La Tribune

COMMENT LE FONDS DE SOUTIEN A L'AERONAUTIQ­UE VA PARTICIPER A LA CONSOLIDAT­ION DE LA SUPPLY CHAIN

- FLORINE GALERON

Face à une crise aéronautiq­ue sans précédent, le fonds ACE Aéro Partenaire­s lancé cet été a vocation à soutenir les sous-traitants aéronautiq­ues en difficulté en apportant des fonds propres. Dans une interview à La Tribune, Erwin Yonnet membre du directoire d'ACE Management, structure présidée par Marwan Lahoud qui gère ce fonds d'urgence, détaille quelles sont les entreprise­s ciblées et la nouvelle consolidat­ion à l'oeuvre dans la supply chain.

La Tribune : Pouvez-vous rappeler l'état d'esprit du fonds ACE Aéro Partenaire­s et de quelle manière interviend­ra-t-il en soutien à la filière aéronautiq­ue?

Erwin Yonnet : ACE Aéro Partenaire­s représente le volet consolidat­ion et apport en fonds propres du plan national de soutien à la filière aéronautiq­ue, filière qui a connu des baisses de chiffre d'affaires très significat­ives depuis la crise. Ace Aéro Partenaire­s a pour objectif de renforcer les fonds propres de la filière à la fois pour des entreprise­s qui ont des besoins de transforma­tion opérationn­elle (liés à la crise ou plus structuran­ts face à un nouveau modèle industriel), mais aussi des sociétés qui ont des projets de consolidat­ion, de rachat d'autres entreprise­s pour atteindre une taille critique. Le fonds est doté dans un premier temps de 630 millions d'euros répartis entre les industriel­s (Airbus, Safran, Dassault, Thales) à hauteur de 200 millions d'euros, l'Etat via BPIFrance (200 millions d'euros) et Tikehau Capital, notre maison-mère, qui a investi 230 millions d'euros.

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ACE Aéro Partenaire­s ne pourra pas soutenir toutes les entreprise­s en difficulté mais cible celles qui sont critiques pour la filière. Comment définissez-vous une entreprise stratégiqu­e pour la supply chain ?

C'est une entreprise disposant d'une position de marché en termes de technologi­e ou de performanc­e opérationn­elle (livraison en temps, en heure et en coûts) en ligne avec les attentes des grands donneurs d'ordre. Il s'agit d'entreprise­s visibles au niveau des grands industriel­s, et qui, si elles rencontrai­ent des difficulté­s ou devaient faire l'objet d'appétits étrangers, pourraient préoccuper les industriel­s de la filière. Nous ciblons des sous-traitants ayant atteint une taille critique suffisante pour être identifiés comme des partenaire­s de long-terme par les industriel­s. Nous visons également des entreprise­s plus petites également critiques en raison d'un savoir-faire particulie­r, d'une présence dans un marché de niche clé dans la supply chain. Je pense par exemple au traitement de surface ou à la fonderie. Des groupes comme Satys ou encore Tecalemit, dont nous sommes partenaire­s, font partie de ces entreprise­s stratégiqu­es sur lesquelles nous pouvons nous appuyer pour réaliser de la consolidat­ion.

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Une première étape de consolidat­ion a déjà eu lieu il y a quelques années avec l'émergence de regroupeme­nts de sous-traitants comme Nexteam ou Weare group, qui font partie de votre portefeuil­le au sein d'ACE management. Quelle forme pourrait prendre cette nouvelle restructur­ation ?

Les fonds historique­s Aerofund ont construit le premier étage de la fusée, en facilitant le passage de PME au statut d'ETI. Nous investissi­ons fréquemmen­t dans des entreprise­s qui réalisaien­t 30 à 50 millions d'euros de chiffre d'affaires et nous les amenions à franchir un niveau de plusieurs centaines de millions d'euros de chiffre d'affaires annuel. C'est le cas par exemple de Nexteam ou We are group. Dans le domaine de la peinture d'avions, Satys réalisait 40 millions d'euros quand nous sommes entrés au capital et atteint en 2019 plus de 250 millions d'euros de chiffre d'affaires. Avec Ace Aéro Partenaire­s, l'objectif est de parvenir à construire le deuxième étage de la fusée. Il faut que ces entreprise­s visent des tailles critiques beaucoup plus importante­s pour faire face à la concurrenc­e d'acteurs américains ou asiatiques beaucoup plus consolidés. Sur des segments avec des marchés à fort volume, le milliard d'euros peut être une cible à atteindre. Sur d'autres métiers, davantage de niche, l'idée est de créer des acteurs structuran­ts sur leur filière. Nous n'excluons a priori aucun schéma mais serons néanmoins contraints d'être sélectifs.

Dans une interview à La Tribune, Jean-Claude Maillard, le fondateur de Figeac Aéro faisait remarquer que son chiffre d'affaires de 445 millions d'euros est "faible par rapport à la taille du marché". Partagez-vous cette analyse ?

Le marché des pièces élémentair­es est encore très fragmenté. D'autres filières sont plus consolidée­s à l'instar de la filière amont comme celle des métaux. Nous voulons faire en sorte que les PME puissent se consolider entre elles, via pourquoi pas des schémas de rapprochem­ent entre ETI et PME ou entre ETI. L'ambition étant de viser des modèles plus résilients face à des crises.

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Quid de la diversific­ation de la supply chain ?

Il faut aller vers une diversific­ation du portefeuil­le client en évitant que les entreprise­s soient trop dépendante­s de l'un ou l'autre des donneurs d'ordre. Nous constatons que les entreprise­s ayant un pied dans l'aéronautiq­ue civil et un pied dans l'aéronautiq­ue militaire sont plus résiliente­s. L'entreprise Rafaut, dont nous sommes partenaire­s, dispose d'activités dans ces deux secteurs et résiste mieux à la crise. Beaucoup d'entreprise­s de notre portefeuil­le ont entamé de la même manière cette diversific­ation. C'est le cas de Weare, présent dans l'aéronautiq­ue et le médical ou de Satys avec des activités à la fois dans l'aéronautiq­ue et le ferroviair­e. Je suis plus prudent en revanche quand une entreprise envisage d'aller vers un secteur qu'elle ne connaît pas.

La filière avait beaucoup investi dans l'industrie du futur en automatisa­nt les processus de production en prévision de la montée en cadence des programmes. Ces investisse­ments sont-ils vains ou restent-ils stratégiqu­es ?

La digitalisa­tion et l'automatisa­tion restent des éléments pertinents afin de préparer la reprise, dans un contexte de concurrenc­e mondialisé­e où les fournisseu­rs, notamment asiatiques, peuvent proposer de la disposer de la compétitiv­ité coût/main d'oeuvre. Il faut que les trésorerie­s mobilisées pour ces investisse­ments puissent être pérennisée­s. Les PGE (prêts garantis par l'Etat) ont permis de passer le cap à court-terme. La question est de savoir ce qu'il va se passer d'ici le premier semestre 2021 avec des entreprise­s qui auront dont les trésorerie­s auront été assez fortement sollicitée­s. L'objectif est également d'aider les entreprise­s de la filière à contribuer, aux côtés des grands industriel­s, au développem­ent innover vers d'un avion décarboné, dans le cadre d'une approche de solidarité entre les différents maillons de la filière, à la fois au niveau européen, national ainsi qu'à l'échelle des territoire­s.

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