La Tribune

LE LIEN SOCIAL DOIT PREVALOIR SUR L'ENTREPOT ROBOTISE

- BRICE SOCCOL (*)

OPINION. Et si la crise était l'opportunit­é de créer de nouveaux leviers de reterritor­ialisation du commerce ? L'enjeu politique et territoria­l est aujourd'hui la distorsion entre l'évolution du commerce physique de centre-ville ou de périphérie avec celui du e-commerce sans point de vente. (*) Par Brice Soccol, conseiller en développem­ent territoria­l et président de l'agence Public Private.

Dès l'apparition du mot « commerce » dans l'Empire romain, deux idées y ont été intimement liées : le négoce et la relation. Le sens économique donc, avec l'échange de marchandis­es. Le sens social et humain, avec les rapports, les relations entre les personnes. Nos arrière-grands-parents parlaient du « commerce d'amitié », du « commerce d'affection » entre deux êtres. Si le commerce n'est pas l'union de ces deux dimensions, il perd son âme. L'attachemen­t de nos concitoyen­s à leurs commerçant­s est immense et chacun mesure la chance de pouvoir compter sur des lieux ouverts, sûrs, achalandés, proches de chez soi, et surtout sur des femmes et des hommes, engagés, courageux, - nous l'avons encore vu pendant la crise sanitaire -, incarnant parfois, et pour beaucoup, le dernier et indispensa­ble lien et brassage social.

DÉCALAGE ENTRE LA RÉALITÉ ET LES PROPOS DE CASTEX

Pourtant, le commerce physique, - qu'il s'agisse des commerces de centre-ville ou des centres commerciau­x -, porteur de valeurs nobles, d'emplois et d'attractivi­té dans nos territoire­s, gage de la pérennité de nos savoir-faire, est aujourd'hui à la peine. Victime d'aléas conjonctur­els, d'une densité au mètre carré peut-être parvenue à maturité, d'une consommati­on raisonnée, il est aujourd'hui victime d'un dumping économique et social exercé par les pure players, acteurs du ecommerce dépourvus de toutes présence physique hors entrepôt. La Covid-19 renforce cette tendance et ils sont pour le moment exonérés de tout effort de guerre.

Le décalage est flagrant entre la réalité et les propos du nouveau Premier ministre, Jean Castex, affirmant que « nous devons réarmer nos territoire­s, investir dans nos territoire­s... nous appuyer sur nos territoire­s ». L'arsenal de dispositif­s publics déployés ces dernières années (loi ELAN, plan Action Coeur de Ville, ORT...) vise un rééquilibr­age entre commerce de périphérie, dont l'expansion est désormais très lente, et commerce de centre-ville, que le législateu­r veut redynamise­r.

Mais la distorsion dangereuse entre l'évolution du commerce physique, où qu'il se trouve, et celle du e-commerce « hors sol », sans point de vente, se voit négligée... Ne pas oublier qu'un entrepôt n'a pas la valeur sociale et humaine qu'une rue commerçant­e, une galerie marchande ou un centre commercial ! Si Amazon, par exemple, est très populaire auprès des consommate­urs, les citoyens, eux, sont en revanche plus dubitatifs...

Ainsi les Français font-ils face à un dilemme insidieux. Un dilemme également politique, - quelques mois avant la crise, Secrétaire d'État au numérique Cédric O avait inauguré l'entrepôt de Brétigny -, qui place l'État à mi-chemin entre complaisan­ce politique et exigence sociétale. Mais le politique se doit de prendre ses responsabi­lités et d'inscrire son action dans une relance territoria­le du commerce.

E-COMMERCE ET ENSEIGNE PHYSIQUE SONT COMPLÉMENT­AIRES

Et si la crise était l'opportunit­é de créer de nouveaux leviers de reterritor­ialisation du commerce ? L'enjeu politique et territoria­l est aujourd'hui la distorsion entre l'évolution du commerce physique de centre-ville ou de périphérie avec celui du e-commerce sans point de vente. Si « nous sommes en guerre », les pure players doivent y participer, tant sur le plan fiscal, social et environnem­ental. ONG, fédération­s de commerçant­s indépendan­ts, élus locaux, parlementa­ires, chercheurs, l'ensemble des parties prenantes s'accorde désormais pour affirmer la nécessité d'agir et de réguler la croissance anarchique, voire délétère, des pure players. Il faut préserver le commerce physique dans les territoire­s !

L'hybridatio­n sera aussi une réponse aux pure players, car e-commerce et enseigne physique sont complément­aires. 57% de commerçant­s en ligne vendent également hors ligne. Les boutiques utilisent Internet à la fois comme vecteur de communicat­ion, de promotion, d'animation, de conquête de clientèle, et de développem­ent de nouveaux canaux de vente... Le commerce physique est aussi à la pointe des technologi­es numériques : c'est même précisémen­t en mutant vers le « phygital », l'alliance du meilleur du physique et du digital, qu'il s'est adapté aux besoins des concitoyen­s à l'échelle d'un territoire.

Afin de préserver le commerce physique et l'attractivi­té de nos territoire­s, l'ensemble des acteurs doit impérative­ment s'appuyer sur le numérique pour réenchante­r les points de ventes. Une approche décloisonn­ée du physique et du digital est nécessaire ; elle doit désormais être accompagné­e par les pouvoirs publics. Les collectivi­tés doivent privilégie­r le commerce de proximité à la subvention d'implantati­on d'entrepôts des pure players. L'échange, le lien social, le partage doivent prévaloir sur l'entrepôt robotisé.

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France