La Tribune

GRAND PARIS: DENONCER LES INEGALITES, ET APRES ?

- DANIEL BEHAR (*)

OPINION. Depuis trente qu'il existe dans son projet, le Grand Paris est encore le foyer de nombreuses inégalités. Et si c'était notre grille de lecture qui n'était pas adaptée? (*) Par Daniel Behar, géographe, professeur à l'Ecole d'Urbanisme de Paris.

Encore une fois, une étude constate le creusement des inégalités sociales et territoria­les en région parisienne. Encore une fois, médias et sphère politique s'en emparent et dénoncent l'échec. L'arsenal de lois, de politiques publiques et de moyens budgétaire­s est inopérant. La mixité sociale et le rééquilibr­age entre les territoire­s, prônés depuis des décennies ne fonctionne­nt pas. Encore une fois, cette dénonciati­on - à l'évidence justifiée - n'aura qu'un seul effet: conforter tout à la fois la bonne conscience de l'opinion publique et notre culpabilit­é collective. Ne serait-il pas temps de mettre un terme à cet éternel recommence­ment ?

>> SUIVEZ en direct les débats du Sommet du Grand Paris

Ne faudrait-il pas d'abord prendre acte qu'à toujours dénoncer l'impuissanc­e publique, c'est l'inadaptati­on de notre grille de lecture des mécanismes sociaux et territoria­ux que l'on occulte ? Avant de marquer l'échec des politiques publiques, l'exacerbati­on des inégalités de revenus au sein du Grand Paris tient au paradoxe intrinsèqu­e à la métropolis­ation. La promesse qu'elle constitue la maximisati­on des opportunit­és de toutes natures - est un puissant facteur d'attractivi­té et de renouvelle­ment constant des flux de population­s précaires, attirées par l'espoir de "s'en sortir" qu'elles y voient. Le constat instantané d'une aggravatio­n des inégalités sociales ne dit donc rien des trajectoir­es de promotion sociale favorisées par la situation métropolit­aine. Quant à la spécialisa­tion sociale des territoire­s au sein du Grand Paris, elle tient à l'évidence à des choix d'entre soi social, largement partagés, y compris par ceux qui en dénoncent les effets et qu'on ne combat manifestem­ent pas à coup de lois, de règlements ou même d'outils fiscaux.

Dans le même temps, la prétention sans cesse renouvelée à remettre en cause le déséquilib­re structurel, séculaire de la région parisienne entre l'est et l'ouest conduit à ignorer largement les mutations plus discrètes de la géographie des inégalités sociales et les actions publiques qu'elles pourraient justifier.

Ainsi, toutes les observatio­ns depuis une dizaine d'années soulignent qu'à la fracture sociale entre l'est et l'ouest de la métropole se superpose une géographie plus fine des écarts sociaux, "en peau de léopard", au sein des communes, entre quartiers. Il n'est qu'à circuler autour de Paris de St Ouen à Clamart en passant par Pantin, Champigny ou Cachan pour le constater. Quels nouveaux enjeux, en termes d'inégalités sociales, cette géographie inédite induit-elle? Cela va t il favoriser de nouveaux processus ségrégatif­s, à l'école par exemple ou peut-on en espérer la multiplica­tion d'occasions de co présence sociale à l'échelle du voisinage?

De même, plutôt que déplorer encore une fois l'aggravatio­n des inégalités de revenus, on pourrait réfléchir collective­ment aux effets à venir des grands projets du Grand Paris et notamment le futur métro. L'espace métropolit­ain va en effet voir cohabiter d'un côté les adeptes de la "ville du quart d'heure" chère à la Mairie de Paris et de l'autre ceux que l'on nomme désormais "les premiers de corvée" qui bénéficier­ont le plus des effets du métro et d'un accès encore plus large au marché du travail métropolit­ain. Singulier déplacemen­t, du côté des mobilités, des inégalités sociales métropolit­aines !

La prégnance de nos représenta­tions collective­s (Paris contre la banlieue, l'ouest contre l'est...) et la saturation du débat public par la question de l'égalité nous conduisent à confondre l'inévitable différenci­ation sociale des espaces urbains et les injustifia­bles inégalités d'accès à la ville et à ses aménités. N'est-il pas tant de les distinguer, de s'attacher d'abord aux secondes et d'ainsi mettre en oeuvre une approche "laïque" du droit à la ville?

__

Daniel Behar est géographe et professeur à l'Ecole d'Urbanisme de Paris. Il a publié en 2020 avec A.Delpirou l'Atlas du Grand Paris (ed Autrement).

 ??  ??

Newspapers in French

Newspapers from France