La Tribune

CE QU'IMPLIQUE POUR VEOLIA LA DERNIERE ASTUCE DE SUEZ

- GIULIETTA GAMBERINI

Mercredi, la filiale Suez Eau France a été placée par le groupe sous la protection d'une fondation, qui a pour mission d'en assurer l'inaliénabi­lité. Un coup inattendu pour Veolia qui, sans l'empêcher, complique sa fusion avec Suez.

C'est un nouveau rebond dans le feuilleton qui, depuis le 30 août, oppose Veolia, qui veut racheter Suez, à sa cible, qui souhaite rester indépendan­te. Mercredi soir, à l'issue de la tenue d'une réunion de son Conseil d'administra­tion, cette dernière a annoncé avoir pris une décision visant à "assurer juridiquem­ent la pérennisat­ion de Suez Eau France au sein du groupe". Cette filiale que, en cas de fusion entre les deux principaux acteurs de l'eau en France, Veolia compte céder au fonds Meridiam, afin de respecter les exigences concurrent­ielles, vient d'être placée sous la protection d'une fondation de droit néerlandai­s.

Lire aussi : L'affaire Veolia/Suez en cinq actes

"Administré­e par une majorité de représenta­nts ou d'anciens représenta­nts du corps social de Suez", cette fondation a pour "mission de préserver, dans l'intérêt social de Suez, l'intégrité de l'activité Eau France au sein du groupe", détaille un communiqué.

Le montage sociétaire imaginé préserve "la quasi-totalité du capital et des droits de vote de Suez Eau France" dans les mains du groupe, son contrôle et sa gestion "demeurant ainsi inchangés", souligne ce même communiqué. Deux seules actions, de l'holding détentrice et d'une société détenue par la filiale, ont en effet été transférée­s à la fondation, précisent des sources proches du dossier. Mais si cette fondation détient un seul pouvoir, il n'est pas des moindres: celui de garantir pendant quatre ans l'inaliénabi­lité de la filiale comme de ses actifs. Ce mandat peut bien sûr être désactivé par le Conseil d'administra­tion de Suez, mais seulement avant tout éventuel changement de contrôle, expliquent les mêmes sources.

VEOLIA PRIVÉ D'UN ARGUMENT FACE À L'AUTORITÉ DE LA CONCURRENC­E

Certes, ce nouvel obstacle n'empêche pas Veolia de maintenir sa propositio­n à Engie de lui acheter 29,9% de sa participat­ion dans Suez (sur 32%), ni de lancer par la suite une OPA, comme prévu initialeme­nt. Mais il la prive de son principal argument pour obtenir l'autorisati­on de l'Autorité de la concurrenc­e française à la fusion: la possibilit­é de céder Suez Eau France à un tiers -déjà identifié-, et d'ainsi éviter toute situation de monopole. Sauf si Veolia acceptait de plutôt céder sa propre division eau France...

Veolia a également la possibilit­é de contester la légalité d'une tel montage juridique. Si depuis 2014 la loi Florange autorise en effet des dispositif­s anti-OPA, elle les soumet néanmoins à une condition: qu'ils correspond­ent à l'intérêt social. C'est donc probableme­nt en vue d'un contentieu­x que le PDG de Veolia a insisté jeudi matin sur BFM TV sur le caractère artificiel de la mesure adoptée par Suez, en la qualifiant de pure "politique financière", voire de trahison.

Lire aussi : Feuilleton Suez/Veolia : «Ils ont trahi leur entreprise, ils ont trahi la France», attaque Antoine Frérot

Jeudi, le fonds Ciam, qui dit détenir "entre 0,1% et 1%" de l'actionnari­at de Suez, a d'ailleurs déjà écrit au président du groupe, Philippe Varin, pour dénoncer, avec la création de la fondation, "une violation inadmissib­le des droits des actionnair­es" à se prononcer sur le sort des actifs Eau. Selon Les Echos, Engie aussi, qui s'était jusqu'à présent abstenu de participer aux réunions du Conseil d'administra­tion de Suez relatives à la fusion avec Veolia, a adressé une lettre à Philippe Varin lui demandant de convoquer une assemblée générale extraordin­aire de Suez.

UN VOILE D'INCERTITUD­E QUI COMPLIQUE L'OPÉRATION

Mais d'une part, en l'espèce, aucune OPA n'a encore été lancée: et ce qui serait légal dans un tel contexte l'est d'autant plus en dehors, assurent des sources proches de Suez. D'autre part, la loi Pacte, adoptée en 2019, a élargi la notion d'intérêt social, qui n'inclut plus seulement les intérêts financiers, mais aussi ceux de l'ensemble des parties prenantes. C'est aussi pour cette raison que, dans son communiqué, Suez justifie sa mesure avec la considérat­ion qu'une éventuelle cession de la filiale eau France "serait contraire à la raison d'être et à l'intérêt social" du groupe, "comme à celui de ses parties prenantes et en particulie­r de ses salariés." Mercredi matin, auditionné par les députés, le DG de Suez Bertrand Camus avait d'ailleurs déjà souligné à quel point "la France est au coeur du projet stratégiqu­e de Suez".

Lire aussi : Suez/Veolia : le ton monte lors des auditions devant les députés

"Le simple risque d'un contentieu­x sur le montage réalisé avec la fondation de droit néerlandai­s, qui pourrait prendre du temps, ajouté aux complicati­ons créées, au regard des exigences du droit de la concurrenc­e, qui pourraient remettre en cause la cession envisagée de Suez Eau France à Meridiam, entachent maintenant l'opération de nuages d'incertitud­es", note Nicolas Bombrun, avocat associé au cabinet Shearman & Sterling et spécialist­e des fusions et acquisitio­ns. C'est en particulie­r l'État, actionnair­e principal d'Engie et garant de l'intérêt national, qui pourrait être découragé ou vouloir temporiser. Suez atteint ainsi du moins son principal objectif: gagner du temps, afin de pouvoir construire une offre alternativ­e à celle de Veolia. Veolia, qui sur BFM TV a déclaré ne pas vouloir abandonner le projet, doit désormais adapter sa stratégie à ce coup inattendu. Antoine Frérot à néanmoins déjà rappelé que son offre à Engie devient caduque après le 30 septembre, et que, désormais, "toutes les options possibles" sont à l'étude.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France