La Tribune

SUEZ: RATER L'OFFRE DE VEOLIA SERAIT UNE "LOURDE RESPONSABI­LITE" (CLAMADIEU, ENGIE)

- GIULIETTA GAMBERINI

Nouveau coup de tonnerre dans ce feuilleton du capitalism­e français, avec la prise de parole de Jean-Pierre Clamadieu, président du conseil d'administra­tion d'Engie, devant les élus. Visiblemen­t, face aux assauts répétés de Veolia, le dirigeant ne cache pas ses préférence­s. D'autant plus que l'offre du géant de l'énergie et des services à l'environnem­ent a de quoi le séduire.

Engie n'est "pas pressé" de céder sa participat­ion dans Suez. Mais refuser l'offre de Veolia qui expire mercredi 30 septembre ferait peser une "lourde responsabi­lité" sur le Conseil d'administra­tion d'Engie. C'est ce qu'a expliqué la veille de la date butoir son président, Jean-Pierre Clamadieu, aux députés des commission­s des affaires économique­s et des finances ainsi que de la délégation aux collectivi­tés territoria­les, qui l'auditionna­ient.

La cession du 32% qu'Engie détient dans Suez figurait certes dans sa stratégie définie avant l'été, mais ne constituai­t "pas une priorité", a confirmé Jean-Pierre Clamadieu, en reconnaiss­ant qu'il avait ainsi présenté la situation à la direction de Suez au début de l'été. Mais cela, c'était avant l'offre de Veolia, qui n'a pas seulement été proposée très vite, mais qui ,à ce jour, est surtout la seule sur la table. Demain, pour le Conseil d'administra­tion d'Engie, refuser l'existant en pariant sur une éventuelle offre différente à venir constituer­ait donc une "lourde responsabi­lité", a-t-il insisté.

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"Le Conseil d'administra­tion a la responsabi­lité fiduciaire de défendre la valeur patrimonia­le de la participat­ion d'Engie", a rappelé Jean-Pierre Clamadieu.

Or, si l'offre de Veolia devenait caduque, les cours de Suez pourrait redescendr­e à leur valeur d'avant, soit 12 euros, ce qui pour Engie impliquera­it la perte d'un milliard de participat­ion, prévoit le président.

"C'est Veolia qui a choisi le calendrier", a-t-il ainsi concédé.

ENGIE DANS L'ATTENTE DE LA NOUVELLE OFFRE DE VEOLIA

D'autant plus que pour le président d'Engie l'offre de Veolia est séduisante, sur la forme comme sur le fond. Sa propositio­n d'acquérir immédiatem­ent 29,9% des actions de Suez, sur les 32% détenues par Engie, en ne lançant que par la suite une OPA sur le reste, a en effet l'avantage d'être "simple", "sans risques", et de permettre une "transactio­n très rapide", a souligné Jean-Pierre Clamadieu, en admettant qu'il s'attendait plutôt à une OPA d'emblée, qui aurait impliqué une "décision plus longue".

Quant au fond, Jean-Pierre Clamadieu s'est dit convaincu que le projet industriel de Veolia est "solide", que ses garanties sur l'emploi jusqu'à la fin 2023 sont "satisfaisa­ntes", et que la possibilit­é de créer une équipe de direction mixte aux deux entreprise­s fusionnées est réelle. Le seul bémol constitue le prix, 15,50 par action ne correspond­ant pas à l'idée qu'a Engie de la juste valeur de Suez -valeur que la société mère refuse néanmoins d'indiquer. La décision attendue demain va donc en grande partie dépendre de la finalisati­on de la deuxième version de l'offre de Veolia, qu'Engie attend, a donc laissé entendre Clamadieu.

LA "DÉCEPTION" DE L'ABSENCE D'UNE OFFRE ALTERNATIV­E

La situation serait "complèteme­nt différente" si Engie disposait d'une deuxième offre, a souligné son président.

"Dès le premier jour, Engie s'est montrée prête non seulement à examiner une offre alternativ­e, mais aussi à aider à la construire", a-t-il rappelé.

Mais la société mère a été confrontée à la "déception" de ne pas voir cette offre alternativ­e se constituer. Philippe Varin lui aurait récemment confirmé que rien n'est prêt, et a fait valoir qu'il qu'il faudrait à Suez trois mois pour constituer cette offre, a affirmé Clamadieu. Sa valeur reste d'ailleurs incertaine.

Et quant à la qualité du projet industriel, "je ne peux pas comparer celui de Veolia à celui de Suez, que je n'ai pas", a-t-il souligné.

LA "PILULE EMPOISONNÉ­E" ET UNE "GRAVE ERREUR DE JUGEMENT"

Jean-Pierre Clamadieu s'est d'ailleurs montré agacé par la bataille menée par Suez sur le front médiatique, ainsi que par la "pilule empoisonné­e" représenté­e par la création d'une fondation de droit néerlandai­s chargée de veiller à l'inaliénabi­lité des activités de Suez Eau France.

Lire: Ce qu'implique pour Veolia la dernière astuce de Suez

C'était une "grave erreur de jugement", "en dehors du playbook d'une OPA dans un pays civilisé", et "de la relation normale d'affaires entre une entreprise et sa base d'actionnair­es", estime-t-il.

"Suez s'est ainsi coupé de ses actionnair­es", considère le président d'Engie, qui a menacé:

"Si Engie est toujours actionnair­e de Suez lors de la prochaine assemblée générale, elle va s'exprimer avec force".

S'il certifie -contrairem­ent à ce qu'affirme Veolia- que les cessions récemment finalisées par Suez étaient préparées depuis longtemps, il s'est néanmoins dit préoccupé par le projet de cette dernière d'augmenter la distributi­on de dividendes, qui "retire de la richesse à la société".

Est-on face à une "stratégie où tout est bon et possible pour réussir son indépendan­ce?", s'est-il interrogé.

PAS DE PRÉCIPITAT­ION SI LE DIALOGUE AVAIT ÉTÉ MAINTENU

La situation pourrait également changer si les efforts de conciliati­on du gouverneme­nt, que Clamadieu a salués, devaient finalement convaincre Veolia de prolonger son offre, puisqu'en ce cas, il n'y aurait "pas de raison d'être dans la précipitat­ion". Mais le dialogue entre les deux entreprise­s est à ce jour coupé, malgré les pressions exercées par Clamadieu auprès de Suez afin que ses dirigeants s'y prêtent, a-t-il regretté. Ce conflit entre deux entreprise­s du CAC 40 n'offre pas selon lui une bonne image de la place de Paris.

Et "je me suis retrouvé moi à négocier avec Veolia sur les garanties sociales". "J'aurais aimé que les équipes de Suez soient à mes côtés", a-t-il remarqué.

LE RISQUE DUNE "PÉRIODE AGITÉE"

Le dialogue entre les deux entreprise­s semble en effet compromis. Encore lundi soir, dans une interview publiée par Le Figaro, le directeur général de Suez, Bertrand Camus, affirmait ne pas croire aux engagement­s de Veolia sur l'emploi. En se fondant sur une expertise commandée au cabinet EMA, Suez prévoit plutôt entre 4.200 et 4.700 suppressio­ns d'emplois directs en France si la fusion devait avoir lieu. L'entreprise cible de l'offre de Veolia continue d'ailleurs de mettre en avant le risque d'une déstabilis­ation du marche des services à l'environnem­ent, ainsi que des performanc­es des deux entreprise­s.

"Si Engie vend ses actions à Veolia, nous entrerons, tous, dans une période agitée. Pendant 12 à 18 mois, nos deux entreprise­s seraient placées dans une situation ingérable: Veolia serait notre actionnair­e, mais sans droits de vote, ni représenta­tion. Suez serait l'objet d'une intention d'offre publique dont le prix et même le lancement seraient incertains. Aucun de nos deux groupes ne serait en mesure de convaincre un client de signer le moindre contrat dans ces circonstan­ces et la concurrenc­e serait affaiblie ainsi que le service public de l'eau", a expliqué Bertrand Camus au Figaro.

Lire aussi: "La fusion Veolia/Suez réduirait la concurrenc­e" (Christophe­r Gasson, Global Water Intelligen­ce)

Il justifie également le retard de Suez dans la constructi­on d'une offre alternativ­e par "les premières déclaratio­ns qui ont été interprété­es comme un soutien implicite d'Engie et du gouverneme­nt au projet de Veolia". Elles auraient "dissuadé certains investisse­urs de s'impliquer". Ce ne serait donc que depuis que ce contexte a "été rééquilibr­é" que Suez peut "avancer" dans la constructi­on d'un "projet créateur de valeur pour 100 %" des actionnair­es.

Quant à Antoine Frérot, le PDG de Veolia, il n'a pas cessé de répéter qu'il ne compte pas prolonger son offre. La décision est donc toute entre les mains du Conseil d'administra­tion d'Engie lors du rendez-vous du 30 septembre, confronté à sa "lourde responsabi­lité".

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