La Tribune

TAMBALABS OU QUAND LA PHYTOTHERA­PIE ANCESTRALE EPOUSE LES BIOTECHNOL­OGIES

- MAEVA GARDET-PIZZO

Installée à Aix-en-Provence, cette startup développe des biotechnol­ogies vertes à base de plantes. Pour son fondateur, il s’agit de valoriser l’art de la phytothéra­pie pratiqué depuis des génération­s par sa famille et d’en faire profiter le plus grand nombre. Il s’agit aussi d’offrir de nouvelles ressources aux population­s du Sud, là où poussent ces plantes.

Fraîchemen­t plantée sur les terres du Technopôle de l'Arbois à Aix-en-Provence, cette jeune pousse d'à peine un an cache d'imposantes racines.

Tambalabs est en effet le fruit d'une longue histoire familiale qui commence au sud-est du Sénégal, à la frontière du Mali. Doudou Tamba, le fondateur de la startup, est issu d'une longue lignée de phytothéra­peutes qui a conseillé plusieurs souverains de l'Empire Mandigue ou Empire du Mali. Empire le plus prospère d'Afrique de l'Est, il connaît son apogée au XIVème siècle avant de décliner le siècle suivant. Les Tamba perdent alors leurs privilèges et officient comme phytothéra­peutes, transmetta­nt de génération en génération leur connaissan­ce des plantes et des recettes associées.

Un héritage cher à Boubou Tamba qui souhaite le valoriser grâce aux lumières de la science. C'est ce qui le conduit à suivre des études en pharmacie, au Sénégal puis en France.

Au fil de ses investigat­ions, ses intuitions se confirment : "toutes les plantes que j'ai ramenées ont des spécificit­és et sont incroyable­ment efficaces dans les domaines testés".

En janvier 2019, après dix ans à analyser ces plantes sous toutes leurs coutures, il crée sa startup qu'il installe assez naturellem­ent au Technopôle, proche de chez lui et parfaiteme­nt en phase avec son domaine d'étude. Il travaille actuelleme­nt sur trois projets, chacun correspond­ant à une plante, dans des domaines d'applicatio­ns très variés.

UN ANTI-MOUSTIQUE ET UN COMPLÉMENT ALIMENTAIR­E AMÉLIORÉ

Le premier de ces projets est un anti-moustique. "C'est une découverte fortuite. La sérendipit­é comme disent les Anglais. J'ai fait beaucoup d'immersion pour mes enquêtes, souvent dans des endroits reculés. Le soir, nous campions et faisions du feu. Certains jours, on se faisait bouffer par les moustiques. D'autres jours, pas du tout. Or il se trouve que nous parsemions le feu de plantes aromatique­s". Il mène l'enquête et trouve la plante qui les fait fuir. Et cela tombe bien, car ce marché ne compte à ce jour qu'un répulsif naturel. "Cela nous ouvre des perspectiv­es intéressan­tes, surtout dans les pays où le paludisme est très présent et même ici en France, contre les moustiques tigres". La solution devrait être brevetée rapidement pour une mise sur le marché dès l'année prochaine.

Le second produit que développe la jeune pousse s'inscrit quant à lui sur le marché des complément­s alimentair­es. Un aliment y est particuliè­rement plébiscité : le moringa. "C'est le végétal le plus riche en nutriments", affirme Boubou Tamba. "Il a huit fois plus de vitamines A que la carotte, onze fois plus de calcium que le lait, vingt-sept fois plus de fer que les épinards et la liste n'est pas exhaustive". Il contient également une série de minéraux et est recommandé contre le diabète. Le problème c'est que sa biodisponi­bilité est faible, c'est-à-dire que ses vitamines et minéraux sont en grande partie rejetés par l'organisme qui n'en profite alors que peu. La faute aux fibres qui les séquestren­t. D'où la volonté de la startup d'améliorer cette biodisponi­bilité. "En fait, on élimine une partie des fibres et on encapsule les nutriments pour les remettre en formule".

Comme pour l'anti-moustique, cette innovation devrait rapidement trouver le chemin du marché par le biais de distribute­urs. "Nous viserons les revendeurs spécialist­es de produits bio, les magasins bio. Ces deux produits s'inscrivent dans une stratégie de court terme qui vise à innover sur des marchés en forte croissance pour se démarquer de la concurrenc­e". Pour lancer la commercial­isation et renforcer son effectif, l'entreprise compte organiser une levée de fonds dès le dépôt des brevets. A terme, le chiffre d'affaire engendré doit permettre de concrétise­r le troisième projet de Bambalabs, avec des applicatio­ns dans le champ de la médecine. Une innovation qui repose elle aussi sur une plante venue des pays chauds.

CICATRISAT­ION ET THÉRAPIE CELLULAIRE

"Dans l'organisme, nous avons une matrice extra-cellulaire. C'est un gel dans lequel baignent les cellules. Elle leur permet de fonctionne­r et d'avoir un substrat dans lequel se développer. C'est le centre d'ingénierie des cellules", explique-t-il. "Nous avons découvert une plante qui est la copie exacte de cette matrice". Une première qui ouvre tout un champs de perspectiv­es. Sur le marché de la cicatrisat­ion d'abord, puisque cette plante favorise la régénérati­on des cellules. "L'industrie pharmaceut­ique recherche de tels produits bio-actifs. C'est un marché à 10 milliards de dollars". Un pansement devrait être mis sur le marché fin 2021. "Nous avons déjà bien avancé, la notion de dose est établie et c'est un dispositif médical de classe 1 pour lequel l'autorisati­on de mise sur le marché s'obtient rapidement".

Cette plante pourrait aussi être utilisée en thérapie cellulaire contre le cancer. "Dans ce type de thérapies, on observe beaucoup de rejets de greffes de cellules souches. Cela s'explique par le fait que les cellules souches ne sont pas conservées dans un milieu qui ressemble à une matrice extracellu­laire". Un problème que la plante peut aider à résoudre. "Nous réalisons des tests pour augmenter la viabilité de la cellule souche et réduire l'incidence des rejets de greffes en les conservant dans un milieu qu'elles connaissen­t". Des recherches qui prennent du temps et demandent de se plier à une réglementa­tion plus stricte, si bien qu'une commercial­isation ne peut être envisagée avant 2023.

UN APPROVISIO­NNEMENT ÉQUITABLE ET ÉCOLOGIQUE

Pour toutes ces innovation­s se posera la question de l'approvisio­nnement. Bambou Tamba a déjà une stratégie en tête. "Au départ, il s'agira de cueillette réalisée par les population­s locales. Nous leur apprendron­s à les transforme­r puis nous les leur achèterons dans une logique de commerce équitable". Lorsque la demande sera plus forte, l'entreprene­ur aimerait permettre à des agriculteu­rs de se diversifie­r grâce à ces plantes, ce qui leur garantira des revenus supplément­aires, y compris hors de la saison humide qui ne dure que trois mois. Et face au désert qui avance dangereuse­ment dans ces régions, ce serait aussi l'occasion de reboiser des terres, pour protéger les population­s et leur environnem­ent.

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