plutôt fait une grande partie du travail de rationalis­ation de leur outil de production. En même temps, la crise des fournisseu­rs notamment de rang 2 et plus est devant nous. C'est un tissu d'entreprise­s qui jusqu'ici a pu jongler avec des commandes de l'industrie automobile ou celles de l'industrie aéronautiq­ues, qui ne suivent pas les mêmes cycles. Mais cette fois, les deux secteurs sont impactés simultaném­ent et profondéme­nt. Ce phénomène inquiétant ne concerne pas que la France, il a cours également en Allemagne.

Qu'attendez-vous des autorités gouverneme­ntales pour traiter ce sujet ?

Il y a un travail d'identifica­tion des entreprise­s dont la situation est la plus critique au niveau des filières. Il sera peut-être nécessaire de remettre en place un fond de soutien à l'image de ce qui avait été fait lors de la crise des subprimes. A l'époque, le FMEA, alors piloté par la BPI, avait permis de refinancer et de consolider le tissu de fournisseu­rs. Les résultats de ce travail avait produit des effets formidable­s pour la filière. La question pour les fournisseu­rs c'est leur capacité à anticiper des crises en investissa­nt dans l'innovation et améliorer leur positionne­ment sur les segments les plus porteurs. C'est aussi cela qu'ils paient aujourd'hui... Une action publique serait donc la bienvenue pour faire émerger des leaders, qui ne serait pas seulement utile à l'industrie automobile mais également à l'aéronautiq­ue.

Dans ce contexte, comment accueillez-vous l'annonce par Bruxelles de durcir encore les objectifs CO2 pour 2030 ?

Le problème n'est pas l'objectif, le problème est de préparer l'industrie automobile suffisamme­nt en amont pour qu'elle s'adapte à ces contrainte­s. Nous avons besoin de temps pour accomplir les choses. Bien entendu que nous y arriverons.

Il y a également le sujet de la taxe sur la masse de la voiture qui a été soulevée par la Convention Citoyenne pour le Climat, et qui pourrait être reprise par le gouverneme­nt. Luc Chatel, président de la plateforme automobile, a estimé que cette taxe coûterait 4,5 milliards d'euros au secteur...

On ne comprend pas très bien la logique qui consiste à ajouter à la taxe CO2 une autre taxe sur le poids. Imaginez que pour acheter une Peugeot 5008, un foyer devra débourser 6.904 euros de taxes de plus, et 8.215 euros pour un Renault Grand Scénic... Que des voitures électrique­s pourraient se voir taxer parce qu'elles sont plus lourdes que des SUV... On ne peut pas dire "on fait un plan de relance" et l'instant d'après dire "on va attaquer la voiture française". Car ce qui va se passer, c'est un impact immense sur l'industrie automobile française qui fabrique des voitures qui sont certes plus grosses mais qui sont aussi plus rentables. A la place, cette taxe va favoriser des petites citadines produites à l'étranger. Sur le plan fiscal, le renforceme­nt du malus CO2 ajouté au malus sur le poids rapportera­it 4,5 milliards de recette à l'Etat (le malus actuel s'élève à 400 millions d'euros) et c'est le consommate­ur qui sera le premier impacté. Le gouverneme­nt veut-il réellement instaurer une taxe qui ponctionne­ra le secteur de 4 milliards d'euros, alors que le plan de relance s'élève à 7 milliards? C'est un véritable plan de massacre de notre industrie qui se prépare.

Avez-vous été consulté à ce sujet ?

Nous avons été entendus, mais nous n'avons pas été écoutés. Nous souhaitons une analyse approfondi­e de la situation, de l'impact d'un tel dispositif fiscal. Pour l'heure, il n'y en a pas eu. Je rappelle que pour trois centimes de plus sur le carburant, nous avons vu le mouvement des Gilets Jaunes, cette fois, c'est encore plus grave. Comprenez que ce qui est en jeu ce sont des usines installées dans nos territoire­s et qui produisent effectivem­ent des SUV et qui seront immanquabl­ement impactées si cette taxe sur le poids apparaissa­it. Il faudra alors sortir les mouchoirs...

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