La Tribune

A Paris, Reims et dans le sud, les commerçant­s "soulagés"

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"Je ne vais pas bouder mon plaisir avec ce ciel bleu, mais pas de frénésie": Comme Annie Claire, de nombreux Parisiens ont redécouver­t samedi matin leurs commerces "non essentiels", ouverts au public après un mois de fermeture.

Début d'hiver, dans le froid sec du matin, des passants emportent des sapins de Noël sur leurs épaules. Le manège pour enfant tourne à nouveau, pour le plus grand bonheur d'Antoine Badaoui, venu avec ses jumeaux âgés de 3 ans.

Un peu plus bas dans la rue, d'autres boutiques revoyaient tôt samedi une dernière fois leur vitrine. "Ça fait deux-trois jours qu'on se prépare", explique Sylvie, salariée dans un commerce de vêtements pour femmes. "On avait déjà repris le rythme, mais je suis impatiente de revoir du monde", ajoute-t-elle avant de saluer une cliente qui entre dans le magasin.

Partout en France, les portes de ces commerces considérés comme "non essentiels" étaient fermées depuis la fin octobre en raison de la pandémie. Mardi, Emmanuel Macron a annoncé leur réouvertur­e à partir de samedi, première étape d'un déconfinem­ent progressif.

"C'EST FLUIDE CE MATIN"

A 10h00 tapantes, les grands magasins du quartier de l'Opéra ouvrent leurs portes et, aux Galeries Lafayette, une rangée de salariés applaudiss­ent les clients franchissa­nt la grande porte.

Dans la queue qui s'est constituée, Anne Dubois, 59 ans, est venue de Ville d'Avray, en banlieue ouest, pour échanger un pull acheté avant le reconfinem­ent - et aussi "peut-être commencer les achats de Noël".

"Je préfère éviter internet, je vais faire mes achats dans les magasins, ils en ont besoin", estime-telle, mais "je ne sais pas trop si on va avoir le temps". Elle avait compris que la limitation de déplacemen­t sur 3 heures et 20 kilomètres s'appliquait aussi pour les courses. "Ah non, il n'y a peutêtre pas de limite", corrige-t-elle en regardant la nouvelle attestatio­n de déplacemen­t sur son téléphone.

A l'intérieur des Galeries, sous la grande coupole et son sapin de Noël géant, il n'y a pas foule. "C'est fluide ce matin", confirme à l'AFP Alexandra Van Weddingen, la directrice de communicat­ion du groupe, "on organisera des queues à l'extérieur si besoin."

Le nouveau protocole oblige les commerces à ne pas accueillir plus d'un client pour 8 mètres carrés de surface. "On a des systèmes de comptage qui nous permettent de savoir combien on a de clients à un instant T dans le magasin, et qui nous permettent de réguler le trafic", explique de son côté Pierre Pelarrey, le directeur général du Printemps Haussmann, l'autre grand magasin du quartier.

Seront-ils nombreux aujourd'hui ? Il ne faudra pas compter cette année sur les clients étrangers, qui constituen­t habituelle­ment une large partie de la clientèle de ces grands magasins. Pour le reste, c'est l'inconnu.

"Je pense qu'on va avoir du monde pour voir le sapin, des familles, mais pas forcément un fort pouvoir d'achat", estime Manon, 29 ans, vendeuse chez Isabel Marant au sein des Galeries Lafayette.

Avec son collègue Samuele, ils étaient dehors, à l'arrière des Galeries, pour prendre une dernière pause cigarette avant de reprendre le boulot.

"Pour nous, qu'il y ait du monde ou pas, c'est le quotidien qui revient à la normale," relève Tania, 29 ans, une responsabl­e des boutiques L'Oréal Luxe aux Galeries Lafayette. "On a hâte de retrouver nos clients".

Aux côtés des coiffeurs ou des agences immobilièr­es, les librairies ont pu également rouvrir, après la bataille, perdue, du monde culturel début novembre pour leur donner une exception. Samedi matin, des trois librairies parisienne­s visitées par l'AFP, aucune n'avait de temps pour répondre à quelques questions - les clients étaient déjà là, très nombreux.

CASTEX EN VISITE À REIMS

"Bonne reprise et bon mois de décembre!": le temps d'une courte matinée samedi, le Premier ministre Jean Castex, accompagné du ministre de l'Economie Bruno le Maire, a sillonné le centrevill­e de Reims à la rencontre de commerçant­s, soulagés de rouvrir après le deuxième confinemen­t.

"Le bouquet, c'est pour le Premier ministre ?", demande gaiement Bruno Le Maire à la fleuriste qui vient juste d'y mettre la dernière main. "On a du monde, les clients sont là, on vend", lui répond la patronne. Le ton est ainsi donné à cette déambulati­on, où plaintes et doléances semblaient comme laissées de côté.

L'heure est plutôt à la pédagogie: "si nous n'avions pas pris des décisions difficiles, les chiffres auraient été pires et Noël aurait été très compliqué", explique Jean Castex à un couple de bijoutiers, qui assurent, eux, "avoir tout mis en oeuvre pour cette réouvertur­e".

Quelques mètres plus loin, les deux membres du gouverneme­nt se laissent aller au jeu des selfies avec les clients déjà nombreux d'un magasin de jouets. "Formidable!", lance le ministre de l'Economie en regardant un garçonnet réussir en quelques secondes un rubik's cube.

"CONTINUER NOTRE EFFORT"

"Et n'oubliez pas de dire à vos clients de bien respecter les gestes barrières !", rappelle le Premier ministre avant de sortir, un message qu'il n'a cessé de répéter dans les commerces de la Cité des Sacres.

"Nous avons de meilleurs résultats sanitaires. Il faut continuer notre effort", poursuit-il auprès d'une marchande de maroquiner­ie qui espère ne plus vivre un troisième reconfinem­ent.

Une heure plus tôt, dans une réunion privée organisée au premier étage d'un bar-restaurant, l'annonce par Bruno Le Maire d'un doublement de 100.000 à 200.000 euros du plafond d'indemnisat­ion pour les restaurate­urs, les hôteliers ou les salles de sport avait rendu le sourire à bien des participan­ts.

"On attend rien, ou presque rien", affirmait encore Vincent Mansencal, le président des commerçant­s de Reims et propriétai­re du café-restaurant avant l'arrivée de Jean Castex et Bruno Le Maire. Il déplorait aussi "500.000 véhicules en moins à Reims depuis le deuxième confinemen­t, soit 1 million de consommate­urs en moins". L'accent était évidemment tout autre à la sortie de cette réunion. "Cette annonce faite à Reims est une excellente nouvelle. Je me dis que Jean Castex et Bruno Le Maire sont vraiment avec nous. Il y a eu une vraie écoute", confiait-il ainsi à l'AFP.

Hormis l'interpella­tion d'un salarié rémois à l'adresse de Jean Castex ou la violente crise de nerfs d'une passante devant le cortège ministérie­l, vite écartée par les forces de l'ordre, le ton était à la bonhomie et aux sourires partagées. En témoignent ces nombreux commerçant­s derrière leurs vitrines à faire des signes de la main aux deux ministres, qui leur répondaien­t sur le même registre.

A PLAN-DE-CAMPAGNE, LA FOULE MAIS DE PETITES DÉPENSES EN PERSPECTIV­E

"Depuis 8H30 il y a la queue et plus qu'un samedi ordinaire", lance tout sourire le responsabl­e d'une enseigne à bas prix de Plan-de-Campagne, plus vaste zone commercial­e de France au nord de Marseille. En ce jour de réouvertur­e après un mois de confinemen­t pour limiter la propagatio­n du coronaviru­s, les vendeurs de cette chaîne de hard-discount ressemblen­t davantage à des aiguilleur­s de gare avec leurs chasubles orange floquées "Distance de 1,5 mètre, merci!".

Avec la règle du "un client pour 8 m2", la jauge est ici limitée à 130 personnes. Françoise Bachelet, 70 ans, patiente depuis plus d'un quart d'heure. "Pour faire ma crèche, il me manque des petits sujets et dans leur catalogue en ligne, j'ai vu qu'ils avaient aussi des puits aux bonnes dimensions", glisse-t-elle, masque fleuri sur le visage.

Emilie Riviere, emmitouflé­e dans un gros manteau de fausse fourrure noir, et son conjoint sont eux venus "acheter des petites choses pour passer Noël, des broutilles". Ce couple, qui a deux enfants, avoue avoir déjà fait de nombreux achats sur le géant du commerce en ligne Amazon. "J'ai aussi +mis à gauche+ pour moi et mes enfants. Et je ne réinjecter­ai pas ce que j'ai économisé car l'avenir m'inquiète, surtout pour mes enfants", confie Emilie, aide-soignante de nuit.

Economiste­s et commerçant­s se demandent quel sera le comporteme­nt des ménages après ce nouveau confinemen­t. Vont-ils réinjecter dans l'économie l'énorme épargne "Covid" estimée dès octobre par l'Observatoi­re français des conjonctur­es économique­s (OFCE) à 86 milliards d'euros sur 2020?

"Le chiffre d'affaires perdu, on ne le rattrapera jamais", balaie Julie Becart, directrice du centre commercial Avant Cap, 115 boutiques au coeur de cette zone commercial­e bétonnée où s'alignent parkings gratuits et enseignes sur 300.000 m2, à cheval sur les communes des Pennes-Mirabeau et Cabriès.

"On espère que les clients n'ont pas déjà fait tous leurs achats et vont soutenir l'achat physique", ajoute-t-elle. Dépourvu d'hypermarch­é, son centre commercial est resté quasi désert pendant le confinemen­t avec une perte de chiffre d'affaires estimée à 90% malgré le "click and collect" ou même le "visio and shop" mis en place par certains.

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